# Le Good : bullshit ou vrai cheval de bataille pour les marques ?
Lise Brunet, Directrice d’expertise Tendances & Prospective chez Sociovision

"Le Good est un formidable appel à un renouvellement pour les marques"

Lise Brunet
Directrice d’expertise Tendances & Prospective chez Sociovision

3 Oct. 2022

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Quels que soient les mots utilisés pour l’évoquer — Good ou responsabilité sociétale —, les marques sont bien confrontées aujourd’hui à un défi majeur. Lise Brunet (Sociovision, Groupe Ifop) nous livre sa vision du contexte dans lequel celui-ci doit être appréhendé, et des priorités à adresser par les entreprises et leurs décideurs. Avec, à la clé, la conviction que la crise que nous vivons est aussi une opportunité pour les acteurs qui sauront accompagner la société dans cette transition.

MRNews : Les marques doivent-elles selon vous agir dans le sens de ce Good dont il est tant question ? Et pour commencer, ce mot est-il bien approprié ?

Lise Brunet (Sociovision-Groupe Ifop) : Le terme Good a un inconvénient, il peut sembler minorer l’envergure des enjeux auxquels les entreprises sont confrontées. Mais il est très utilisé, et plus séduisant que celui de « Responsabilité Sociétale » ! Et, au fond, l’idée est bien de tendre vers le mieux. Donc pourquoi pas ? Il recouvre néanmoins des injonctions diverses et variées. Un tri s’impose pour que les acteurs concernés s’y retrouvent face à cette nébuleuse qui prend de plus en plus d’importance. 

Deux notions me paraissent clés. Celle de responsabilité. Mais aussi celle de conscience. L’importance de ces enjeux n’est pas tout à fait perçue par tous, y compris dans la sphère des dirigeants. Il faut poursuivre un effort de sensibilisation. En tant que spécialistes des tendances, nous sommes bien sûr là pour y contribuer. 

Pourquoi les marques doivent-elles répondre à cette injonction ?

Parce qu’elles jouent un rôle central dans nos vies depuis l’essor de la société de consommation. Plusieurs générations ont vécu en parallèle le progrès technique, la montée des libertés individuelles et la possibilité de consommer toujours plus. Les marques sont ainsi devenues des repères majeurs. Par leurs innovations tout d’abord, perçues comme autant de jalons dans l’accès au confort et au plaisir. Elles sont aussi des garanties de qualité. Il est donc logique que nous soyons exigeants vis-à-vis d’elles. La crise du Covid, on le voit dans nos chiffres, a réactivé et amplifié cette attente. Les marques sont aussi de forts marqueurs identitaires. La manière dont on consomme est une façon d’affirmer son identité et sa singularité, dans un contexte de montée en puissance des individualités. Mais aujourd’hui, le modèle de cette société de consommation est profondément remis en cause. Les marques, qui en sont les moteurs, sont donc contraintes de se réinventer. En France, la demande de RSE fait partie des tendances les plus marquantes de ces dernières années : de minoritaire dans les années 90, elle est devenue largement majoritaire au cours des années 2010 et atteint son niveau le plus élevé en 2022.

Les marques jouent un rôle central dans nos vies depuis l’essor de la société de consommation (…). Elles sont devenues des repères majeurs. Par leurs innovations tout d’abord, perçues comme autant de jalons dans l’accès au confort et au plaisir. Elles sont aussi des garanties de qualité. Il est donc logique que nous soyons exigeants vis-à-vis d’elles.

Exit l’idée d’un progrès inéluctable ?

Beaucoup ont l’intuition que les choses sont en train de basculer. Le sentiment de vulnérabilité économique ne cesse de s’amplifier, avec une réelle accélération depuis 2008, ainsi que les tensions que cela génère. Les marques avaient auparavant un puissant pouvoir d’inclusion. Mais nos observations montrent que le terrain de la consommation est de plus en plus vécu comme potentiellement excluant. Il cristallise la peur du déclassement social. Dans le même temps, la question environnementale et climatique est de plus en plus vécue comme une claque, avec un vif sentiment d’urgence — l’idée que la transition écologique a pris du retard — et un corollaire : la montée de l’éco-anxiété, en particulier chez les plus jeunes.

Vous avez évoqué la montée de l’individualisme. N’y-a-t-il pas aussi un fort courant égalitariste dans notre société ?

