En théorie, nouer une relation fructueuse et un vrai partenariat entre instituts d’études et annonceurs peut sembler couler de source. En pratique, celle-ci reste souvent perfectible. C’est ce que nous dit Emmanuel Malard, en connaissance de cause. Aujourd’hui Associé au sein de Sugi Research après un solide parcours côté institut, puis chez l’annonceur, il accompagne les entreprises dans une mission spécifique, celle de mieux exploiter les connaissances issues des études marketing. Il partage ici son regard sur les leviers d’une collaboration plus efficace et créatrice de valeur.
MRNews : Vous venez d’intégrer Sugi Research, après avoir travaillé à la fois en institut et chez l’annonceur – notamment chez Samsung Electronics. Ce parcours vous donne sans doute un regard complet sur la relation entre instituts et annonceurs. Est-il facile d’instaurer une relation gagnant-gagnant ?
Emmanuel Malard (Sugi Research) : Ce n’est ni impossible, ni simple. Chacun a ses objectifs, son agenda, et cela peut générer des divergences, voire des frictions. Le fait d’avoir travaillé des deux côtés m’a permis de mieux comprendre les attentes réciproques. Quand on est en institut, on ne perçoit pas toujours clairement comment les études sont exploitées, transformées en décisions, en actions concrètes, en chiffre d’affaires… ni dans quels process elles s’inscrivent, notamment sur le plan budgétaire. À l’inverse, côté annonceur, on ignore souvent les contraintes de production d’une étude : la difficulté à recruter une cible rare, les délais incompressibles, les impacts sur les budgets…
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Mon passage chez Samsung a d’ailleurs bousculé certaines certitudes acquises en institut. Je pensais faire du bon travail, mais j’ai réalisé à quel point il était facile de passer à côté des véritables attentes des annonceurs.
Mon passage chez Samsung a d’ailleurs bousculé certaines certitudes acquises en institut. Je pensais faire du bon travail, mais j’ai réalisé à quel point il était facile de passer à côté des véritables attentes des annonceurs.
Sur quels aspects par exemple ?
Notamment sur les livrables. En institut, on a parfois cette obsession de produire un rapport impeccable. Mais chez l’annonceur, si ce rapport arrive ne serait-ce que quelques heures après une réunion clé, il est trop tard. Deux chiffres bien choisis, même présentés sur un simple slide, auraient parfois suffi à prendre une meilleure décision. Dans certains cas, il aurait mieux valu travailler main dans la main avec le client sur un livrable intermédiaire que de passer des heures à peaufiner une présentation parfaite. Certes, les annonceurs peuvent mettre la pression, parfois pour le principe. Mais il y a aussi de vrais impératifs de timing, et chez Samsung, les décisions se prenaient très vite.
Deux chiffres bien choisis, même présentés sur un simple slide, auraient parfois suffi à prendre une meilleure décision. Dans certains cas, il aurait mieux valu travailler main dans la main avec le client sur un livrable intermédiaire que de passer des heures à peaufiner une présentation parfaite.
Au final, avez-vous réussi à instaurer des partenariats satisfaisants ?
Il y a eu des flops, je ne le cache pas (rires). Par exemple quand nous avons tenté d’intégrer des collaborateurs d’instituts comme ressources internes, ou de leur faire exploiter nos propres outils et données. Pour un institut, c’est compliqué de travailler sur des données qu’il n’a pas produites, avec des logiques différentes des siennes. Mais il y a aussi eu de belles réussites. Ça fonctionne bien quand on réussit à « événementialiser » un projet : en faire un moment fort en interne, ou aller chercher ensemble une reconnaissance professionnelle, comme un trophée. Je pense aussi à des expériences de co-développement, notamment avec Strategir autour de la réalité virtuelle.
