Appinio fait à l’évidence partie des sociétés qui font aujourd’hui le plus le buzz dans l’univers des études marketing, avec notamment le taux de croissance le plus élevé d’Europe selon le classement établi par le Financial Times. Comment est donc née cette entreprise ? Quels sont ses partis pris et quelle est sa vision pour les années à venir ? Ce sont les questions que nous avons posées à son directeur pour la France et le Benelux, Jean-Yves Laffon, à l’occasion de l’anniversaire des dix ans d’Appinio.
MRNews : Appinio vient de souffler ses dix bougies, ce qui est un cap important pour une entreprise. Comment la présenteriez-vous en quelques mots ?
Jean-Yves Laffon (Appinio) : Appinio compte aujourd’hui un peu plus de 260 collaborateurs et 3000 clients dans le monde, avec un NPS de 85 en moyenne. D’après le classement du Financial Times et depuis deux ans, nous sommes l’institut d’études marketing qui enregistre la plus forte croissance en Europe. Nous avons passé le cap des 30 millions de CA, et sommes rentables depuis 5 ans. Un parti-pris important est que nous auto-finançons notre développement, nous n’avons ainsi pas eu besoin de lever des fonds auprès de sociétés de capital-risque.
Un parti-pris important est que nous auto-finançons notre développement, nous n’avons ainsi pas eu besoin de lever des fonds auprès de sociétés de capital-risque.
Nous sommes très présents en Europe, en France bien sûr, mais aussi au Royaume-Uni, en Espagne et en particulier en Allemagne où la société a été fondée. Mais nous sommes également implantés aux États-Unis et en Amérique latine, et opérons en Afrique, à Singapour… L’activité est donc très internationale, avec toutefois un potentiel de développement à exploiter davantage en Asie. .
Comment est née Appinio ? Quel a été le point de départ ?
Tout est parti de l’expérience de Jonathan Kurfess, un des fondateurs de la société. Jonathan avait démarré sa carrière dans les études marketing en tant que stagiaire, chez un des leaders mondiaux du tabac. Il a vite ressenti une certaine frustration face aux pratiques qu’il a découvertes, et aux solutions proposées par les instituts traditionnels. Les outils lui semblaient couteux, les délais très longs, la qualité pas extraordinaire… Sa vision était qu’il y avait beaucoup de choses à améliorer. Il a essayé de la défendre en interne, mais sans trop de succès. Il a donc ‘pitché’ son idée à Kai Granass, qui est lui un spécialiste de la tech, et a très vite été intéressé. Ils ont ainsi décidé de créer l’entreprise avec un objectif très clair, celui d’optimiser tout le processus de mise en œuvre des études marketing pour en faire une ressource accessible, fiable et essentielle à la prise de décision stratégique au sein des organisations.
Jonathan Kurfess et Kai Granass ont décidé de créer l’entreprise avec un objectif très clair, celui d’optimiser tout le processus de mise en œuvre des études marketing pour en faire une ressource accessible, fiable et essentielle à la prise de décision stratégique au sein des organisations.
Simplifier les études… Mais encore ? Et comment ?
Il y avait plus précisément deux points essentiels. Le premier était de se servir de la technologie pour améliorer l’expérience utilisateur, depuis la collecte de la donnée jusqu’à son traitement, en proposant une plateforme supérieure aux standards du marché en termes de design et d’expérience utilisateur. L’autre aspect majeur était d’offrir une solution qui assure le contrôle de toute la chaîne de valeur pour garantir la qualité et l’agilité, le constat de départ étant qu’il y avait trop d’intermédiaires, avec des équipes en charge du panel, l’institut pour rédiger le questionnaire, des personnes pour traiter les données, etcétéra. Tout cela était source de complexité et d’erreurs. La vision de Jonathan et Kai était qu’il fallait d’emblée intégrer un panel, avec une logique innovante d’animation favorisant l’engagement et la convivialité et permettant d’éviter les biais générés par le principe d’une rémunération des répondants. Et connecter ce panel à la plateforme.
Y avait-il d’autres partis pris importants ?
Nous avions une ligne directrice : allier technologie et expertise. En effet, les fondateurs se sont très rapidement aperçus que le panel et la plateforme ne suffisaient pas. Il fallait aussi apporter de l’expertise, tout en gardant ce qui fait notre ADN : une expérience utilisateur supérieure, de l’agilité, et un bon rapport qualité/prix. Nous n’avons donc cessé d’intégrer de nouvelles méthodologies avancées, même propriétaires, et de développer une dimension conseil, en mettant toujours l’accent sur les besoins clients et en optimisant l’utilisation de nos ressources.
