Livre Blanc QualiQuanti : L'IA, comment transforme-t-elle les études qualitatives

« Il faut se laisser surprendre par l’IA ! » – Interview de Daniel Bô (QualiQuanti)

20 Fév. 2024

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Avec ce nouveau livre blanc, Daniel Bô (fondateur et PDG de QualiQuanti) livre à la communauté des market researchers un opus qui nous a enthousiasmés, et dont nous recommandons donc vivement la lecture. À la fois synthétique, extrêmement informatif et concret, il traite plus particulièrement de l’usage de l’Intelligence Artificielle dans le domaine des études qualitatives, même si son intérêt déborde certainement de ce périmètre. Son auteur répond aux questions de Market Research News.

MRNews : Vous proposez un nouveau livre Blanc, sur le thème de l’IA. Pourquoi cette initiative ?

Daniel Bô (QualiQuanti) : Depuis la création de QualiQuanti en 1990, je m’intéresse à l’utilisation de la technologie au service des études qualitatives. En 1999, nous avons été parmi les premiers à créer un panel (en même temps que ToLuna et Harris Interactive) avec une approche qualitative (notre signature est « votre avis a de la valeur »). En 2006, j’ai publié un livre blanc intitulé « le Book des études online » avec une partie importante sur les bulletin boards. En publiant « Big Quali » chez Dunod en 2022, l’ambition était de traiter du quali à grande échelle à l’ère du Big Data. Ce livre blanc en est le prolongement avec l’objectif d’explorer l’impact de l’IA sur le quali.

ACCEDER AU LIVRE BLANC > INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (IA) GÉNÉRATIVE : Comment transforme-t-elle les études qualitatives ?

Pour rédiger ce livre blanc, nous nous sommes appuyés sur une veille documentaire – en France et aux Etats-Unis, une cartographie des outils IA dédiés aux études, une série d’expérimentations, dont nous publions certains résultats via des liens. Et enfin des interviews et des suggestions de bêta-lecteurs, qui ont réagi aux premières versions de l’ouvrage.

J’ai ajouté en introduction une partie plus théorique issue d’échanges avec Frédéric Josué. Comprendre comment fonctionne l’IA est utile pour anticiper son potentiel : cf les notions tels que IA statistique Vs symbolique, les transformeurs (le T de GPT), multimodalité et vectorialisation, les tokens, les liens distants, le processus autorégressif. 

Dans ce livre, vous identifiez les apports possibles de l’IA sur 7 stades ou enjeux différents, de la conception du projet à la production des livrables. Pour lesquels l’apport de l’IA vous semble plus particulièrement enthousiasmant ? 

La retranscription « speech to text », la synthèse, la reformulation, la traduction, l’analyse documentaire, la recherche d’images via Google Lens, la génération d’images, la mise en forme, les chatbots, la fonction Describe de Midjourney, qui génère 4 prompts à partir d’une image téléchargée. Tout ce qui permet de se concentrer sur la dimension réflexive et créative des études et d’être augmenté dans le travail de recherche.

Ce qui est remarquable pour le métier des études, c’est le fait que l’IA ait été entraîné avec des dizaines de millions de livres. A nous de savoir mobiliser cette culture générale. Midlibrary avec 4690 styles répertoriés (architectes, réalisateurs, designers, illustrateurs, sculpteurs, peintres, photographes…) est une bonne illustration de cette culture encyclopédique.

Je trouve éclairant ce schéma de Guillaume Durand, head of data de SG, qui explique que les LLM (Large Langage Model), cumulent des fonctions de base (prédire, reconnaître, classer), de génération et transformation de texte (générer, traduire, réécrire) ainsi que d’analyse (résumer, rechercher, extraire). 

Je suis enthousiasmé par l’opportunité de créer en quelques minutes son propre GPT. Brand Spirit est un chatbot alimenté par 15 livres ou études publiés, dont Brand culture et Brand content (Dunod) : https://chat.openai.com/g/g-ErVv3Doer-brand-spirit

A partir de ressources bibliographiques, Elodie Laye Mielczareck a également créé son ChatGPT customisé autour de la sémiologie : https://www.lasemiologie.com/.

Quelles ont été vos plus grandes et plus belles surprises au fur et à mesure de votre découverte de l’IA ? 

L’IA donne l’impression d’avoir une baguette magique. J’adore lui donner à analyser des liens ou des documents non confidentiels (en téléchargement) pour en extraire des éléments saillants. Je trouve génial de pouvoir transformer l’enregistrement d’une conférence en une synthèse intelligente. J’utilise l’outil « Noota« , dont les fondateurs sont installés à la Station F. Regardez cet exemple d’une conférence prospective sur la santé avec :

  • la synthèse structurée – dans un français clair avec des phrases fortes (décomposition du contenu audio, répartition par topic) ;
  • l’accès simultané et interconnecté au son et au texte : on passe facilement de la lecture à l’écoute ;
  • le résumé automatique avec les citations clés, les topics (résumés des différentes parties), les mots clés, les principales questions-réponses, les points clés et insights.

Il y a aussi des fonctions ludiques et créatives comme la fonction blend qui permet de mélanger deux sources d’images pour en créer une troisième.

