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« Les marques ont sacrément intérêt à savoir ce que les IA disent d’elles ! » – Interview d’Assaël Adary (Occurrence groupe Ifop)

14 Oct. 2025

Interview d'astaël Adary, Président d'Occurrence, groupe Ifop

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Les intelligences artificielles conversationnelles ne se contentent plus de répondre aux questions : elles orientent nos choix, nos opinions… et bientôt massivement nos préférences de marques. Pour Assaël Adary, Président d’Occurrence (Groupe Ifop), l’IA devient ainsi un véritable prescripteur — un “super leader d’opinion” qui influence déjà la manière dont les consommateurs, les candidats ou les citoyens perçoivent les entreprises.
Que peuvent faire les marques pour composer avec cette nouvelle donne ? Doivent-elles craindre ou apprivoiser cette puissance d’influence et si oui comment ? Assaël Adary nous livre ses réflexions et présente le dispositif élaboré par Occurrence, ‘BtoAIFootPrint’, pour aider les marques sur cet enjeu clé.

MRNews : Il se dit beaucoup de choses sur le rôle que va jouer l’IA dans les choix des consommateurs, qu’il s’agisse de marques ou de produits. Quelle est votre vision ?

Assaël Adary (Occurrence – Groupe Ifop) : Nous vivons clairement un point de bascule. Les intelligences artificielles deviennent peu à peu des prescripteurs, voire de véritables coachs de vie. Les ChatGPT, Mistral et consorts vont nous accompagner de plus en plus, y compris dans nos choix de consommation. Ce n’est pas une intuition, mais une certitude, au vu de l’usage déjà massif et croissant qu’en font les gens, et du haut degré de confiance qu’ils leur accordent.

Ce qui est fascinant, c’est la puissance de conviction de ces outils. Plusieurs études scientifiques le montrent : le mélange d’empathie, de bienveillance et de rigueur argumentative produit un effet redoutable. L’IA parvient même à convaincre des platistes que la Terre est ronde ! Tous ces éléments réunis font d’elle un nouveau “super leader d’opinion”, un influenceur d’un genre inédit.

Plusieurs études scientifiques le montrent : le mélange d’empathie, de bienveillance et de rigueur argumentative produit un effet redoutable. L’IA parvient même à convaincre des platistes que la Terre est ronde ! Tous ces éléments réunis font d’elle un nouveau “super leader d’opinion”, un influenceur d’un genre inédit.

Bien plus qu’un Google, qui a pourtant bouleversé les parcours d’achat des consommateurs et la vie des marques ?

Oui, sans aucun doute. Google restera un acteur majeur pour longtemps, mais il fonctionne de manière « centrifuge » : il ouvre des possibles, il éparpille vers une infinité de liens. L’IA, elle, est centripète : elle synthétise, argumente et propose une réponse unique, presque une « vérité ». C’est pour cela qu’il n’est pas pertinent, même si c’est confortable, de parler de GEO en prenant comme modèle le SEO. C’est un gain de confort énorme pour des utilisateurs souvent pressés ou distraits. 

Et ce mouvement touche déjà une large part de la population. D’après nos dernières études, 54 % des Français se disent prêts à cliquer sur une recommandation générée par l’IA, et ce chiffre monte à 72 % chez les moins de 35 ans !

L’IA (…) est centripète : elle synthétise, argumente et propose une réponse unique, presque une « vérité ». C’est pour cela qu’il n’est pas pertinent, même si c’est confortable, de parler de GEO en prenant comme modèle le SEO.

L’enjeu est colossal pour les marques. Que peuvent-elles faire ?

L’IA ne va pas seulement influencer les consommateurs dans leurs achats, mais aussi les candidats qui cherchent un emploi, les investisseurs, les citoyens… Tous vont interroger ces outils pour se faire une opinion sur une marque. On entre dans une ère du BtoIAtoC – ou du BtoIAtoB ! On le voit déjà : des médecins racontent que leurs patients viennent les voir avec des ordonnances toutes prêtes, générées par IA. Idem pour les avocats, leurs clients ont demandé à ChatGPT la synthèse de toute la jurisprudence sur le sujet qui les intéressent !

L’IA ne va pas seulement influencer les consommateurs dans leurs achats, mais aussi les candidats qui cherchent un emploi, les investisseurs, les citoyens… Tous vont interroger ces outils pour se faire une opinion sur une marque. On entre dans une ère du BtoIAtoC – ou du BtoIAtoB !

