Interview d'astaël Adary, Président d'Occurrence

« Mesurer, c’est mettre ou remettre de la rationalité dans un monde qui en manque » – Interview d’Assaël Adary, Président d’Occurrence

22 Mai. 2022

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En rejoignant le Groupe Ifop, le cabinet spécialiste des études de communication Occurrence a ouvert il y a quelques semaines un nouveau chapitre de son histoire, qui a démarré en 1995. L’occasion était donc toute désignée pour revenir avec son président et cofondateur Assaël Adary sur les grandes lignes de celle-ci, ainsi que sur la vision qui l’a inspirée et le pourquoi de cette opération. Il répond en exclusivité aux questions de Market Research News.

L’intégration de votre société au sein d’Ifop est l’occasion de revenir sur le parcours de celle-ci. Quelles en sont les grandes lignes ? Et d’abord pourquoi avoir créé Occurrence ?

Assaël Adary (Occurrence) : Nous avons créé Occurrence en 1995 avec Benoit Volatier alors que nous étions encore étudiants au Celsa, tous deux responsables de la Junior Entreprise. Nous étions frappés du fait que la communication était le parent pauvre dans le domaine des études. Il n’en était quasiment jamais question dans les cas sur lesquels s’appuyaient nos enseignants. Il y a au fond un paradoxe autour de cette fonction, qui estime ne pas être suffisamment reconnue et légitime, tout en considérant que l’effet de ses actions n’est pas mesurable. Bien sûr, il y a les posts tests, mais ce budget relève le plus souvent du marketing et non des directions de communication corporate. Nous avons eu quelques demandes à la Junior Entreprise, comme par exemple l’évaluation des retombées presse dans le monde automobile. Puis d’autres, de même nature. C’est ce qui nous a décidé à créer notre structure, avec un crédo qui était « toute la communication rien que la communication ». De fait, cela représentait un univers déjà très large, avec la communication interne, les relations presse, les relations publiques, le sponsoring… Nous avions notre terrain de jeu. 

Nous avons créé Occurrence en 1995 avec Benoit Volatier alors que nous étions encore étudiants au Celsa, tous deux responsables de la Junior Entreprise. Nous étions frappés du fait que la communication était le parent pauvre dans le domaine des études.

La croissance est-elle venue rapidement ?

Oui. Il y avait parfois des blocages d’ordre culturel, avec des agences de communication qui préféraient être juges et parties plutôt que devoir subir la présence d’un intermédiaire entre eux et leurs clients. Mais quelques-unes ont perçu le caractère innovant de notre approche, et compris qu’il y avait des avantages à pouvoir s’appuyer sur une sorte de tiers de confiance. Du côté des annonceurs, les équipes ont elles aussi jugé que nous pouvions être des alliés. Précisément pour pouvoir renforcer leur légitimité, objectiver la valeur ajoutée de leurs actions. Au fond, nous avons un peu un rôle de traducteur. Dans un monde qui se focalise beaucoup sur des enjeux très qualitatifs, nous apportons les chiffres qui permettent d’obtenir des arbitrages favorables d’un COMEX. Et de réorienter leur travail si besoin. Par ailleurs, nous avons la chance d’être sur un univers qui innove beaucoup. De nouvelles options ou de nouveaux formats apparaissent en permanence, et les acteurs ont toujours la crainte de rater le bon wagon. Ce qui génère ainsi des besoins d’études importants, avec la mise en place de nouveaux KPI.

Au fond, nous avons un peu un rôle de traducteur. Dans un monde qui se focalise beaucoup sur des enjeux très qualitatifs, nous apportons les chiffres qui permettent d’obtenir des arbitrages favorables d’un COMEX. Et de réorienter leur travail si besoin.