Nous avions une ligne directrice : allier technologie et expertise (…). Les fondateurs se sont très rapidement aperçus que le panel et la plateforme ne suffisaient pas.
L’autre parti pris essentiel était d’avoir un impact positif. En commençant bien sûr par les collaborateurs eux-mêmes, en leur offrant notamment beaucoup de flexibilité dans les horaires, la possibilité de télétravailler… Mais aussi sur l’environnement. Nous l’avons évoqué, ne pas avoir recours à des capitaux externes constituait un autre choix majeur. L’idée était d’éviter une dépendance pouvant pousser Appinio dans une stratégie de croissance à tout prix, avec toutes les conséquences négatives que cela peut avoir. Et de garder notre liberté de choix dans nos investissements et notre positionnement, comme nos engagements RSE, qui ont contribué également à renforcer notre différenciation. Nous avons été parmi les pionniers en la matière, en étant le premier institut à être certifié B Corp dans l’univers des études.
L’autre parti pris essentiel était d’avoir un impact positif. En commençant bien sûr par les collaborateurs eux-mêmes, en leur offrant notamment beaucoup de flexibilité dans les horaires, la possibilité de télétravailler… Mais aussi sur l’environnement.
Le succès a-t-il été immédiat ? La trajectoire de l’entreprise s’est-elle déroulée comme prévu ?
Quand l’entreprise s’est lancée originellement en Allemagne, il n’a pas été si évident de convaincre les équipes Insights chez les annonceurs. De fait, ce sont surtout les marketeurs et les PME qui ont été les premiers séduits, précisément par cette simplicité que nous leur apportions pour réaliser les études. Le développement de la société a donc démarré ainsi, sur ces bases-là. Et ce n’est que dans un second temps que nous avons pu convaincre les interlocuteurs traditionnels des études, une fois que le produit avait atteint le niveau de maturité suffisant.
Les choix que nous avions faits, dont celui de l’indépendance capitalistique, nous ont naturellement poussés à avoir une très forte orientation client, à être scrupuleusement à l’écoute de leurs besoins.
Mais l’épisode Covid a aussi eu un fort impact sur la trajectoire de l’entreprise et son développement : en l’espace de seulement quelques mois, nous sommes passés d’une vingtaine de collaborateurs à plus de 100.

La crise du Covid a été dévastatrice pour beaucoup de sociétés… En quoi vous a-t-elle aidés ?
Elle a généré un contexte où les entreprises avaient besoin de données consommateurs fiables, de mener rapidement des études. Et elles ne parvenaient pas à le faire avec les outils et acteurs traditionnels. Nous avons répondu présents à ce moment-là, en leur apportant à la fois la simplicité, la rapidité, mais aussi l’accompagnement dont elles avaient besoin. La singularité de notre positionnement est apparue comme plus évidente. Certains instituts offrent bien sûr un haut niveau d’expertise, notamment les plus gros, mais la technologie n’est pas dans leur ADN. Ils sont concurrencés par de nouveaux acteurs qui viennent du monde de la ‘Tech’, mais qui ont eux des limites sur la composante accompagnement, celle-ci ne s’inscrivant pas bien dans leur modèle économique. Et c’est donc là que cette alchimie que nous proposons, cette combinaison de la technologie et de l’expertise humaine, a été perçue comme tout à fait pertinente. Et encore plus aujourd’hui avec les possibilités offertes par l’intelligence artificielle, mais nous y reviendrons certainement.
La crise du Covid a généré un contexte où les entreprises avaient besoin de données consommateurs fiables, de mener rapidement des études. Et elles ne parvenaient pas à le faire avec les outils et acteurs traditionnels. Nous avons répondu présents à ce moment-là, en leur apportant à la fois la simplicité, la rapidité, mais aussi l’accompagnement dont elles avaient besoin.
Parlons en effet du futur. Quelle est votre vision des tendances les plus structurantes du marché pour les 5 ou 10 ans à venir ?
