L’annonce de la cession du Groupe Ifop avec l’arrivée de LFPI en tant que nouvel actionnaire majoritaire fait partie des évènements marquants de ces derniers mois dans le paysage des études marketing. Pourquoi ce changement ? Et quelles en sont les implications pour cet acteur clé, qui a été le premier institut créé en France ? Son CEO, Stéphane Truchi, répond aux questions de Market Research News.
MRNews : Il y a quelques semaines, LFPI est devenu le nouvel actionnaire majoritaire du Groupe Ifop. Dans quel contexte cette cession est-elle intervenue ?
Stéphane Truchi (Groupe Ifop) : Un changement d’actionnaire est toujours un évènement important dans la vie d’une entreprise. Celui-ci ne déroge pas à la règle. Nous vivons la fin d’un cycle qui a duré 6 ans, avec Dentressangle et la holding de Pierre Pigeon, après que Laurence Parisot ait vendu ses parts fin 2016. Celui-ci est intervenu après une phase de reconstruction de notre groupe. Nous avions notamment pris la décision de céder nos filiales en Argentine et au Canada pour nous concentrer sur le redéploiement d’Ifop, qui était un peu une belle endormie. Et d’être présent en Chine, ce qui était un choix stratégique majeur. Dentressangle et Pierre Pigeon sont arrivés au moment où nous avions besoin de redonner un nouveau souffle à l’entreprise, avec une meilleure assise financière. De fait, cela a été une superbe réussite. Entre 2017 et 2022, nous avons réalisé 50% de croissance, soit 4 fois plus que la moyenne du marché. Nous avons à la fois consolidé l’activité et sommes repartis dans une dynamique de conquête, avec l’acquisition en 2019 d’une société – Sociovision — ce qui ne s’était pas produit depuis longtemps, et l’ouverture de notre filiale américaine en 2020.
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À l’issue de ces 6 ans, nos actionnaires ont considéré que c’était le bon moment pour eux de vendre leurs parts, et de pouvoir ainsi réaliser une belle opération. Cela correspond aussi à un choix stratégique de la part de Dentressangle, qui souhaite désormais concentrer son portefeuille sur des entreprises de plus grande taille. De notre côté, nous devions passer à une nouvelle étape de développement. Nous avons donc consacré le temps nécessaire, depuis septembre l’an dernier, pour trouver l’acteur le plus susceptible de nous accompagner.
Pourquoi LFPI ?
LFPI est un fonds français et qui présente un profil très rassurant. Son parti-pris est d’accompagner les entreprises dans la durée. Nous ne sommes pas dans la course à la performance à tout prix, mais plutôt dans un LBO prudent, raisonnable, notre équipe managériale étant présente dans l’actionnariat. Nous avons défini un business plan en concertation avec LFPI, autour d’un projet dans lequel nous croyons. Et nous sommes bien dans une perspective de croissance, LFPI ayant une assise financière environ trois fois supérieure à celle de notre actionnaire précédent. Ce changement intervient dans une phase où nous sommes en bonne santé, ce qui est un facteur très favorable. 2022 sera une des meilleures années dans l’histoire du Groupe Ifop, avec 10% de croissance. Nous réalisons un bon premier exercice aux États-Unis, et nous connaissons une très bonne dynamique en Chine avec le rebond post-Covid19, où nous dépassons les objectifs que nous nous étions fixés. Cette transition a été actée au moment où nous faisons l’acquisition d’Occurrence.
Celle-ci se fait selon le modèle d’intégration auquel nous sommes attachés, où les entreprises et les marques qui nous rejoignent conservent l’ADN et le champ qui leur est propre. Occurrence, comme Sociovision précédemment, sont ainsi venues compléter très opportunément nos compétences.
Qu’est-ce que cela change fondamentalement dans les perspectives du Groupe Ifop ?
Nous avons plus que jamais un objectif de croissance, avec un nouveau projet comportant trois axes majeurs. Le premier est capital, c’est notre développement international. Il passe par le déploiement mondial de notre activité Beauty et Luxe. En étant présents aux États-Unis pour l’Amérique du Nord, en Chine côté Asie, et bien sûr en France pour ce qui est de l’Europe, nous couvrons l’ensemble des plus gros marchés du cosmétique. C’est l’occasion pour nous de lancer une organisation matricielle Beauty Worldwide, animée par Laure Friscourt. Cela constitue un élément décisif pour le futur du Groupe, l’idée étant de conforter encore le leadership que nous avons bâti sur ces catégories stratégiques.
Nous avons plus que jamais un objectif de croissance, avec un nouveau projet comportant trois axes majeurs. Le premier est capital, c’est notre développement international. Il passe par le déploiement mondial de notre activité Beauty et Luxe.
Nous allons également continuer à développer notre activité Banque-Finance-Assurance. La perspective est de prolonger ce que nous avons fait cette année avec la mise en place d’une équipe dédiée, sous la direction d’Estelle Thomas. C’est un domaine sur lequel nous disposons d’une forte légitimité, du fait des aspérités de la marque Ifop et des compétences sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Et nos résultats 2022 sont très positifs, avec de beaux référencements auprès de comptes majeurs. Ce travail, qui s’étend au-delà du secteur BAF à l’univers des services, se combine avec l’exploitation de notre expertise autour de la RSE.