Les enjeux RSE ont également constitué un point de bascule. Nous avons pris ce virage très tôt, depuis 2010. Je me suis beaucoup impliqué sur ce sujet, et notamment sur l’application de la norme Iso 26000 dans la communication. J’y ai même consacré un livre. On est là encore dans la mesure des impacts, mais élargie à des aspects sociaux et environnementaux. Le but est toujours d’optimiser le ROI des entreprises et de leurs actions, mais sans chercher à le maximiser à tout prix en dégradant tout le reste. Nous avons ainsi créé une verticale sur ces sujets. Et cette logique s’est prolongée, avec la définition de KPI sur la notion de raison d’être d’une marque. Si une marque ne sait pas mettre des KPI sur sa raison d’être, c’est vraisemblablement parce que celle-ci n’est pas suffisamment « transformative ».

Si une marque ne sait pas mettre des KPI sur sa raison d’être, c’est vraisemblablement parce que celle-ci n’est pas suffisamment « transformative »

Y a-t-il eu d’autres étapes clés dans l’histoire d’Occurrence ?

Même si notre croissance s’est plutôt faite de façon progressive, en mode incrémental, la composante internationale a joué un rôle important. Nos clients sont français à 90% ; mais l’international pèse pour 50% des collectes de données que nous réalisons. Nous travaillons beaucoup en particulier pour la Commission Européenne, ce qui nous a amenés à ouvrir un bureau à Bruxelles. C’est une institution qui est très « mesureuse » dans le bon sens du terme. Elle finance des campagnes de communication de grande envergure, mais avec l’exigence d’une mesure de l’efficacité des actions. Pas de KPI, pas d’argent. Ce qui est complètement en phase avec notre philosophie.

Même si notre croissance s’est plutôt faite de façon progressive, en mode incrémental, la composante internationale a joué un rôle important. Nos clients sont français à 90% ; mais l’international pèse pour 50% des collectes de données que nous réalisons.

L’élaboration d’outils de comptage des manifestants a constitué une autre étape importante. C’est une vraie fierté pour nous d’avoir inventé une approche non partisane, permettant d’avoir des chiffres plus fiables que ceux communiqués par l’organisateur ou la Préfecture de Police. Cette initiative s’inscrit au fond dans cette démarche RSE que nous évoquions. En tant que « mesureurs d’opinion », que pouvons-nous « craquer » au service de la démocratie ? C’est cette question-là qui nous a amenés à travailler sur ce sujet, dès 2012. Mais notre visibilité a monté d’un très gros cran vers 2017, lorsque les médias s’y sont intéressés et que nous avons noué des partenariats avec eux. C’est le cas notamment avec Thomas Legrand sur France Inter puis l’AFP. Mais le monde avait aussi beaucoup évolué entre ces deux dates… La post-vérité et les « faits alternatifs » se sont largement imposés, avec la nécessité pour les médias d’avoir des fact-checkers…

L’élaboration d’outils de comptage des manifestants a constitué une autre étape importante dans l’histoire d’Occurrence (…). En tant que « mesureurs d’opinion », que pouvons-nous « craquer » au service de la démocratie ? C’est cette question-là qui nous a amenés à travailler sur ce sujet.

« Il n’y a pas de progrès sans mesure » est une formule que vous utilisez régulièrement. Derrière ces mots, il y a une certaine vision des choses…

Nous devons rester modeste, mais, en effet, mesurer n’a rien d’anodin… C’est mettre ou remettre de la rationalité dans un monde qui en manque souvent, et ne sait parfois plus bien où il va. Les instituts d’études ont un super rôle à jouer en ce sens, c’est un vrai combat, pour nous ou l’Insee ou tous ces acteurs qui produisent de la donnée publique. Mais c’est vieux comme la philosophie ! Un personnage de Platon, Protagoras, affirme que « l’homme est la mesure de toute chose ». Quand Trump prétend que le réchauffement climatique n’existe pas, au motif qu’il neige aujourd’hui à New York, c’est la même idée. 

Mesurer n’a rien d’anodin… C’est mettre ou remettre de la rationalité dans un monde qui en manque souvent, et ne sait parfois plus bien où il va. Les instituts d’études ont un super rôle à jouer en ce sens, c’est un vrai combat, pour nous ou l’Insee ou tous ces acteurs qui produisent de la donnée publique.