Deux enjeux nous semblent clés. Il y a très clairement un besoin de la fonction Etudes ou Insights d’aller vers plus d’efficacité et d’efficience. Les études doivent renforcer leur opérationnalité, devenir accessibles au plus grand nombre dans l’entreprise, en gardant toutefois une cohérence avec les choix internes. Le second grand enjeu est de déployer des approches offrant plus d’actionnabilité et de prédictibilité. La question du ROI des études marketing n’est pas nouvelle, mais elle se pose chaque jour un peu plus, tout simplement parce que le marketing lui-même est de plus en plus sous pression dans les organisations, à l’instar de quasiment toutes les fonctions. Pour les services Insights, faire des recommandations claires ne suffit plus. Ils doivent démontrer leur impact sur la bonne marche de l’entreprise, son business. Ce qui oblige à remettre en cause des réflexes, des habitudes qui se sont ancrées dans certains outils. Les trackings en sont un bel exemple. Les organisations se dotent de dispositifs couteux pour suivre la notoriété de leurs marques, leur image… Mais combien cela rapporte à l’entreprise ? La réponse est loin d’être évidente !
Pour les services Insights, faire des recommandations claires ne suffit plus. Ils doivent démontrer leur impact sur la bonne marche de l’entreprise, son business. Ce qui oblige à remettre en cause des réflexes, des habitudes qui se sont ancrées dans certains outils.
L’enjeu de l’efficacité est en partie adressé par les acteurs de la technologie. Mais avec les limites que nous avons évoquées, notamment pour ce qui est de l’expertise des équipes ou même l’absence totale d’accompagnement. Une spécialisation de ceux-ci sur une méthodologie est une option possible. Mais la conséquence est que cela oblige les entreprises à se doter de plein d’outils différents, ce qui a fini par être contre-productif. Et, par ailleurs, le besoin d’accompagnement est de plus en plus fort, les clients ont des exigences beaucoup plus élevées sur les recommandations et leur portée business, et de moins en moins de temps à y consacrer.
On assiste à une transformation profonde de la fonction « market research » dans les entreprises…
Absolument, même si elle ne se fait pas partout au même rythme. De plus en plus, les entreprises attendent des insights managers qu’ils challengent le statu quo, ce qui suppose de leur part une excellente compréhension du business et du marketing. Ces évolutions se traduisent assez souvent par des changements de dénomination. On avait des CMI ; aujourd’hui, on voit désormais des départements « Insights & Stratégie » ou « Insights & Foresight », des équipes à qui l’organisation demande d’être des acteurs de la croissance, d’aider à anticiper. Elles doivent avoir un impact sur le business, faute de quoi elles ne seront pas écoutées par les Comex. Les compétences analytiques sont toujours nécessaires, mais il faut y ajouter une dimension stratégique. Cela remodèle la relation au sein de l’entreprise entre les insights et le marketing, et plus largement tous les clients internes. Et également avec les instituts, qui sont amenés à être plus présents sur les aspects opérationnels, alors que les équipes internes se focalisent sur la composante stratégique.
C’est donc notre rôle de proposer des solutions pour répondre à ce besoin d’efficacité, notamment avec la technologie. Mais nous devons par ailleurs accompagner nos interlocuteurs dans la transformation de leur fonction, mais aussi pour démontrer leur ROI.
Quid de l’Intelligence Artificielle ? Quel est son apport ?
Nous avons été très volontaristes sur ce thème, très tôt, dès 2022. Chaque employé chez nous a participé à un workshop de 4 heures pour identifier les tâches à faible valeur pouvant être automatisées. Et nous avons concrètement implémenté l’IA à de nombreux niveaux. Par exemple dans notre panel pour détecter les éventuels cas de fraude, ou sur notre plateforme, pour aider à concevoir les questionnaires, les tester, etc. Nous travaillons aussi sur la possibilité de générer une conversation en mode live en fonction des réponses des participants, en s’affranchissant donc du questionnaire pré-établi. Les outils d’analyse sont aussi concernés, avec l’exploitation des réponses aux questions ouvertes, l’analyse des sentiments…, mais aussi des solutions de mise en forme qui permettent de faire gagner énormément de temps. Les données synthétiques offrent également une opportunité énorme pour le marché, pour réduire encore davantage les coûts et les délais des études, tout en diversifiant les échantillons. Tous ces apports s’inscrivent complètement dans cette priorité pour les études de gagner en efficacité.