L’IA favorise l’humour et le détournement. Je suis fan de cet exemple d’autofiction en IA générative créé par Stéphane Gallieni, où il joue avec les codes du luxe à travers un double, qui s’incruste dans les défilés et raconte les tendances de la mode :
https://www.instagram.com/incognito_influencer_project

Voici ce qui a été produit à un événement du Hub Institute, où j’ai demandé à rajeunir et à ressembler à Indiana Jones.

Il y a aussi le fait de pouvoir demander aux consommateurs de produire des UGC (User generated content) avec l’aide de l’IA. Ils peuvent désormais répondre en s’aidant d’outils IA. Voici par exemple l’initiative de Coca-Cola : 

J’adore Polymnia, qui analyse les performances en termes d’expression orale des individus face caméra. Je conseille à tous les lecteurs de MR Research de tester cet outil, qui scrute vos prises de parole et analyse votre charisme avec un compte-rendu détaillé. Deux minutes suffisent pour scanner la performance.

Quels sont éventuellement les points de frustration ?

Ce qui est décevant, c’est quand l’IA produit des données générales et prévisibles. C’est aussi l’omniprésence d’une esthétique pop, criarde, stéréotypée, heroic fantasy avec des images saturées peuplées de cyborg.

Ce qui est frustrant, c’est que l’IA est limitée en nombre de tokens. Cela se traduit par des requêtes infructueuses ou limitées et oblige à découper sa recherche en séquences. Le tableau ci-dessous indique les limites en nombre de tokens des différents outils. Il faut avoir accès au ChatGPT-4 Turbo pour bénéficier de 128 000 tokens (équivalent de 300 pages de texte). L’IA est moins gourmand et plus puissant en anglais qu’en français.

Avec l’IA, le phénomène de « servuction » joue à plein : la qualité de l’expérience repose beaucoup sur les utilisateurs eux-mêmes et la façon dont ils « gèrent » celle-ci. Sur quels usages cela s’applique le plus ? Et quels conseils cela vous inspire ?

Un jour dans un travail d’improvisation pour un feuilleton radio, une phrase est sortie : « Si j’étais deux, on ferait une bonne équipe ». Bon, cela peut paraitre un peu mégalo (rires). Mais le fait est qu’avec l’IA, j’ai l’impression d’être deux et d’avoir un interlocuteur permanent disponible pour échanger, réagir, me relire ou me faire des suggestions. Je le sollicite et je sélectionne ce qui me semble utile. 

« C’est un peu comme l’art d’interviewer mais appliqué à une machine. »

Avec l’IA, il faut multiplier les occasions d’expérimenter, de se former en se concentrant sur ce qui apporte de la valeur ajoutée. Il faut accepter d’utiliser les versions payantes, qui pour l’instant restent très accessibles. Il faut suivre les progrès au jour le jour, se laisser surprendre, s’entraîner et l’entraîner. Je ne trouve pas qu’il y ait une barrière à l’entrée importante pour les usages en quali. C’est un peu comme l’art d’interviewer mais appliqué à une machine. Il s’agit de trouver les bons stimuli (et pas uniquement des prompts) et les bonnes relances.   

J’attends avec impatience la montée en puissance des fonctionnalités de Copilot de Microsoft pour transformer rapidement des documents Word en PPT ou pour mettre à jour des présentations dans un masque actualisé. 

À quelles fausses idées aimeriez-vous tordre le cou avec cet ouvrage ?

Il faut combattre l’illusion que l’IA est capable de traiter des données en vrac et d’en ressortir des choses intéressantes. L’IA est plus efficace si on lui donne des données classées, structurées, organisées. Plus la matière est dispersée, plus il y a du bruit et moins ce qui en ressort est pertinent. La synthèse automatique fonctionne mieux pour une conférence ou une interview individuelle que pour une réunion d’équipe. Si Voc.ai est aussi puissant, c’est qu’il s’appuie sur des données homogènes, les avis des consommateurs des produits achetés en ligne. Il analyse pour une référence précise les avis issus des sites d’e-commerce comme Amazon, Shopify, Ebay, Walmart, Alibaba. L’analyse est facilitée par la pureté des données focalisées sur les réactions à un produit. Le livrable est composé de sept rubriques autour des leviers de vente : profil client, scénario d’utilisation, points de douleur, motivation d’achat, pistes d’amélioration produit, comparaison avec des produits proches. 

Il faut combattre l’illusion que l’IA est capable de traiter des données en vrac et d’en ressortir des choses intéressantes. L’IA est plus efficace si on lui donne des données classées, structurées, organisées.

Je trouve également intéressant de dialoguer avec ChatGPT. A la fin du livre, j’ai mis des réponses à une série de questions envoyées par Isabelle Fabry-Frémaux d’ActFuture. Voici en lien la quasi-intégralité de la discussion. J’ai notamment interrogé l’IA sur ses différences avec le jugement humain puis je lui ai demandé de classer sa réponse dans un tableau. Voici le résultat :

Une dernière question enfin : avez-vous demandé à ChatGPT de résumer votre livre blanc ? Le résultat était-il convainquant ?

Oui, bien sûr ! Voici ce qu’il m’a livré : 

Ça reste assez général mais c’est propre. Dans le lien de la discussion avec Isabelle Fabry-Frémaux, ChatGPT donne des réponses originales concernant l’originalité du livre blanc, les axes qui restent à creuser, la limitation des biais, les synergies entre intelligence humaine et IA, la représentativité, les risques de dépendance…


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