Interview de Rodolphe Barrere, CEO et co-fondateur de Potloc

« Nous voulons faire des réseaux sociaux une solution de référence pour les études marketing » – Interview de Rodolphe Barrère, CEO de Potloc

24 Sep. 2021

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Potloc compte aujourd’hui parmi les start-ups qui font les plus parler d’elles dans l’univers du market research. Du fait de son statut de pionnier de la grande technologie montante, l’usage des réseaux sociaux à des fins d’études marketing. Mais aussi de sa croissance et ses ambitions, qui se sont manifestées l’an passé par une levée de fonds de 20 millions de dollars
Quelle est l’histoire de cette jeune société ? Quels sont ses objectifs ? Et quelle place peuvent donc prendre les réseaux sociaux dans la recherche de répondants aux  études ? Ce sont les questions auxquelles répond son co-fondateur, Rodolphe Barrère, dans cette interview pour Market Research News. 

MRNews : Vous avez fondé Potloc en 2014, à Montréal. Qu’est-ce qui vous a inspiré la création de cette société ?

Rodolphe Barrère (Potloc) : L’idée de Potloc est née en 2013 dans deux têtes, la mienne est celle de mon associé, Louis Delaoustre. Nous sortions d’HEC Montréal, et n’y connaissions pour ainsi dire rien à l’univers des études de marché ! Mais nous nous étions lancés dans un projet d’entrepreneuriat social avec une conviction, celle que les habitants d’un quartier avaient leur mot à dire sur les commerces à ouvrir. Nous avons donc commencé à intercepter les gens dans la rue, pour leur proposer de boire un café chaud et de répondre à quelques questions. A la fois sur leurs habitudes d’achat et leurs besoins. Le tout premier quartier était celui où nous résidions, Le Plateau. Les Français y sont assez nombreux, c’est un peu le 21e arrondissement de Paris ! Et nous avons étendu progressivement nos zones d’investigation, toujours dans Montréal. Notre chiffre d’affaires était nul, mais l’expérience nous a vite appris deux choses essentielles. Nous avons été frappés d’une part par l’extrême richesse des informations que nous récoltions en procédant ainsi. En interrogeant tout le monde, des jeunes, des vieux, des personnes aisées ou modestes, en l’espace de trois jours on savait quasiment tout de la vie du quartier ! Par ailleurs, nous avons mesuré à quel point il est difficile de faire participer des gens « normaux ». Ce qui est quand même un réel souci pour avoir une vision fiable ! Tout le monde est pressé, et a mieux à faire que de répondre à une enquête. Sauf si l’on pose la bonne question, au bon moment. C’est là qu’il y a un vrai levier !

« Tout le monde est pressé, et a mieux à faire que de répondre à une enquête. Sauf si l’on pose la bonne question, au bon moment. C’est là qu’il y a un vrai levier !

Au bout de quelques mois, nous avons eu l’idée de créer des posts Facebook sur les groupes de quartier. Et nous avons immédiatement compris que cette approche était à la fois moins intrusive et bien plus efficace ! C’est à ce moment-là, en 2014, que l’activité a réellement démarré.

Les premiers clients sont venus très vite ? Qui étaient-ils ?

Nous avons d’abord travaillé avec les propriétaires des emplacements commerciaux vacants. Puis, assez rapidement, les villes se sont intéressées à notre solution. Avec là aussi des sujets hyper locaux, du type stationnement, transport, bornes de rechargement… Ces projets nous ont confrontés à la problématique de la représentativité des échantillons, et nous avons compris que c’était un enjeu prioritaire pour nous. Nous avons ensuite développé notre activité auprès des centres commerciaux, au Canada et en France. Et, de fil en aiguille, avec les acteurs du retail, comme Auchan ou Décathlon ; et progressivement avec les grandes marques, comme Nike, L’Oréal… Des cabinets de conseil tels que Roland Berger ou LEK Consulting comptent aujourd’hui parmi nos plus gros clients.

L’Europe pèse actuellement pour environ 60% de notre CA, et nous sommes également bien implantés au Canada bien sûr, mais aussi aux États-Unis, en Australie, en Chine…

Cette composante locale, qui était très présente au démarrage, s’est donc estompée ?