Une autre formule que nous aimons bien emprunter est celle du physicien Niels Bohr : « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas ». Bien sûr, les phénomènes existent. Mais en les objectivant, avec une temporalité, une abscisse et une ordonnée, nous les faisons advenir au monde. Quand on reçoit un faire-part de naissance, qu’apprend-on ? Le prénom du bébé, la date et l’heure, son poids, sa taille… Nous sommes dans la même logique lorsque nous objectivons l’existence de tel ou tel phénomène. Cela revêt un intérêt particulier dans un univers comme celui de la communication, où l’impact sur le chiffre d’affaires n’est pas direct. Si une entreprise sponsorise une équipe cycliste, quelles sont les retombées ? A priori, elles semblent difficiles à appréhender. Mais cette initiative a potentiellement des effets, que ce soit sur la notoriété ou la préférence de marque, et donc sur les ventes à plus ou moins brève échéance. C’est mesurable !

Une autre formule que nous aimons bien emprunter est celle du physicien Niels Bohr : « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas ». Bien sûr, les phénomènes existent. Mais en les objectivant, avec une temporalité, une abscisse et une ordonnée, nous les faisons advenir au monde.

Les études quantitatives sont-elles prédominantes dans l’activité de la société ?

Non, notre activité Etudes se répartit en fait quasiment à parts égales entre les études quantitatives, les approches qualitatives et l’analyse de contenu. Mais 40% de nos revenus proviennent de notre activité de conseil, qui est de l’Evidence Based Consulting pour reprendre le terme anglo-saxon. Nous ne sommes pas rémunérés pour être des sachants, nous initions systématiquement une phase d’objectivation pour aider les entreprises à définir une stratégie, et ensuite à la piloter. 

Depuis la naissance d’Occurrence en 1995, la révolution du digital est passée par là. Est-ce que cela n’a pas tout chamboulé pour vous ?

Le digital a eu un fort impact sur la question du comment, mais pas sur les fondamentaux. Il faut toujours mesurer la performance non pas dans l’absolu, mais au regard d’objectifs précis. Prenons l’exemple d’une marque qui voudrait produire des podcasts. Très bien, mais pour qui ? pourquoi ? Si l’on n’a pas de réponses à ces deux questions, on ne va pas savoir définir l’outil de mesure. En revanche, l’impact est énorme sur les outils et le rapport au temps. A la fois dans les phases de collecte, d’observation, et de production des livrables. Avec le digital, les entreprises se sont dotées de beaucoup d’outils d’alertes, de reporting. Mais elles ont besoin de mieux hiérarchiser les phénomènes. Elles sont donc preneuses d’analyses avec un regard humain, ce que nous leur apportons. Et aussi de tableaux de bord, de dashboarding, qui est une activité que nous avons fortement développée. Là, notre rôle est d’agréger des données — produites par nous ou bien plus souvent par d’autres acteurs — pour élaborer le cockpit de pilotage de la fonction communication. Le dashboarding, la datavisualisation, ce sont des domaines sur lesquels nous nous sommes pas mal investis déjà, mais énormément de choses restent à faire. Nous allons lancer dans quelques mois une innovation importante, avec un logiciel en mode SaaS, pour répondre notamment aux besoins des petites structures. Ainsi qu’un observatoire des pétitions. C’est la vertu de notre statut de spécialiste de la communication, cela nous oblige à innover en permanence, et c’est tant mieux ! 

Le digital a eu un fort impact sur la question du comment, mais pas sur les fondamentaux. Il faut toujours mesurer la performance non pas dans l’absolu, mais au regard d’objectifs précis.

Notre filiale Deep Opinion, qui est spécialisée dans la veille digitale, l’influence et l’e-réputation, est née des besoins générés par cette digitalisation pour les entreprises. Sa création était une forme d’excroissance logique d’Occurrence.

Venons-en à cette opération d’intégration. Pourquoi Ifop ?

Nous avons eu beaucoup de propositions. Mais le projet IFOP nous est clairement apparu comme étant le meilleur. Il nous a semblé très respectueux, humaniste, précautionneux tant vis-à-vis de la marque et des équipes que de moi-même. L’exemple de l’intégration de SocioVision était aussi un témoignage extrêmement intéressant de la façon dont les choses pouvaient se passer dans les faits. 