Le premier enjeu est de nature doctrinale. Certaines marques refusent encore d’entrer dans ce jeu, en se disant : « je ne veux pas que l’IA accède à mon site ». C’est une erreur : l’IA est désormais un leader d’opinion. Si une marque ne s’adresse pas à elle, il y a peu de chances qu’elle soit citée – ou alors, pas en bien. Se détourner de l’IA, c’est se condamner à l’invisibilité.

Depuis quelques mois, on voit fleurir des offres d’agences qui prétendent « optimiser le référencement IA », à la manière du SEO pour Google. Mais la réalité est plus subtile : on ne “référence” pas une IA, on nourrit son écosystème. D’ailleurs on ne dialogue pas avec Google, alors que l’on itère avec les IA. Et c’est tout l’objet de notre démarche ‘BtoAIFootPrint’ : aider les marques à entrer dans un dialogue intelligent avec ces nouveaux médiateurs, en commençant par les écouter.

Quelle est donc votre approche ?

Notre approche se veut avant tout « exigeante ». Ce que nous proposons aux marques, c’est de connaître leur empreinte IA, dans une véritable logique d’étude. L’idée est d’obtenir une vision précise, fiable et reproductible de la façon dont l’IA parle d’elles. Puisque l’IA devient un influenceur, il est essentiel de savoir ce qu’elle dit, que ce soit juste ou erroné — exactement comme on le ferait pour un influenceur humain, à ceci près qu’elle est, elle, un super-influenceur !

Ce que nous proposons aux marques, c’est de connaître leur empreinte IA, dans une véritable logique d’étude. L’idée est d’obtenir une vision précise, fiable et reproductible de la façon dont l’IA parle d’elles.

Concrètement, quelles sont les étapes structurantes de la démarche ? Et quels sont vos partis pris ?

L’IA a pour vocation de répondre à des questions que se posent les gens. La première étape consiste donc à définir, avec la marque, les questions sur lesquelles elle souhaite apparaître comme réponse. Nous identifions ensuite les cibles prioritaires, que nous intégrons à travers leurs personas. C’est la base pour mesurer si la marque émerge dans les réponses de l’IA, et surtout avec quels attributs.

L’IA a pour vocation de répondre à des questions que se posent les gens. La première étape consiste donc à définir, avec la marque, les questions sur lesquelles elle souhaite apparaître comme réponse. Nous identifions ensuite les cibles prioritaires, que nous intégrons à travers leurs personas.

Un point clé de notre démarche ‘BtoAIFootPrint’ est de ne pas nous limiter à ChatGPT : nous analysons plusieurs IA, avec la possibilité d’intégrer DeepSeek pour les marques actives sur le marché chinois. Autre choix fort : recourir aux personas pour refléter la diversité des publics, car le client « moyen » n’existe pas. Les formulations varient selon les profils ; il faut donc poser les questions à l’IA dans les mots réels que ces publics utiliseraient. Une vaste étude ethnographique menée par Ifop Opinion sur les usages de l’IA en France nous a d’ailleurs beaucoup aidés à affiner cette approche.

L’entrée par personas confirme un réel intérêt. Et ce sont aujourd’hui des clients de secteurs multiples qui s’appuient déjà sur notre méthode.

Vous croisez donc les personas avec différentes IA, ce qui génère un volume important de réponses. Pourquoi ne pas vous concentrer uniquement sur ChatGPT, l’outil dominant du marché ?

En réalité, nous allons plus loin : nous croisons personas, IA, thématiques d’interrogation et marques concurrentes. C’est un peu comme réaliser des centaines, voire des milliers de mini-entretiens qualitatifs. Cette masse de contenus nourrit notre travail d’analyse et de décryptage, et garantit la solidité des enseignements. Nous pouvons ainsi quantifier certains indicateurs, notamment la proportion de réponses positives associées à chaque marque.

Intégrer plusieurs IA permet à la fois de massifier la collecte et de détecter leurs singularités : chacune a son propre langage, ses biais, sa tonalité. Et c’est en les comparant que l’on comprend vraiment comment l’écosystème IA perçoit et restitue les marques.

Intégrer plusieurs IA permet à la fois de massifier la collecte et de détecter leurs singularités : chacune a son propre langage, ses biais, sa tonalité. Et c’est en les comparant que l’on comprend vraiment comment l’écosystème IA perçoit et restitue les marques.

