S’appuyer sur des segmentations est un réflexe pour les market researchers et les décideurs marketing, que ce soit pour s’assurer de la bonne représentativité des études, en analyser les résultats et pouvoir lire ainsi les marchés. Et, de fait, ils n’ont que l’embarras du choix quant aux grilles à utiliser. Pourquoi donc en proposer une nouvelle comme le fait Appinio avec sa segmentation psychographique ? C’est la question que nous avons posée à Emilie Faget, Directrice de la Relation Clients chez Appinio, qui nous présente cet outil et le cheminement qui a mené à son élaboration.
MRNews : Le terme ‘segmentation’ recouvre des notions fort hétérogènes… Ce sont souvent des grilles ad hoc, construites pour une entreprise voire pour un projet bien spécifique. Il peut aussi s’agir de segmentations transverses, socio-démographiques ou socio-culturelles, auquel cas le choix ne manque pas… Pourquoi en proposer une nouvelle ?
Emilie Faget (Appinio) : C’est très juste. Dans le domaine des études marketing, on ne cesse en réalité d’utiliser des segmentations, ne serait-ce qu’au travers de variables socio-démographiques « basiques ». Homme-Femme, c’est une segmentation, comme le sont également les tranches d’âge ou les CSP. De fait, ces grilles socio-démographiques sont un référent commun, que ce soit pour s’assurer de la représentativité d’un échantillon ou pour lire des résultats d’études. Mais elles présentent des limites de plus en plus évidentes, étant trop généralistes et oubliant les différences de personnalité existant au sein d’un même groupe. L’alternative est de se tourner vers des segmentations attitudinales, qui ont l’avantage d’être plus pertinentes, puisqu’elles regroupent les consommateurs en fonction de “comment” ils agissent selon vos catégories. Mais le hic est qu’elles sont le plus souvent difficiles à mettre en œuvre. Elles obligent à rallonger les questionnaires, ou avoir recours à des Golden Questions peu commodes à programmer et qui provoquent une importante déperdition d’information.
Les grilles socio-démographiques sont un référent commun, que ce soit pour s’assurer de la représentativité d’un échantillon ou pour lire des résultats d’études. Mais elles présentent des limites de plus en plus évidentes, étant trop généralistes et oubliant les différences de personnalité existant au sein d’un même groupe.
Les deux approches ont leurs limites…
Exactement. La prise en compte de ces limites a précisément été le point de départ de notre réflexion. Comment parvenir à une segmentation à la fois extrêmement pertinente dans une logique d’action marketing, et faire en sorte qu’elle soit aussi facile que possible à utiliser ? C’est ce qui nous a amenés à construire cette segmentation psychographique, et à l’appliquer à l’ensemble de notre panel. Pour chaque projet d’étude que nous menons, nous disposons ainsi de cette grille, qui se prête bien sûr à des usages « one shot », mais est également précieuse pour comparer des résultats entre différents tests ou même dans un mode barométrique. Cela à la fois dans une perspective marketing, notamment pour mesurer l’impact des actions, mais aussi d’un point de vue méthodologique, pour s’assurer de la comparabilité de différents échantillons.
Comment parvenir à une segmentation à la fois extrêmement pertinente dans une logique d’action marketing, et faire en sorte qu’elle soit aussi facile que possible à utiliser ? C’est ce qui nous a amenés à construire cette segmentation psychographique, et à l’appliquer à l’ensemble de notre panel.
Quelle est la taille du panel Appinio ?
Appinio est née en Allemagne. C’est donc sur ce pays que nous avons démarré la construction de notre panel, qui compte aujourd’hui 500 000 membres. Nous avons ensuite développé notre activité en France, au Royaume-Uni et en Espagne. Là, l’effectif est compris entre 150 et 200 000 personnes. Mais une de nos grandes forces vient du fait que la proportion d’individus actifs est particulièrement importante au sein de notre panel, cela grâce notamment à nos techniques d’engagement et de gamification. En France, nous pouvons compter sur plus de 17 000 utilisateurs actifs chaque jour, ce qui nous permet de faire des terrains très rapidement sur un grand nombre de sujets.
Il y a parfois des débats sur la pertinence des segmentations ayant une forte composante socio-culturelle. Quels ont été vos partis pris pour maximiser celle-ci ?
L’idée clé est de prendre en compte le profil psychologique, le tempérament, les valeurs et les attitudes des individus. Ce qui a du sens bien sûr dans une logique d’action marketing ou de communication, mais aussi en amont dans les études et tests consommateurs.
Nous avons travaillé avec notre partenaire, Cronbach, en nous appuyant sur les travaux de chercheurs en psychologie tels que McClelland. Il a identifié trois grandes motivations humaines : le pouvoir, la réussite et l’affiliation. Le pouvoir, c’est simple, c’est le fait vouloir contrôler les gens ou du moins d’avoir une influence sur les autres. Le besoin de réussite se traduit lui par le désir d’atteindre des objectifs comportant une part de défi. Quant à l’affiliation, c’est le souhait de faire partie d’un groupe. Pour les personnes animées par ce besoin, la collaboration est plus importante que la compétition. McClelland a démontré l’extrême influence de ces motivations dans les comportements humains.
