DOSSIER DU MOIS

# Etudes marketing : faut-il ré-inventer la relation entre instituts et annonceurs ?

"Co-créer les études entre instituts et annonceurs est enfin pleinement possible"

Émilie Dumas et Amélie Luciani
Research Lead France chez Appinio, et CMI Nissan Europe

7 Oct. 2025

Interview d’Émilie Dumas (Research Lead France chez Appinio) et Amélie Luciani (CMI Nissan Europe)

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Dans un contexte où la Customer Centricity s’impose comme un impératif pour les entreprises, une véritable transformation de la relation entre instituts et annonceurs est aujourd’hui possible, en s’appuyant notamment sur une nouvelle manière d’investir la technologie. Et cette évolution ouvre la voie à une co-création effective des études. Émilie Dumas (Appinio) et Amélie Luciani (Nissan Europe) partagent leur expérience et leur vision à travers l’exemple de leur collaboration. 
[Photo : à gauche Amélie Luciani (Nissan Europe), et à droite Emilie Dumas (Appinio)]

MRNews : Quelles évolutions vous marquent le plus concernant la relation instituts / annonceurs ces dernières années ?

Émilie Dumas (Appinio) : La relation instituts / annonceurs est par nature hétérogène, elle s’écrit au cas par cas.  Mais on observe néanmoins des tendances fortes, liées aux transformations de fond de notre industrie. Deux tendances me paraissent majeures. La première est la simplification d’accès aux données consommateurs, grâce aux plateformes DIY, au social listening ou encore avec l’arrivée des données synthétiques. Cela génère une profusion d’informations. La seconde est la montée en puissance de la customer centricity dans les entreprises, aujourd’hui bien présente dans la plupart des organisations, grandes ou petites.


Amélie Luciani (Nissan) : Chez Nissan, l’une des valeurs fondamentales de la marque est « Always think of the Customer ». Il s’agit de placer le consommateur au centre de chaque décision, et c’est bien plus qu’un slogan ! En tant que market researchers, nous jouons un rôle central : nous sommes les porte-paroles des clients au sein de l’entreprise. Nous travaillons avec énormément de départements différents pour leur apporter le point de vue du consommateur et sommes de plus en plus sollicités. Ensuite, comme le souligne Emilie, les données foisonnent et il est plus simple d’y accéder, plus rapidement, et de les synthétiser via l’IA. Et les équipes le savent ! En conséquence, les demandes en interne se multiplient, et cela influence directement notre façon de travailler avec les instituts.

Comme le souligne Emilie, les données foisonnent et il est plus simple d’y accéder, plus rapidement, et de les synthétiser via l’IA. Et les équipes le savent ! En conséquence, les demandes en interne se multiplient, et cela influence directement notre façon de travailler avec les instituts.

Amélie Luciani (Nissan Europe)

La grande évolution dans les besoins des entreprises, c’est d’abord et avant tout plus de rapidité ?

AL : Incontestablement, les technologies permettent d’aller bien plus vite qu’auparavant. Mais, surtout, cela nous permet de       répondre à beaucoup plus de demandes, et d’en traiter certaines que nous aurions considérées comme « mission impossible » par le passé. Nous menons donc beaucoup plus d’études, et cela change la dynamique, à la fois dans notre collaboration avec les instituts et dans nos processus internes, avec toujours le consommateur au centre.

Qu’est-ce que cela change plus concrètement dans la relation annonceur-institut ?

ED : Là encore, c’est très variable. La tendance de fond est bien la montée de la consumer centricity, mais certaines entreprises restent attachées à des méthodes et à des livrables traditionnels, tandis que d’autres sont prêtes à travailler de manière beaucoup plus agile. Nissan en est un bon exemple.
 Ce qui change surtout la donne, c’est la technologie. Une grande partie des tâches de production qui incombaient autrefois à des profils juniors (programmation, cleaning et traitement de la donnée, production des graphiques et rapport…) est désormais automatisée. Cela modifie le rôle des instituts et la structure des équipes : nous privilégions dorénavant des profils de consultants, capables d’accompagner et de conseiller sur le fond.
 