Quand je suis arrivé chez Samsung, un pair m’avait prévenu qu’au bout de deux ans, je détesterais tous les instituts. Il avait tort : je n’en détestais que quelques-uns ! (rires). Plus sérieusement, le bashing existe des deux côtés, alimenté par des personnalités fortes. Mais ce n’est jamais productif : il est dans l’intérêt de tous de bien travailler ensemble, c’est une évidence. Peut-être faudrait-il même que les professionnels des instituts passent quelques jours chez les annonceurs, ce serait très utile.
Le bashing existe des deux côtés, alimenté par des personnalités fortes. Mais ce n’est jamais productif : il est dans l’intérêt de tous de bien travailler ensemble, c’est une évidence.
L’équilibre actuel entre l’offre et la demande en matière d’études ne met-il pas les annonceurs en position de force pour faire pression sur les budgets et les délais ?
Mon intuition est que les évolutions technologiques vont, au contraire, contribuer à rééquilibrer la relation. Une partie de la prestation – la production pure – tend à se commoditiser. Il y a dix ou quinze ans, c’était l’objet de nombreux débats et l’expertise méthodologique faisait toute la différence. Ce sera de moins en moins le cas. La valeur va désormais se déplacer en amont et en aval : dans la définition des problématiques et dans l’accompagnement de la mise en action. Cela devrait amener à moins de relations « one shot » centrées sur des études ad hoc, et davantage à des collaborations inscrites dans la durée.
Mon intuition est que les évolutions technologiques vont, au contraire, contribuer à rééquilibrer la relation (…). La valeur va désormais se déplacer en amont et en aval : dans la définition des problématiques et dans l’accompagnement de la mise en action. Cela devrait amener à moins de relations « one shot » centrées sur des études ad hoc, et davantage à des collaborations inscrites dans la durée.
On peut d’ailleurs faire le parallèle avec la publicité, où se sont mises en place de vraies relations de partenariat entre agences et annonceurs. On le retrouve aussi dans l’univers de la data, où les collaborations se construisent souvent sur plusieurs années, plutôt que de lancer un appel d’offres à chaque projet. Après, il ne faut pas perdre de vue que la relation interpersonnelle reste déterminante. Quand on s’entend bien avec un interlocuteur et qu’il change d’institut, on est naturellement tenté de le suivre.
Venons-en à Sugi Research. Qui n’est pas un institut au sens classique, et qui propose donc une relation différente avec les annonceurs… Comment résumeriez-vous sa proposition ?
L’idée centrale de Sugi Research est de redonner une place centrale aux équipes Insights & Marketing et d’aider les organisations à optimiser l’usage de leurs connaissances internes, accumulées étude après étude. On sait que beaucoup de rapports finissent par disparaître des radars une fois la présentation terminée — parfois parce que l’organisation évolue, ou parce que la personne qui portait le projet a quitté l’entreprise.
L’idée centrale de Sugi Research est de redonner une place centrale aux équipes Insights & Marketing et d’aider les organisations à optimiser l’usage de leurs connaissances internes, accumulées étude après étude.
Mais notre rôle est plus large. Il s’inscrit dans un triptyque consistant à mieux (ré)utiliser et activer la connaissance existante, ne pas re-produire ce que l’on sait déjà. Mais aussi à mieux produire, en optimisant le cycle de vie des études de la conception à l’activation ; et enfin à mieux communiquer les informations relatives aux clients et aux marchés, en optimisant la diffusion et l’appropriation des insights, et in fine la création de valeur.
« Mieux produire », cela signifie que vous n’intervenez pas seulement en aval des études ?
Absolument, c’est un point essentiel. Notre intervention peut prendre des formes très diverses. Parfois, nous accompagnons une étude déjà lancée ou en cours, pour garantir le bon déroulement du projet, mais aussi pour aider à valoriser les résultats en aval : restitution, workshops, mise en action. Ce type d’accompagnement peut aussi s’étendre à un ensemble d’études autour d’un enjeu particulier comme l’innovation ou la communication.