Nous allons également continuer à développer notre activité Banque-Finance-Assurance. La perspective est de prolonger ce que nous avons fait cette année avec la mise en place d’une équipe dédiée, sous la direction d’Estelle Thomas.
Ifop fait partie des premiers instituts à s’être intéressé à ces enjeux, Lise Brunet (Sociovision) l’a évoqué il y a peu dans le cadre de notre dossier consacré au « Good ». Est-ce un champ stratégique pour Ifop ?
Absolument ! Lise (Brunet) l’a rappelé à juste raison, nous avons été précurseurs sur ces sujets. Nous avons notamment été les premiers à créer un Observatoire du Développement Durable, en 2002. À l’époque, Ifop était un peu seul pour parler de cela, ça laissait pas mal de gens perplexes ! Nous n’avons jamais cessé d’y travailler, et avons acquis une énorme expertise sur cette problématique de la responsabilité des marques et des entreprises, avec des baromètres dédiés à ces questions. Occurrence est également très impliqué sur ces sujets avec Assaël Adary, son fondateur. C’est aussi vrai pour Sociovision, qui dispose d’une connaissance et d’une banque de données exceptionnelles. Romain Bendavid, dans le cadre de son expertise Corporate et Work Experience, a développé une activité importante autour de l’engagement responsable des entreprises. Donc oui, clairement, cela constitue un champ prioritaire pour le Groupe Ifop.
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Le troisième grand axe de développement, c’est Occurrence, avec son activité historique, celui de l’évaluation des dispositifs de communication ainsi que le conseil associé à ces enjeux. Et, dans la même « orbite », notre filiale Deep Opinion, qui nous permet d’intervenir dans le domaine du Social Listening. Cela fait partie des univers où nous souhaitons renforcer notre présence.
Le troisième grand axe de développement, c’est Occurrence, avec son activité historique, celui de l’évaluation des dispositifs de communication ainsi que le conseil associé à ces enjeux. Et, dans la même « orbite », notre filiale Deep Opinion, qui nous permet d’intervenir dans le domaine du Social Listening.
Ce projet de croissance passera-t-il par des acquisitions ?
Oui, c’est quasi-certain. Nous avons plusieurs dossiers entre les mains, et nous étudierons avec LFPI les opportunités de croissance externe. L’idée n’étant pas de grossir pour grossir, mais plutôt d’aller chercher des lignes d’activités et d’expertise complémentaires aux nôtres. Nous allons donc sans aucun doute regarder du côté du social listening, ou de champs connexes. Mais nous n’irons vraisemblablement pas vers celui de la « Tech » à proprement parler. Ce n’est pas dans notre cadre, et les difficultés qu’éprouvent les grands groupes à faire vivre ces expertises chez eux ne nous y incitent pas. L’axe géographique sera très certainement présent dans cette croissance, en particulier pour consolider notre business aux USA ou en Asie. Il y a sans doute aussi de très belles choses à faire pour nous dans le prolongement de notre activité IQ – Inspiring Qual. Celle-ci est à la croisée du quali, des études prospectives et du planning stratégique, avec une forte dimension internationale de par le background d’Ilana Dupeyron, qui porte celle-ci chez nous. Cela fait également partie des axes que nous avons envie de développer.
Quels sont les autres grands chantiers du moment pour Ifop ?
Isabelle Grange mène un gros travail autour de la marque Ifop, sur sa cohérence, sa présence digitale, ainsi que sur le volet employeur. Nous sommes aujourd’hui très forts sur le plan corporate. Cela se traduit notamment par le nombre de sondages que nous publions, et par le volume des connexions à notre site. Pendant les dernières élections, nous avons passé la barre des 1 600 000 visites, ce qui est incroyable lorsqu’on ramène ça à la taille de notre entreprise. Nous sommes très présents sur les canaux digitaux, y compris avec des émissions sur Twitch.tv. Nous devons désormais transposer cette force à notre marque employeur. Et nous allons également engager un gros projet de transformation de notre espace de travail, Ifop Work. Avec une refonte de l’organisation de nos locaux, qui coïncide avec l’arrivée des équipes d’Occurrence.
Comme vous le voyez, beaucoup de sujets nous occupent. Nous avons beaucoup d’envies, il y a énormément de créativité dans les équipes. Et je ne veux surtout pas freiner celle-ci, mais au contraire l’encourager au maximum. Elle fait partie du charme d’Ifop. Nous avons des atouts considérables, avec cet ensemble de compétences que j’ai évoquées, mais aussi une équipe de direction extrêmement stable. Et des personnalités fortes dont le rayonnement intellectuel est réel dans la société. C’est précieux pour nous d’avoir aujourd’hui un actionnaire qui nous permet de créer tout en nous donnant les moyens de le faire.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé : @ Stéphane Truchi