Notre accompagnement prend deux formes. D’un côté, nous donnons aux clients l’accès à des outils pour fluidifier le quotidien, co-construire les études et faciliter l’appropriation des résultats. De l’autre, nous apportons notre expertise, à chaque étape clé : en amont, pour challenger le besoin et définir la bonne méthodologie ; puis en aval, pour analyser et formuler des recommandations. Quand la production est automatisée, l’institut peut se concentrer sur ce qui fait vraiment sa valeur. Et cela change profondément la relation avec nos interlocuteurs annonceurs : le curseur est davantage mis sur le fond marketing du sujet que sur les étapes de production.    

Ce qui change surtout la donne, c’est la technologie. Une grande partie des tâches de production qui incombaient autrefois à des profils juniors (programmation, cleaning et traitement de la donnée, production des graphiques et rapport…) est désormais automatisée. Cela modifie le rôle des instituts et la structure des équipes.

Emilie Dumas (Appinio)

Comment vit-on cela côté annonceur ? À quel moment l’institut vous apporte-t-il le plus de valeur dans ce schéma relationnel ?

AL : Je rejoins Émilie : nous travaillons vraiment main dans la main. Le fonctionnement est très collaboratif, nous sommes plutôt dans une forme de co-création grâce aux outils que l’institut met à notre disposition. On est loin du schéma « je passe commande et je reviens six semaines plus tard pour recevoir un rapport ». Cela demande plus d’implication et aussi de s’approprier ces nouveaux outils — plateformes, communautés… C’est un vrai mode do-it-together, en complément du do-it-yourself. Mais c’est assez bluffant, on peut faire en une semaine ce qui prenait un mois il y a encore peu de temps. 

Le fonctionnement est très collaboratif, nous sommes plutôt dans une forme de co-création grâce aux outils que l’institut met à notre disposition. On est loin du schéma « je passe commande et je reviens six semaines plus tard pour recevoir un rapport ».

Amélie Luciani (Nissan Europe)

Sur la valeur ajoutée, tout dépend des projets. Pour des études simples, nous utilisons surtout la technologie, qui permet d’aller très vite. Dans d’autres cas, nous attendons de l’institut qu’il nous challenge, qu’il propose la bonne méthodologie et apporte une expertise pointue, qu’elle soit sectorielle ou liée à un enjeu particulier autour de l’innovation, de la marque ou la communication.

Cette nouvelle façon de travailler vous amène-t-elle à lancer moins d’appels d’offres pour privilégier des partenaires réguliers ?

AL : Avec tous les instituts, il y a cette recherche d’agilité pour optimiser nos budgets et les employer au mieux. Concrètement, nous lançons moins souvent d’appels d’offres pour des études simples grâce à ces nouveaux outils. Mais le fonctionnement reste à géométrie variable. L’important est de répondre bien et assez vite aux nombreuses questions de nos clients internes : un insight qui arrive trop tard n’a aucune valeur. Avec les plateformes, nous pouvons rédiger un questionnaire, le programmer et obtenir des résultats en quelques heures, ce qui change tout.

Pour des sujets stratégiques plus complexes, comme une segmentation par exemple, l’institut doit nous accompagner bien au-delà de la technologie. Mais il arrive aussi que des décisions stratégiques se prennent sur la base de quelques chiffres, issus d’une étude rapide.

ED : Nous travaillons en effet sur une immense variété de projets : certains sont très rapides et tactiques, d’autres relèvent d’investigations de fond comme des études de marque de type Mental availability ou de segmentation psychographique. Dans tous les cas, les outils sont là pour soutenir le travail, mais leur place est naturellement moindre sur les projets les plus stratégiques.

Lire aussi > « Une vraie bonne segmentation est à la fois éclairante et facile à mettre en œuvre » – Interview d’Emilie Faget (Appinio)

Venons-en à la nature du contrat et au devis : sur quelles unités d’œuvre repose-t-il ?

ED : Le contrat repose toujours sur deux piliers historiques : un coût terrain, qui dépend de la taille d’échantillon, de la difficulté de la cible et de la longueur du questionnaire ; et du temps-homme d’accompagnement et de conseil. À ces deux piliers se rajoute une part « tech » avec l’accès aux outils et à l’IA. Chez Appinio, c’est inclus, nous n’avons pas de frais de licence. Cette partie tech n’est pas négligeable, car elle influe sur les autres postes de coûts, à commencer par le temps hommes : plus on automatise, moins on a besoin de main d’œuvre humaine par projet. Ces 6 derniers mois, nous avons pu bénéficier d’avancées très rapides (programmation automatique, duplication multi-langue d’une étude, cleaning automatisé via IA, traitement automatisé des questions ouvertes…). Tout ça vient impacter le temps homme à la baisse de façon considérable. Et d’une certaine façon, la tech peut aussi impacter la partie budget terrain, avec notamment la possibilité d’accéder à des données synthétiques, qui coûtent moins cher. C’est ce que nous proposons avec notre nouvelle offre Appinio Conversations, qui permet à nos clients d’interroger des personas générés par IA.

