# Le consommateur de 2030 : quelles certitudes ? quelles hypothèses ? (volet 2)
L'interview de Céline Grégoire - Co-fondatrice d'Adding Light

"Le consommateur de 2030 sera à la fois hédoniste et conscient"

Céline Grégoire
Co-fondatrice d’Adding-Light

28 Fév. 2024

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Hédoniste, mais conscient. Ou conscient, mais hédoniste… Pour Céline Grégoire (Adding-Light), ces deux composantes sont en tout cas essentielles pour appréhender le consommateur de 2030 comme celui d’aujourd’hui. L’injonction régulièrement adressée à celui-ci d’être plus « responsable », étant à ses yeux contre-productive. Elle invite ainsi les marques à laisser à d’autres le champ de la morale et de l’idéologie et plaide pour un marketing du micro-geste, pragmatique et résolument connecté aux réalités des gens. L’enjeu de la consumer-centricity des organisations – et donc de la pertinence de leurs propositions – étant plus que jamais d’actualité.

MRNews : Le besoin d’appréhender au mieux le consommateur de 2030 est-il très présente dans les préoccupations des annonceurs ? Sous quels angles l’abordent-ils ?

Céline Grégoire (Adding-Light) : Dans le contexte incertain que l’on connaît, ils s’interrogent sur la façon dont la consommation va évoluer. Une de leurs principales questions sans doute est de cerner les meilleures options pour les accompagner vers une consommation plus responsable. Il y a effectivement beaucoup de doutes sur la cohérence entre les intentions des individus et leurs actes, de nombreuses études pointant un grand écart entre aspirations et réalité, celui-ci pouvant varier selon les secteurs. Je perçois aussi un décalage entre les représentations qu’on peut se faire des consommateurs et la réalité de leurs vécus. Je doute surtout de la pertinence à teinter la consommation d’une certaine morale, parce qu’il y a bien une composante de cette nature dans le terme « responsable ».

Je doute surtout de la pertinence à teinter la consommation d’une certaine morale, parce qu’il y a bien une composante de cette nature dans le terme « responsable ».

Pourquoi cela vous semble-t-il problématique ?

Si morale il y a, je crois qu’il faut l’attendre du côté de l’offre — et donc des marques — plutôt que des consommateurs. Demander à ceux-ci de de « faire bien, mieux ou moins », dans le contexte de tension que connaissent beaucoup de familles, est une injonction assez paradoxale. Elle me paraît culpabilisante, quand 70% des Français déclarent devoir renoncer à des produits devenus trop chers pour eux, et que dans le même temps, ils ne perçoivent pas encore les efforts des entreprises. Quand on les rencontre lors des missions que nous menons, les gens expriment un besoin d’attention et un vrai ras-le-bol face à ces injonctions.

Si morale il y a, je crois qu’il faut l’attendre du côté de l’offre — et donc des marques — plutôt que des consommateurs. Demander à ceux-ci de de « faire bien, mieux ou moins », dans le contexte de tension que connaissent beaucoup de familles, est une injonction assez paradoxale.

Et, par ailleurs, elle ne me semble pas vraiment correspondre aux valeurs qui traversent le champ de la consommation. Consommer, avec l’avènement de la société que nous connaissons depuis maintenant au moins 70 ans, ce n’est pas simplement acheter, manger ou détruire un produit. C’est devenu un des pans principaux de nos vies, dirigé vers la quête de bien-être individuel, dans une société où l’hédonisme est une composante clé. Ce terme de consommation s’appliquant à des domaines aussi différents que ceux de l’alimentation, de la mobilité, de la culture. Consommer est un acte à la fois individuel et collectif, cela veut dire également nourrir des relations avec autrui, et exprimer qui l’on est. Donc, on peut le regretter, mais si le consommateur se sent chargé d’une responsabilité, ce n’est pas, pour la grande majorité, prioritairement vis-à-vis de la planète, mais plutôt et avant tout celle de son propre bonheur, qu’il doit désormais se construire seul, puisque les repères d’antan se sont progressivement effacés.

Consommer, avec l’avènement de la société que nous connaissons depuis maintenant au moins 70 ans, ce n’est pas simplement acheter, manger ou détruire un produit. C’est devenu un des pans principaux de nos vies, dirigé vers la quête de bien-être individuel, dans une société où l’hédonisme est une composante clé.

La consommation de 2030 ne peut être déconnectée de cet hédonisme… 

Non, à moins d’une rupture très forte qui imposerait un autre modèle structurant la société, je ne le pense pas. Et je ne crois pas que l’on puisse rendre le renoncement désirable. Je n’imagine pas que cela puisse être remis en cause dans les années à venir, ni en France ni encore moins dans des pays comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Les consommateurs de 2030 seront donc hédonistes, tout en étant de plus en plus conscients d’un certain nombre d’enjeux, dont celui de la limite des ressources planétaires et des menaces de toutes sortes auxquelles nous devons faire face, qu’elles soient économiques, terroristes, cybercriminelles… Ces consommateurs-là, ils auront en effet besoin d’être accompagnés dans leur quotidien, dans cet hédonisme conscient, et c’est bien là qu’est le rôle des marques et des entreprises. Ce qui peut ouvrir des perspectives très enthousiasmantes pour elles. 