La montée en puissance des individus s’accompagne surtout d’une vigilance renforcée et d’un esprit critique plus aiguisé vis-à-vis des marques. Les consommateurs ont une aversion de plus en plus forte à l’égard du risque et de l’imprévu. Ils exigent donc des marques qu’elles les prémunissent d’un certain nombre de dangers, en premier lieu ceux qui concernent leur santé. Dans les secteurs alimentaires, de l’hygiène-beauté ou encore du textile, cela se traduit par une attente de labels, qui contribuent à rassurer. Dans les études que nous réalisons, je suis frappée du regard que portent désormais les consommateurs sur les produits. Ils interrogent spontanément les processus de fabrication, l’amont puis l’aval. Quels sont les ingrédients ou les composants ? D’où viennent-ils ? Comment sont-ils élaborés et mis en œuvre ? Avec une préoccupation spéciale pour la gestion des déchets. Les nouvelles générations de consommateurs adoptent des attitudes d’experts, tout en ayant une conscience grandissante de leur pouvoir d’influence. Ils entretiennent de fait une relation plus horizontale avec les marques.

Les nouvelles générations de consommateurs adoptent des attitudes d’experts, tout en ayant une conscience grandissante de leur pouvoir d’influence. Ils entretiennent de fait une relation plus horizontale avec les marques.

Imaginons que vous vous retrouviez face à un patron de marque quelque peu perplexe sur la façon d’adresser ces enjeux. Quels messages clés lui délivreriez-vous ?

J’essaierai d’abord de le sensibiliser à l’état de la société et à ses transformations sur la période récente. Qu’elle soit considérée comme prioritaire ou non, la crise écologique est quasiment dans toutes les têtes, particulièrement dans celles des plus jeunes. On sait désormais qu’elle va nous impacter au quotidien. A cela s’ajoute une crise du sens. Les gens s’interrogent sur le sens de leur métier, de leur vie. Et le sentiment de vulnérabilité que nous avons évoqué est de plus en plus vif. 

Il faut bien cerner et hiérarchiser les attentes qui se cachent derrière ce terme de RSE, qui englobe beaucoup de choses très différentes et reste flou. L’enjeu environnemental est certes très présent. Mais la question humaine et sociale est autant, voire plus présente. Or, on a tendance à oublier ce pilier social, en se focalisant parfois exclusivement sur la composante Green. En réalité, c’est la marque employeur qui est la plus challengée aujourd’hui. Avec une attente très forte :  que les entreprises améliorent les conditions de travail et contribuent au développement local, qu’elles participent à faire vivre leur territoire. Lorsqu’on demande aux jeunes actifs s’ils seraient prêts à travailler pour des entreprises qui ne respectent pas leurs valeurs, ils disent majoritairement non ! La crise du Covid a fortement accéléré cela. On parle beaucoup du phénomène de « Grande démission ». S’il faut relativiser celui-ci, il est néanmoins emblématique d’un changement dans la vision des rapports de force entre employeurs et salariés.

On a tendance à oublier le pilier social, en se focalisant parfois exclusivement sur la composante Green. En réalité, c’est la marque employeur qui est la plus challengée aujourd’hui.

Comment les consommateurs et les citoyens jugent-ils les entreprises ?

Ils ont le sentiment qu’elles fournissent des efforts… et qu’elles doivent aller encore plus loin. Les entreprises et les marques sont surtout confrontées à un enjeu de crédibilité et de légitimité. Les études pointent un paradoxe. Les gens demandent que les entreprises tiennent compte des enjeux sociaux, humains, environnementaux, sociétaux, et qu’elles prennent des engagements, mais ils sont rarement en mesure de le vérifier ! Ils attendent donc avant tout qu’elles fassent preuve de cohérence à l’échelle de leur organisation et dans les territoires où elles sont présentes. Le point important est que les consommateurs ont aussi et surtout besoin que les marques les accompagnent dans la transition vers de nouveaux modes de vie. Ils sont conscients qu’ils doivent évoluer mais se sentent assez impuissants. D’où ce besoin d’aide pour adopter de nouveaux usages. Les dirigeants jouent un rôle essentiel pour engager ces dynamiques de transformation. Depuis 2019, plus de 600 entreprises ont adopté le statut d’entreprise à mission. Les Français connaissent encore peu ce statut, mais lorsqu’on leur explique, ils se montrent très positifs, en particulier les jeunes actifs.

Les consommateurs ont (…) besoin que les marques les accompagnent dans la transition vers de nouveaux modes de vie. Ils sont conscients qu’ils doivent évoluer mais se sentent assez impuissants. D’où ce besoin d’aide pour adopter de nouveaux usages.