En résumé, le modèle évolue vers un équilibre clair : accès aux bons outils, à une data de qualité, et un accompagnement par des experts capables de transformer cette matière en décisions utiles. 

Emilie Dumas (Appinio)

En résumé, le modèle évolue vers un équilibre clair : accès aux bons outils, à une data de qualité, et un accompagnement par des experts capables de transformer cette matière en décisions utiles. C’est exactement la philosophie sur laquelle Appinio s’est construit : automatiser ce qui peut l’être, réinventer le panel et mettre l’expertise au centre.

Lire aussi > L’interview de Jean-Yves Laffon (Appinio) : « C’est vraiment dans l’ADN d’Appinio que de challenger le statu quo du market research »

Amélie, les modalités contractuelles diffèrent-elles beaucoup d’un institut à l’autre ?

AL : Les contrats non. Mais les offres d’un institut à l’autre sont très différentes. D’un côté, des acteurs « 2.0 » très intégrés technologiquement comme Appinio ; de l’autre, des instituts plus « traditionnels ». La tendance du secteur est claire : il y a désormais un coût ‘tech’, inexistant auparavant, aujourd’hui essentiel si l’on veut travailler en mode agile, tant pour la réalisation que pour la restitution. Il faut aller plus vite et les équipes attendent des formats courts, synthétiques, des dashboards, pas des rapports de 200 pages.

Les offres d’un institut à l’autre sont très différentes. D’un côté, des acteurs « 2.0 » très intégrés technologiquement comme Appinio ; de l’autre, des instituts plus « traditionnels ».

Amélie Luciani (Nissan Europe)

Si le profil dominant côté instituts est de type « consultant », les annonceurs ne pourraient-ils pas tenter d’aller plus loin dans la démarche, et de confier leurs études à des cabinets de conseil en marketing ? 

AL : C’est une option possible, mais une expertise métier et méthodologique reste souvent indispensable.            .


ED : Je partage ce point : les cabinets de conseil utilisent déjà nos outils en DIY, mais ils ont quand même besoin de nous pour la méthodologie et l’interprétation. Pour une étude de pricing, faut-il faire un PSM, un Gabor-Granger, un Conjoint ? Et comment l’analyser ensuite ? Ce sont des choix qui demandent de l’expertise. On peut vite faire dire n’importe quoi à un chiffre.

À horizon 5–10 ans, comment voyez-vous la relation instituts-annonceurs ?

ED : La tech va progresser encore : aujourd’hui elle traite peut-être 70 % des tâches de production ; demain cette part augmentera, et impactera même une part du conseil (interprétation, analyse). L’expertise humaine restera néanmoins essentielle pour adapter chaque étude au contexte. De fait, le métier se rapprochera sans doute encore davantage du conseil, avec des accompagnements plus globaux, plus long terme, sur l’ensemble de la stratégie.


La tech va progresser encore : aujourd’hui elle traite peut-être 70 % des tâches de production ; demain cette part augmentera, et impactera même une part du conseil (…). L’expertise humaine restera néanmoins essentielle pour adapter chaque étude au contexte. 

Emilie Dumas (Appinio)

AL : Je crois comme Émilie que la Tech et l’IA vont continuer de bousculer nos métiers, sans pour autant supprimer complètement l’expertise humaine.

Un dernier conseil aux équipes études chez les annonceurs ?

ED : Osez sortir des schémas classiques : expérimentez des formats agiles, co-élaborez les études avec vos partenaires. C’est une manière efficace de répondre à l’aspiration des organisations à être réellement « consumer-centric ».


AL : Je confirme, intégrer ces approches dans sa boîte à outils permet d’apporter plus d’insights, de gagner en réactivité et de répondre à beaucoup plus de demandes. Ce n’est pas du « one-size-fits-all », mais c’est un vrai atout pour les market researchers. Nous sommes une fonction support certes mais les insights que nous fournissons peuvent faire la différence pour le succès des projets menés par nos entreprises.   


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewées : @ Emilie Dumas @ Amélie Luciani  

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