Mais l’IA n’a pas fini de changer la donne. Nous devons anticiper une évolution majeure, le fait que beaucoup de softwares sont probablement amenés à disparaitre en étant remplacés par des agents IA. Le patron de Microsoft, Satya Nadella, l’a lui-même évoqué, notamment à propos d’Excel qui pourrait disparaître assez rapidement. On a beaucoup vu se développer ces dernières années la logique du Software as a Service. Il est très possible que s’impose demain un autre schéma, celui du Service as a software. C’est une évolution qui nous concerne pleinement.
Il est très possible que s’impose demain un autre schéma, celui du Service as a software. C’est une évolution qui nous concerne pleinement.
Voyez-vous d’autres partis pris importants pour caractériser la démarche d’Appinio ?
J’aimerais revenir sur notre vision de la composante expertise. L’accompagnement constitue bien sûr un élément majeur de celle-ci. Mais nous avons aussi la volonté de renouveler les méthodes, les approches elles-mêmes. Et ce en nous intéressant de très près aux travaux de recherche académique réalisés dans le domaine du marketing, en faisant en sorte que ceux-ci puissent s’intégrer dans les pratiques des entreprises. On le voit tous les jours, il y a une forme d’inertie, les organisations continuent souvent à appliquer des schémas ou des concepts dont les limites ont pourtant été clairement établies par les chercheurs. C’est typiquement le cas du NPS, dont l’usage s’est beaucoup répandu ces dernières années, mais très fréquemment de façon dévoyée. Plusieurs études récentes ont démontré que les évolutions de cet indicateur sont complètement décorrélées de la performance des entreprises, contrairement à ce qui avait été annoncé par ses initiateurs. A contrario, il nous semble extrêmement intéressant de mieux intégrer les travaux de recherche sur la notion de Mental Availability, conceptualisée par Byron Sharp et le Ehrenberg-Bass Institute, dans les trackers notamment. Ou de repenser les outils de segmentation, comme vous avez pu l’évoquer avec Émilie Faget, et bien sûr l’usage des tests de significativité avec Louise Leitsch.
On est dans le domaine du ‘Change Management’, qui est un combat difficile, mais que nous estimons devoir mener.
C’est dans la nature d’Appinio de challenger les pratiques, de refuser le statu quo ?
Oui, c’est vraiment dans l’ADN d’Appinio que de challenger le statu quo du market research. Il est primordial pour nous de garder cet esprit disruptif et de continuer à remettre en question les modèles pré-établis. Pas seulement pour le plaisir de changer les choses, mais d’abord et avant tout pour les améliorer. Cela se traduit à la fois dans la technologie, dans les outils que nous mettons à disposition des utilisateurs, mais également dans nos approches méthodologiques. Nous nous appuyons sur les dernières découvertes en études marketing et recherches académiques, tout en comblant le fossé entre le monde universitaire et celui des affaires, pour aider les marques à avoir un plus grand impact. L’objectif est bien de répondre à ces besoins que nous avons évoqués. D’une part celui d’une plus grande efficacité des études marketing. Et d’autre part d’aider les équipes insights à gérer ce changement de rôle auquel elles nous semblent appelées, ce qui passe par de nouvelles solutions, par des outils à même de renforcer la compétitivité des entreprises.
C’est vraiment dans l’ADN d’Appinio que de challenger le statu quo du market research. Il est primordial pour nous de garder cet esprit disruptif et de continuer à remettre en question les modèles pré-établis. Pas seulement pour le plaisir de changer les choses, mais d’abord et avant tout pour les améliorer.
Cet état d’esprit se reflète aussi dans nos valeurs. Nous sommes convaincus que profitabilité peut rimer avec durabilité. Nous prêchons un modèle vertueux, avec les partis pris que nous avons évoqués, dont celui de refuser la croissance à tout prix. Notre certification B Corp correspond à un vrai engagement. Cela implique des actions très concrètes, détaillées dans notre Impact Report. Comme le fait d’avoir donné plus de 1000 heures à des initiatives solidaires en 2024, de reverser 1% de notre CA pour soutenir des projets en faveur de l’action climatique, ou d’avoir compensé près de 6000 tonnes métriques de carbone. Il nous semble important de prouver que ces engagements sont conciliables avec la croissance que nous connaissons, et au fait d’être une entreprise rentable et auto-financée. Cela s’applique également au management des équipes, avec le maintien d’une forte flexibilité, alors que d’autres et non des moindres sont en train de revenir en arrière aujourd’hui.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Jean-Yves Laffon