Absolument. Aujourd’hui, je dirais que 10% des projets que nous gérons concernent des problématiques purement locales. Mais cela reste un de nos très gros points forts. Nous sommes sans doute les seuls à pouvoir constituer un échantillon représentatif sur des aires géographiques extrêmement petites, y compris sur un rayon de 1km2. En réalité, la plus grande force de notre approche est de pouvoir investiguer des cibles étroites, rares. Nous pouvons interroger plusieurs centaines de parents d’élèves souffrant de dyslexie et résidant à Brooklyn. Ou bien une population d’ingénieurs travaillant en Allemagne et spécialistes des moteurs électriques… Ce qui rend ces approches ultra-ciblées possibles, c’est notre capacité à exploiter le plus gigantesque « panel au monde », Facebook et plus largement les réseaux sociaux. Notre terrain de jeu, c’est 4,4 milliards de personnes !

« La plus grande force de notre approche est de pouvoir investiguer des cibles étroites, rares(…). Notre terrain de jeu, c’est 4,4 milliards de personnes !

Nous intervenons sur une très grande variété de réseaux. Si le tandem Facebook – Instagram représente à lui seul 75% du marché, il y a un vrai intérêt pour nous à également utiliser les Tik-Tok, WeChat, Twitter, Snapchat. Et bien sûr LinkedIn, le BtoB pesant environ la moitié de notre CA.

Quelles ont été les autres dates clés dans le développement de la société ?

Les trois levées de fonds que nous avons réalisées en 2016, 2018 et 2020 —respectivement de 800k$, 3 millions puis 20 millions de dollars — marquent naturellement des étapes importantes. Ces fonds sont très largement investis en Recherche & Développement, et plus particulièrement pour travailler sur la qualité des données. Cet enjeu est à la fois complexe – pour gérer les fausses réponses et optimiser la représentativité des échantillons – et majeur. La perfection n’est pas de ce monde, il y a toujours des limites ; mais je suis extrêmement fier du niveau que nous avons atteint sur ce terrain. C’est ce qui fait notre réputation aujourd’hui, notre asset n°1, et ce pour quoi les cabinets de conseil comme McKinsey ou Roland Burger nous font confiance.

« Je suis extrêmement fier du niveau que nous avons atteint (pour ce qui est de la qualité des données). C’est ce qui fait notre réputation aujourd’hui, notre asset n°1

Les enjeux d’échantillonnages sont complexes parce que répondre aux besoins de nos clients suppose de croiser différentes variables à représenter. Dans le projet que j’ai sous les yeux, il nous faut par exemple interroger 71 hommes de nationalité indienne, ayant entre 25 et 34 ans, voyageant en vol international pour un motif business… Le principe de notre technologie suppose de créer des posts publicitaires pour les réseaux sociaux, de sorte à représenter la population cible dans les meilleures conditions de timing et de coûts. 

Vous avez évoqué l’avantage énorme de pouvoir travailler sur une base de plus de 4 milliards de personnes. Quelles sont pour vous les autres grandes forces des études sur les réseaux sociaux ?

Cette composante volume est en effet décisive, mais elle l’est d’autant plus que nous pouvons utiliser une très large variété de critères, ce qui permet ainsi de toucher des cibles extrêmement fines et précises. Le second point clé est de pouvoir interroger des individus qui ne sont pas représentés dans les panels. Qui ne répondent pas pour gagner un peu d’argent, mais parce qu’ils se sentent concernés par le sujet. L’impact est énorme sur la qualité des données. Et se perçoit immédiatement par exemple dans la richesse et la précision des réponses aux questions ouvertes, qui sont incomparablement supérieures à ce qui est obtenu via les panels.

« Nous interrogeons des individus qui ne sont pas représentés dans les panels. Qui ne répondent pas pour gagner un peu d’argent, mais parce qu’ils se sentent concernés par le sujet. L’impact est énorme sur la qualité des données. 

J’évoquais précédemment la difficulté à représenter les gens ordinaires dans les études, ceux qui – comme vous et moi – ont toujours mieux à faire qu’à répondre à des questionnaires, surtout sur des sujets qui ne les intéressent pas. Notre approche change complètement la donne. Nous sollicitons les personnes au moment où elles ont un peu de temps puisqu’elles sont en train de consulter leur fil sur leur page Facebook par exemple. Et elles participent parce qu’elles se sentent concernées.

Cette approche ne risque-t-elle pas de ne représenter que les « extrêmes » sur un sujet donné, et de ne pas tenir compte du « ventre mou » ?