Ces transformations sont difficiles à mettre à l’œuvre, on l’a vu avec le cas Danone…

C’est vrai. Cela oblige à de fortes remises en question et suppose parfois de changer de modèle et d’organisation. La question de l’innovation est, à ce titre, centrale. Deux secteurs ont été les premiers à s’engager et à accompagner les consommateurs. L’alimentaire, et celui de la distribution. L’un et l’autre touchent de très près les préoccupations des gens au quotidien. Comment je mange ? Comment je traite les déchets ? C’est là que sont apparus des labels, des organisations en circuit court, les applications permettant de regarder la composition, les apps zéro déchet, le score carbone, etc. Des outils pour changer les usages.

On voit par ailleurs naitre des mouvements d’entreprises qui réfléchissent ensemble. Je pense notamment à France Active avec les entrepreneurs engagés. Ou à l’Université d’été de l’économie de demain, qui a donné lieu à des prises de position fortes sur le fait qu’il faut organiser la sobriété. Des collectifs de salariés, distincts des syndicats, se mettent également en place au sein même des entreprises, notamment dans les domaines de l’énergie ou de l’assurance, pour faire évoluer la RSE. Il est intéressant de scruter les changements qui s’opèrent sur ces modes plus collaboratifs.

Venons-en aux responsables Etudes / Insight dans les entreprises. Quel rôle peuvent-ils jouer ? Quels chantiers doivent-ils mener autour de ces enjeux ?

Il me semble intéressant pour eux d’intégrer et d’articuler différentes briques de connaissance. D’abord une bonne appréhension des tendances transversales à l’ensemble de la société, celles qui concernent toutes les entreprises, avec une vision claire de la façon dont elles se hiérarchisent. La seconde brique est de bien cerner les attentes spécifiques au secteur où opère l’entreprise. Les priorités ne sont pas partout les mêmes. Il faut ensuite essayer de comprendre ce qui fait écho à la personnalité de la marque elle-même, à son identité. Et déterminer les tendances sociétales sur lesquelles l’entreprise et la marque ont une vraie légitimité à s’engager. L’opportunisme n’est pas la meilleure option…

Plus précisément, quelles études doivent-ils réaliser ? 

Les études comme celles que nous menons chez Sociovision, sur le suivi des tendances, avec une dimension sociologique et prospective correspondent à cette première brique que j’évoquais. Elles permettent de mesurer objectivement la dynamique de ces sujets dans la société, de distinguer les sujets incontournables des émergences. 

Elles doivent s’intégrer dans une bonne compréhension de l’opinion, de ce que pensent les gens, les salariés, et de la façon dont ils perçoivent les actions des entreprises. Il me semble également très intéressant de repérer le décalage entre les intentions et les comportements. Un excellent indicateur pour les marques puisqu’il révèle les changements d’usages à accompagner en priorité. La troisième brique traite plus directement les enjeux de brand management, avec tous les outils permettant d’orienter la stratégie de la marque et d’aider à formuler sa raison d’être. Il y aussi une large place pour des études plus tactiques et celles qui consistent à mesurer en continu la perception des actions de la marque auprès de ses populations affinitaires. 

Voyez-vous un dernier point à ajouter ?

Oui, pour évoquer le fait que le Groupe Ifop est très présent sur ces enjeux. Ifop a lancé le premier observatoire du développement durable en 2002, il y a donc 20 ans ! Depuis 2021, le baromètre des marques engagées suit notamment le score d’engagement de plus de 170 marques. Côté Sociovision, nous appréhendons les tendances de fond avec nos observatoires de valeurs, de modes de vie et de consommation. Ces ressources sont partagées au sein du groupe Ifop. Nous fonctionnons avec un réseau d’experts internes. Dans chaque pôle sectoriel et pour chaque métier, un expert est en mesure de traiter les problématiques des entreprises avec un prisme RSE.

J’ajouterais enfin que nous entrons dans une période qui secoue les entreprises. Mais elle constitue aussi une réelle opportunité, un appel à un formidable renouvellement. Les marques qui parviendront à être les acteurs de cette transformation — et à accompagner les gens dans celle-ci — seront les vrais repères de demain.

Nous entrons dans une période qui secoue les entreprises. Mais elle constitue aussi une réelle opportunité, un appel à un formidable renouvellement. Les marques qui parviendront à être les acteurs de cette transformation — et à accompagner les gens dans celle-ci — seront les vrais repères de demain.


 POUR ACTION 

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