Dans d’autres cas, l’entreprise dispose déjà de solutions d’interrogation consommateurs, mais elle souhaite être épaulée pour s’assurer que les résultats seront vraiment utilisés, réutilisés et auront un impact tangible sur son organisation.
Enfin — et c’est le cœur du positionnement de Sugi Research — nous menons des audits d’études. L’objectif est de tirer parti de la connaissance existante, construite au fil du temps mais souvent consultée par trop peu de personnes… quand elle n’est pas tout simplement oubliée. Beaucoup d’études sont commandées pour obtenir deux ou trois chiffres indispensables à un évènement ponctuel, alors qu’elles contiennent une mine d’informations inexploitées. L’audit permet non seulement de capitaliser sur cet héritage, mais aussi d’identifier les angles morts, les manques, et de co-construire avec nos clients des programmes d’études plus pertinents.
Beaucoup d’études sont commandées pour obtenir deux ou trois chiffres indispensables à un évènement ponctuel, alors qu’elles contiennent une mine d’informations inexploitées. L’audit permet non seulement de capitaliser sur cet héritage, mais aussi d’identifier les angles morts, les manques, et de co-construire avec nos clients des programmes d’études plus pertinents.
Jusqu’où peut aller le rôle de Sugi Research lorsque vous intervenez ainsi sur les programmes d’études ?
Il varie selon les besoins de l’entreprise. Parfois, nous aidons les équipes à définir leur programme annuel ou pluriannuel, en capitalisant sur l’existant et en comblant les manques. Mais — et c’est une tendance récente — on nous demande aussi de jouer un rôle de maîtrise d’ouvrage, voire d’« architecte de solutions ». Dans ce cas, nous proposons comment structurer un dispositif en combinant différents types de prestations, avec des prestataires que nous pouvons présélectionner en fonction du contexte et des besoins de l’entreprise.
« Mieux communiquer », cela signifie quoi concrètement ?
J’ai connu l’époque où l’on réunissait 10 ou 20 personnes dans une salle pendant trois heures pour discuter des résultats d’une étude. Ce format n’a plus de sens aujourd’hui. Il faut adapter les supports et les messages aux différents publics internes, parfois même « scander » ou éditorialiser la diffusion, un peu comme avec un plan média. Cela passe par des infographies, une pédagogie adaptée, et un vrai travail de mise en récit. On peut presque parler d’un travail « journalistique », que nous mettons au service de nos clients.
Quels moyens mettez-vous en œuvre pour assurer ces missions ?
Ils sont d’abord humains. Notre équipe rassemble des profils seniors aux expertises variées — santé, luxe-beauté, expérience client — tout en restant méthodologiquement agnostiques. Outre la co-fondatrice Charlotte Taupin, nous sommes désormais quatre associés, épaulés par un pool d’une douzaine d’intervenants certifiés Sugi Research.
Nous mobilisons aussi la technologie, et en particulier l’intelligence artificielle. Avec Datelia, notre plateforme partenaire de knowledge management conçue par et pour des professionnels des études, nous permettons à nos clients d’interroger en langage naturel un corpus spécifique de leurs études et informations internes.
Voyez-vous un dernier point à ajouter ?
Sugi Research est un acteur nouveau, qui propose une relation inédite aux annonceurs mais aussi, dans certains cas, aux instituts, en jouant un rôle d’intermédiaire pour fluidifier les échanges. Je suis convaincu qu’il est nécessaire que les deux parties travaillent mieux ensemble, et la technologie peut y aider en prenant en charge la production à faible valeur ajoutée.
Il serait utile de s’inspirer d’autres univers — j’ai évoqué la publicité, mais il y en a d’autres — pour renforcer la dimension partenariale et inventer une nouvelle donne. Cela suppose aussi que les instituts mènent une réflexion de fond sur leur valeur ajoutée et les profils à intégrer demain. Au final, l’essentiel est simple : permettre aux entreprises de tirer le meilleur parti possible des connaissances acquises.
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewées : @ Emmanuel Malard