Cela fait partie des 4 biais majeurs que nous avons bien en tête, et que nous essayons d’adresser aussi efficacement que possible. C’est celui de l’auto-sélection, sachant qu’il y a par ailleurs les biais cognitifs et de couverture, ainsi qu’un biais spécifiquement généré par les algorithmes de Facebook Ads. En réalité, ce phénomène d’auto-sélection s’exerce toujours, quel que soit le protocole utilisé, y compris au téléphone. Dans une démocratie, répond qui veut, fort heureusement ! Nous nous efforçons donc de le limiter, en formulant les sujets sous un angle aussi neutre que possible. Mais il faut cependant donner envie aux gens de répondre. Nous avons ainsi accumulé un capital d’expérience sur les ingrédients les plus efficaces à utiliser.

Les partisans des panels mettent en avant l’avantage de cette technique – versus celle du « river sampling » – pour sécuriser la qualité des réponses, du fait notamment de la relation instaurée avec les participants. Que dites-vous sur ce point ?

Ce n’est pas ma vision. Notre approche donne au contraire beaucoup de garanties puisque nous pouvons croiser l’identifiant propre à l’appareil utilisé avec l’adresse IP du répondant. Par ailleurs, c’est d’abord et avant tout la rémunération qui motive la fraude ! Nous ne fonctionnons pas ainsi, ce qui résorbe l’essentiel du problème. 98% des questionnaires que nous obtenons sont exploitables, ce qui est loin d’être le cas avec les panels.

Pour certains, les « réseaux sociaux » vont progressivement se substituer aux panels dans la recherche marketing. Pour d’autres, ils ont plutôt vocation à être un outil complémentaire. Quelle est votre vision ?

Nous intervenons d’abord et avant tout dans une logique de complémentarité. Notre force – et plus largement celle des réseaux sociaux – est de pouvoir aller là où les panels montrent leurs limites. C’est mathématique… Notre proposition est compétitive dès que le taux d’incidence de la cible visée passe en dessous des 10%. Si elle est de 1%, notre solution devient incontournable. En revanche, sur des cibles « mainstream », notre prix au répondant est trop élevé, et les panels reprennent l’avantage. De fait, nous sommes très rarement en concurrence avec les panels généralistes tels que Toluna ou Dynata, qui sont des partenaires pour nous. S’il y a concurrence, elle se fait plutôt sur le terrain du BtoB, lorsqu’existent des panels spécialisés.

« Nous intervenons d’abord et avant tout dans une logique de complémentarité (avec les panels). Notre proposition est compétitive dès que le taux d’incidence de la cible visée passe en dessous des 10%. 

Mais je crois aussi que la pente naturelle des marques est de raisonner de façon très ciblée, en découpant finement le marché. C’est le plus souvent la démarche la plus efficace. Les panels les ont probablement freinées pour aller dans ce sens. Et des outils comme les nôtres peuvent à contrario réouvrir le champ des possibles.

Quelles sont les ambitions de Potloc pour les 10 ans à venir ?

Notre pari est celui de la croissance. Nous venons de passer de 30 à 110 collaborateurs ; et je pense que nous serons prochainement 250. Notre vocation est de devenir un acteur international majeur du sampling. Et de faire en sorte que l’usage des réseaux sociaux se diffuse très largement en étant perçu comme une solution de référence pour la recherche marketing. Une des grandes forces de notre technologie est qu’elle s’enrichit. Nous parvenons ainsi à cartographier les différentes communautés à travers le monde. Plus nous avons d’expériences, plus nos algorithmes sont « intelligents » et efficaces, et nous permettent d’être rapides et moins chers. Ce sont d’énormes atouts pour progresser.

« Notre pari est celui de la croissance (…) Notre vocation est de devenir un acteur international majeur du sampling. Et de faire en sorte que l’usage des réseaux sociaux se diffuse très largement en étant perçu comme une solution de référence pour la recherche marketing

D’un point de vue financier, réussir une introduction en bourse — à l’exemple de Criteo ou DataDog — est bien sûr aussi un vrai objectif pour nous. Entendre sonner la cloche à Wall Street, ce serait le rêve ! Sur le plan humain, je suis très attaché à l’idée que Potloc soit fidèle à certaines valeurs d’ouverture, de dynamisme, un lieu sain. Je ne sais plus qui a formulé cette idée, qu’il aimerait que son entreprise offre un environnement équilibré et stimulant, suffisamment pour que ses enfants puissent y travailler. Je la fais complètement mienne !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Rodolphe Barrere

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