Ces dimensions ont été croisées avec une seconde grille de lecture, qui se base elle sur les travaux de Harry C. Triandis, qui mettent en évidence les trois options fondamentales selon lesquelles les individus prennent des décisions. Certains ont d’abord et avant tout recours à leur intuition, d’autres font appel à la rationalité. Quant au dernier groupe de personnes, elles ont plutôt tendance à s’en tenir aux habitudes qu’elles ont acquises, ou aux principes établis par d’autres dans leur communauté.
Le croisement des deux axes forme ainsi 9 cases…
Tout à fait. On arrive ainsi à une segmentation extrêmement pertinente et actionnable : on estime en effet que 80% des comportements humains sont explicables en fonction de ces deux grandes dimensions. L’équipe de Cronbach s’est appuyée sur ces travaux et a défini une batterie de 40 items permettant de qualifier le profil psychographique des individus, et donc d’identifier laquelle de ces 9 « cases » leur correspond le mieux. Je précise que, par construction et grâce à un travail de normalisation, le poids des 9 profils est similaire. Que l’on soit aux USA, en Russie ou en France, les groupes pèsent chacun un peu plus de 11% de la population.
On estime que 80% des comportements humains sont explicables en fonction de ces deux grandes dimensions.
Cette matrice constitue ainsi la grille de lecture que nous proposons, dans le cadre par exemple de tests de concept ou d’études d’image. Généralement, nous utilisons des ”heat-maps”, avec des zones chaudes ou froides, pour permettre de visualiser comment nos différents profils se positionnent en termes d’intérêt par rapport à l’objet testé, qu’il ’s’agisse d’une marque, un produit ou d’un concept.
Pouvez-vous nous partager des exemples pour illustrer l’usage possible de votre segmentation ?
Bien sûr. Nous pouvons prendre le cas d’un test mené dans l’univers des paquets de céréales, l’attrait de chacun des produits ayant étant analysé en fonction de notre grille, avec nos “heat-maps”. Et on le voit très clairement, ces produits intéressent des cibles bien distinctes !
Nous obtenons ainsi une vision limpide des préférences, mais aussi implicitement des motivations qui construisent celles-ci. On voit quel est le « territoire » de chacune des propositions existantes sur le marché etcomment elles s’inscrivent dans leur environnement concurrentiel. Mais la segmentation psychographique permet également de nourrir la réflexion sur les actions marketing ou de communication à enclencher, que ce soit pour consolider la préférence sur une cible donnée ou au contraire pour faire évoluer le positionnement.
Comment savoir quelles actions clés sont susceptibles de séduire telle ou telle cible, par exemple celle qui est située en haut à gauche de votre matrice ?
En exploitant l’ensemble des études que nous avons menées depuis la construction de cette segmentation, nous avons pu élaborer une sorte de “handbook”, une bibliothèque d’informations sur les différents clusters. Nous savons précisément quelles marques ils achètent ou préfèrent dans un très grand nombre d’univers de consommation, quels sont leurs loisirs, les circuits de distribution qu’ils fréquentent, les médias avec lesquels ils ont le plus d’affinités, etc. Ce sont des informations marketing extrêmement précieuses. Nous pouvons même donner des indications détaillées sur les codes les plus performants pour parler à ces différentes cibles, qu’il s’agisse de codes visuels, graphiques, ou de tonalités de communication. La vision est ainsi étonnamment précise et opérationnelle. Naturellement, cette bible continue à s’enrichir au fur et à mesure des études que nous réalisons.
En exploitant l’ensemble des études que nous avons menées depuis la construction de cette segmentation, nous avons pu élaborer une sorte de “handbook”, une bibliothèque d’informations sur les différents clusters (…). Naturellement, cette bible continue à s’enrichir au fur et à mesure des études que nous réalisons.
Une dernière question enfin. Quelles sont les réactions de vos interlocuteurs à l’usage de cette segmentation ?
Ils sont manifestement assez impressionnés par la pertinence marketing qu’offre cette grille de lecture et d’analyse. Mais ils sont aussi agréablement surpris que celle-ci soit directement disponible, l’ensemble de nos panélistes ayant déjà été pré-qualifiés. Ils n’ont donc pas à intégrer de nouvelles variables et rallonger leurs questionnaires pour pouvoir l’utiliser.
Bien sûr, ils peuvent avoir le réflexe de se dire qu’une segmentation complètement ad hoc, construite en fonction d’une problématique ou d’un secteur d’activité bien spécifique, sera nécessairement plus appropriée que ce type de grille. Mais, à l’usage, ils se rendent vite compte de la puissance de celle-ci, et précisément de l’intérêt qu’elle soit transversale, ce qui permet de capitaliser sur un très grand nombre de cas marketing et d’études.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Emilie Faget