Le projet IFOP nous est clairement apparu comme étant le meilleur. Il nous a semblé très respectueux, humaniste, précautionneux tant vis-à-vis de la marque et des équipes que de moi-même.

Nous venons d’évoquer ces innovations sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui. Intégrer l’Ifop fait tout particulièrement sens sur ces enjeux, cela permet de renforcer considérablement leurs chances de réussite et leur rayonnement. Cette logique d’enrichissement, d’empowerment est vraiment essentielle. Par ailleurs, beaucoup de nos collaborateurs ont une forte ancienneté chez nous. C’est important de leur ouvrir des opportunités, et cette opération y contribuera. La présence de l’Ifop, en Chine et aux États-Unis constitue également un point majeur, de même que son ADN très européen avec l’Eurobaromètre en particulier. Au-delà de ça, il y a une rencontre humaine, le partage d’une vision. Une partie de la vente d’Occurrence nous permet d’investir dans Ifop, ce qui est aussi un signe fort de cette congruence. Il y a enfin une forme d’exigence intellectuelle, qui se traduit par des publications extrêmement qualitatives, avec des figures comme celles de Jérôme Fourquet et Frédéric Dabi. Nous nous retrouvons complètement là-dedans.

Nous venons d’évoquer ces innovations sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui. Intégrer l’Ifop fait tout particulièrement sens sur ces enjeux, cela permet de renforcer considérablement leurs chances de réussite et leur rayonnement. Cette logique d’enrichissement, d’empowerment est vraiment essentielle.

La marque Occurrence continuera à exister, les équipes restent en place, et vous conservez vos fonctions. Qu’est-ce que cette intégration va changer pour vos clients ?

Ils vont bénéficier d’une part de notre plus grande capacité à innover et donc à répondre à leurs besoins. Mais ils vont également accéder à une palette extrêmement large de solutions techniques, assurant à la fois de la fiabilité, mais aussi beaucoup de réactivité. La Chine, c’est aussi un vrai plus, d’autant qu’il y a un double enjeu difficile à adresser. Il faut parvenir à collecter des données fiables, mais encore faut-il pouvoir comprendre ce qu’il y a à en tirer. Cette intelligence culturelle ne s’improvise pas, et elle fait partie des assets importants de l’Ifop. 

Ces points, ce ne sont pas seulement des mots. Depuis que nous avons signé notre accord, nous travaillons ensemble sur 5 projets, auprès de clients historiques d’IFOP ou d’Occurrence. Et sur certains d’entre eux, nous n’aurions pas été en mesure de répondre si nous avions été seuls. 

Nos clients appartiennent à différents univers, dont celui des collectivités, de la banque-assurance, de la santé,… Mais nous n’intervenons que très peu dans le domaine de la grande consommation, alors même qu’une bonne partie des acteurs ont des enjeux réputationnels forts. L’intégration d’Ifop, qui est très présent auprès d’eux, ouvre bien sûr des opportunités intéressantes sur ces sujets.

Une dernière question enfin : qu’est-ce qui vous fera dire dans 5 ou 10 ans que cette opération est un succès ?

Il y a naturellement une composante de volume d’activité, avec l’idée d’utiliser les ressources d’Ifop et de vendre des solutions à des clients Ifop. Si nous parvenons à conserver cet esprit maison, à le transposer et en faire en sorte qu’il irrigue le groupe, ce sera un point clé. Le business est important, mais le hors business aussi. Je pense en particulier à cette sensibilité très forte aux enjeux RSE, qui se traduit par le fait que nous soyons engagé dans la norme Iso 26000. Mais également à notre proximité avec bon nombre d’institutions académiques. J’inclus dans ce « hors business » l’aspect RH, avec le développement des compétences et la mobilité interne pour nos équipes. J’ajouterai un troisième et dernier point sur l’enjeu Europe, sur lequel je suis certain que nous avons de belles choses à faire ensemble. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Assaël Adary

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