Je ne crois pas que l’on puisse rendre le renoncement désirable (…). Les consommateurs de 2030 seront donc hédonistes, tout en étant de plus en plus conscients d’un certain nombre d’enjeux, dont celui de la limite des ressources planétaires et des menaces de toutes sortes auxquelles nous devons faire face (…)

Et bien sûr l’Intelligence Artificielle occupera une place majeure pour assister les individus dans cette logique d’individualisation et de conscience des enjeux. Elle va fortement façonner les attentes des consommateurs, qui attendront des marques encore plus de pertinence. Des démarchages commerciaux ou des offres à côté de la plaque, vont devenir rédhibitoires !

Quel serait le type d’accompagnement à privilégier ? Voyez-vous des exemples ou des contre-exemples à partager ?

On entend très souvent un discours plaqué, artificiel ; et les consommateurs ne s’y trompent pas. Le vrai accompagnement ne peut pas se limiter à des propos idéologiques et à des incitations à réduire notre empreinte carbone. Il suppose, après avoir ancré la promesse de la marque sur son utilité dans la vie des gens, de dispenser des informations précises sur la nature des composantes utilisées, mais aussi de proposer des notices pratiques sur la réparabilité des produits, d’innover dans les techniques de régénération des déchets ou des produits en fin de vie… Il y a beaucoup à inventer. Dans les exemples qui me semblent intéressants à observer, le premier qui me vient à l’esprit est celui de Decathlon, qui s’est investi sur un concept de magasin où l’on peut acheter leurs produits, mais aussi les faire réparer et demain participer à la production à partir de produits recyclables que l’on pourra ramener en magasin. Cela change le modèle du magasin tel qu’on le connaît. Là on est dans le plaisir et l’utilitaire et non dans l’idéologie ! 

Le vrai accompagnement suppose, après avoir ancré la promesse de la marque sur son utilité dans la vie des gens, de dispenser des informations précises sur la nature des composantes utilisées, mais aussi de proposer des notices pratiques sur la réparabilité des produits, d’innover dans les techniques de régénération des déchets ou des produits en fin de vie…

Cet accompagnement passe au fond beaucoup par le « pratico-pratique »…

Absolument ! Je suis persuadée du bienfondé et de l’efficacité d’un marketing pragmatique. Plus précisément, le grand challenge pour les marques est de parvenir à combiner et articuler le stratégique et le concret. Ce dernier non pas seulement pour réagir, mais pour anticiper en identifiant des tensions s’inscrivant dans les usages des produits ou des services. Ce qui suppose des études conçues pour s’intéresser à ce qui se passe in situ, pour tel ou tel produit, dans telle ou telle circonstance d’achat et d’usages, y compris dans la gestion des déchets. La question du rapport des gens aux objets me semble être un enjeu clé, parfois sous-estimé par les marques. C’est particulièrement vrai dans le contexte que nous vivons, celui d’une transition, où la charge mentale est énorme au quotidien. Ce ne sont souvent que des détails. Mais, lorsqu’on les additionne, ils finissent par peser lourd. Regardez le temps et le stress que génère la gestion des mots de passe, avec la nécessité de plus en plus fréquente de confirmer celui-ci avec un code sur un autre appareil. C’en est à devenir fou !

La question du rapport des gens aux objets me semble être un enjeu clé, parfois sous-estimé par les marques. C’est particulièrement vrai dans le contexte que nous vivons, celui d’une transition, où la charge mentale est énorme au quotidien.

Les contextes sont clés, mais il faut aussi intégrer la composante culturelle, qui passe par plein de dimensions dont la géographie. Les logiques des individus ne sont vraisemblablement pas les mêmes selon qu’ils habitent à Strasbourg ou à Périgueux. Il ne faut pas oublier que le consommateur veut continuer à appartenir à une culture.

Quel serait votre réflexe si un annonceur vous demande de l’aider dans cette logique d’anticipation et d’accompagnement des consommateurs ?

Le point de départ consisterait à mesurer avec lui à quel point les décisions de son organisation et les offres qu’elle propose sont bien « insight driven ». Ne sont-elles pas trop souvent définies dans le cadre de réflexions menées « en chambre » ? Avec Sylvie Lasoen, mon associée, cela nous semble réellement la clé, il faut d’abord et avant tout s’assurer de la Consumer Centricity de l’entreprise, et la faire progresser. C’est essentiel pour rencontrer les vrais soucis et motivations des gens. La pertinence, elle se joue prioritairement là ! 

Il faut d’abord et avant tout s’assurer de la Consumer Centricity de l’entreprise, et la faire progresser. C’est essentiel pour rencontrer les vrais soucis et motivations des gens. La pertinence, elle se joue prioritairement là ! 

C’est aussi un enjeu majeur pour les CMI, pour revaloriser cette fonction. Ils n’ont pas vocation à porter à eux seuls le sujet de la Consumer Centricity, mais ils peuvent s’en faire les premiers ambassadeurs ou même les orchestrateurs, avec le soutien des autres métiers.

Voyez-vous un dernier point à ajouter ?

Peut-être pour enfoncer le clou, je trouve qu’il y a dans l’air du temps et donc y compris dans les réflexions des marques beaucoup d’intellectualisation et de moralisation des sujets. Le consommateur, il fait tout simplement son « job » de consommateur, avec beaucoup de bon sens, de pragmatisme, en visant son bien-être et celui de ses proches sans que cela exclue une forme de conscience. Il sait aujourd’hui que l’on ne peut pas faire n’importe quoi. Je crois qu’il y a lieu d’aborder ces sujets avec lucidité, nous ne sommes certainement pas dans le monde des bisounours ! Nous ne devons pour autant pas surdimensionner le rôle des marques. Mais elles ont des projets enthousiasmants à mener dans le contexte que nous vivons, et nullement l’obligation de succomber à la morosité ! 


 POUR ACTION 

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