À partir de ces informations, les marques peuvent-elles savoir comment influencer l’IA ?

Nous y travaillons et commençons à avoir des pistes, des convictions. Néanmoins nous sommes loin de disposer d’une martingale et ceux qui le prétendent mentent. L’opacité des algorithmes utilisés par les différentes IA est réelle et parfaitement maintenue… Nous aidons déjà les marques à poser les bases d’une stratégie, en leur offrant une vision fiable et reproductible de leur empreinte IA comparée à celle de leurs concurrents.

Notre démarche s’apparente à celle du « Petit Poucet » : placer des petits cailloux pour tenter de comprendre comment raisonnent les IA, en analysant notamment les liens et les sources qu’elles citent dans leurs réponses. Nous commençons ainsi à identifier quelques règles émergentes : par exemple, des contenus « premium » — comme un article du Monde — semblent avoir un poids plus fort. Mais les « coefficients » de pondération restent inconnus, et varient sans doute d’un modèle à l’autre.

Notre démarche s’apparente à celle du « Petit Poucet » : placer des petits cailloux pour tenter de comprendre comment raisonnent les IA, en analysant notamment les liens et les sources qu’elles citent dans leurs réponses.

Sur le plan opérationnel, disposer de cet audit permet déjà aux marques de s’interroger : que disent les médias et les réseaux sociaux à leur sujet ? Quelles informations diffusent-elles sur leur site, et sous quelle forme ? Par exemple, un rapport d’activité au format PDF peut être mal interprété par les IA, alors qu’un site conçu selon des codes « IA friendly » marquera des points.

À quelle fréquence les marques ont-elles intérêt à auditer leur empreinte IA ?

Il est encore un peu tôt pour le dire avec certitude. Mais il sera sans doute pertinent de le faire à chaque changement majeur de version des IA les plus utilisées, comme ChatGPT : toute évolution d’algorithme modifie forcément les règles du jeu.

Ensuite, toutes les marques ne sont pas à égalité face à l’actualité : certaines font souvent parler d’elles, d’autres beaucoup moins. Comme nous ne connaissons pas encore précisément la manière dont les IA pondèrent les informations, ces disparités peuvent avoir un impact. Lorsqu’une marque fait l’objet d’un article important dans un média de référence — Le Monde, par exemple —, il est judicieux d’en mesurer les effets, surtout si cet article apporte un regard nouveau sur la marque.

Lire aussi > « Mesurer, c’est mettre ou remettre de la rationalité dans un monde qui en manque » – Interview d’Assaël Adary, Président d’Occurrence

Voyez-vous d’autres points importants à ajouter ?

Ce sujet est à la fois complexe et passionnant : il marque, à mes yeux, un véritable tournant pour les marques — presque un virage « ontologique ». Certaines pourraient être tentées de l’ignorer, ou d’adopter une posture « morale », en considérant qu’elles n’ont pas à se soucier des éventuelles erreurs ou contre-vérités produites par les IA. C’est une erreur : mieux vaut comprendre comment ces outils influencent les perceptions du public, la réputation et, in fine, les ventes. D’autant qu’il n’est pas exclu que l’IA intègre bientôt une dimension plus « agentique », c’est-à-dire une présence active dans les parcours clients.

Ce sujet est à la fois complexe et passionnant : il marque, à mes yeux, un véritable tournant pour les marques — presque un virage « ontologique ». Certaines pourraient être tentées de l’ignorer, ou d’adopter une posture « morale », en considérant qu’elles n’ont pas à se soucier des éventuelles erreurs ou contre-vérités produites par les IA. C’est une erreur : mieux vaut comprendre comment ces outils influencent les perceptions du public, la réputation et, in fine, les ventes.

Autre piège : considérer l’IA comme un simple sujet de back-office ou d’efficacité interne. Ses impacts organisationnels et productifs sont réels, mais les conséquences réputationnelles et commerciales sont cruciales. Les CEO comme les directeurs marque et communication doivent s’en emparer.

Enfin, ce mouvement renforce une exigence que nous défendons depuis longtemps : la cohérence des marques. Elle a toujours été essentielle, mais elle l’est plus que jamais. Dans un monde d’IA, basé sur la probabilité, toute dissonance saute immédiatement aux yeux — et cela peut coûter très cher en termes d’image.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Assaël Adary

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