DOSSIER DU MOIS

# Etudes marketing : faut-il ré-inventer la relation entre instituts et annonceurs ?

"Instituts et annonceurs, nous sommes dans la même barque"

Virginie Gautereau et Lucie Coulon
Responsable du pôle Etudes qualitatives Retail & Tranports et Directrice de Clientèle du Département Services d’Enov

7 Oct. 2025

Interview de Virginie Gautereau et Lucie Coulon (Enov)

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Face à l’exigence croissante d’agilité et dans un contexte économique tendu, la relation entre annonceurs et instituts est mise sous pression — au risque d’altérer la qualité des études. Pourtant, d’autres voies existent, plus collaboratives et créatrices de valeur. Lucie Coulon et Virginie Gautereau (Enov) partagent ici deux cas concrets et livrent leur réflexion sur ces nouvelles formes de partenariat.

MRNews : La relation instituts-annonceurs vous semble-t-elle avoir beaucoup évolué ces dernières années ? Et, si oui, en quoi ?

Lucie Coulon (Enov) : L’exigence d’agilité des entreprises est devenue centrale. Un impératif s’est quasiment généralisé, celui de faire toujours plus vite pour moins cher, avec une grande réactivité et beaucoup de flexibilité. Mais, en face, nos interlocuteurs sont eux-mêmes contraints par les process internes de leur organisation, ce qui crée parfois un décalage. Cette pression sur les prix et les délais peut amener à des compromis, alors que nous tenons à préserver la qualité des études. Le schéma classique de la relation institut-annonceur fonctionne encore, mais il génère souvent des frustrations, des deux côtés.

Un impératif s’est quasiment généralisé, celui de faire toujours plus vite pour moins cher, avec une grande réactivité et beaucoup de flexibilité. Mais, en face, nos interlocuteurs sont eux-mêmes contraints par les process internes de leur organisation, ce qui crée parfois un décalage.

Virginie Gautereau (Enov) : Je partage totalement l’analyse de Lucie. Nous sommes parfois enfermés dans un rôle de « prestataire ». Le mot n’est pas totalement faux, mais il me gêne, car il ne traduit pas ce que nous cherchons à bâtir : une véritable relation de partenariat.

Le marché des études marketing est tendu, et l’équilibre offre-demande n’est pas très favorable aux instituts. Cela ne pèse-t-il pas sur la relation ?

LC : Si, forcément. D’autant plus que la technologie permet aux annonceurs d’internaliser une partie des études et de les produire en mode Do It Yourself…

VG : Le contexte est difficile, c’est vrai, mais il nous pousse aussi à renforcer notre valeur ajoutée. En innovant, en cherchant à maximiser l’impact des études, et surtout en aidant les équipes à s’approprier les résultats pour qu’ils soient vraiment utiles dans l’entreprise. C’est parfois ce qui fait la différence, d’autant qu’il y a aussi une vraie attente en ce sens côté annonceurs. Nos interlocuteurs ont désormais besoin de plus d’accompagnement et d’expertise. Ils apprécient notre connaissance de leur secteur, mais ils sont aussi friands de benchmarks venant d’autres univers. Nous évitons de considérer l’étude comme une fin en soi : ce qui nous importe le plus, c’est bien l’enjeu décisionnel de l’entreprise, et comment les études peuvent accompagner cette prise de décision. Cela implique de rester souples et capables d’adapter, de faire évoluer le dispositif initial si besoin. C’est dans cet esprit que nous avons pensé d’autres schémas relationnels, comme celui de Co’Lab.

Nos interlocuteurs ont désormais besoin de plus d’accompagnement et d’expertise. Ils apprécient notre connaissance de leur secteur, mais ils sont aussi friands de benchmarks venant d’autres univers.

Pouvez-vous nous partager des exemples de projets menés en déployant ce schéma de collaboration ?

VG : Nous pouvons citer deux cas assez différents. Celui que j’ai piloté concernait SNCF Voyageurs et son Lab Simplicité Clients. L’enjeu était d’accompagner un projet de transformation interne et transverse, ce qui vous l’imaginez est titanesque dans une organisation tentaculaire comme la SNCF. Cela nécessitait de nombreuses études menées rapidement, auprès de cibles variées, avec des éclairages immédiatement opérationnels. Nos interlocuteurs avaient aussi besoin de souplesse, de réactivité, soit pour relancer de nouvelles études au fil de l’eau, soit pour prolonger de premiers résultats, soit pour explorer de nouvelles pistes …Très vite, nous avons compris qu’un fonctionnement classique « Appel Offre – Achats » ne permettrait pas de répondre efficacement à ces besoins, serait trop contraignant, voire enfermant. 

LC : De mon côté, nous avons développé un partenariat avec Orange sur des  problématiques UX. L’entreprise était dans un processus de refonte de ses outils digitaux à destination de la clientèle professionnelle — sites, applications… et souhaitait systématiser les tests de tous les nouveaux parcours imaginés. Les UX designers ne pouvaient pas tester eux-mêmes l’intégralité de ces parcours avant leur mise en ligne : ce n’était pas imaginable dans leur roadmap. Ils nous ont donc sollicités pour les accompagner, en élargissant le regard non seulement aux clients existants, mais aussi aux prospects.

Dans les deux cas, il fallait enchaîner de nombreuses études sans subir les lourdeurs des process classiques…

LC : Exactement. Cela nous a conduits à sortir du modèle « one shot », pour instaurer un dialogue quasi permanent avec nos interlocuteurs pour gagner en agilité : échanges réguliers sur les enseignements, définition des prochaines étapes, ajustements rapides.

VG : Même si les contextes étaient très différents, dans les deux cas nous étions dans une logique d’accompagnement d’une transformation, où la notion de partenariat prenait tout son sens. Cela passait par des équipes dédiées de part et d’autre — côté institut et côté entreprise —et des instances de partage pour avancer ensemble.

Le contexte nous a conduits à sortir du modèle « one shot », pour instaurer un dialogue quasi permanent avec nos interlocuteurs pour gagner en agilité : échanges réguliers sur les enseignements, définition des prochaines étapes, ajustements rapides.

Cet accompagnement suppose un cadre contractuel adapté. Quelles modalités avez-vous retenues ?

VG : Avec SNCF Voyageurs, nous avons mis en place un accord-cadre, avec des tarifs préétablis selon les profils mobilisés. Cela permettait à nos interlocuteurs de piloter le budget de façon souple : chaque nouvelle étude faisait simplement l’objet d’un devis.

LC : Chez Orange, l’accord-cadre reposait plutôt sur des dispositifs méthodologiques, notamment des interviews. Mais, dans les faits, ceux-ci se traduisent assez facilement en jours-homme, donc ce n’est pas si différent. Dans les deux cas, l’idée était de disposer d’un cadre flexible, adapté à l’organisation et à ses contraintes, permettant d’être réactifs et de garder un lien direct avec les équipes projet.

Ce mode de fonctionnement n’a-t-il que des avantages ? Qu’implique-t-il des deux côtés ?

LC : L’avantage majeur, pour nous comme pour nos interlocuteurs, est d’avoir vraiment le sentiment d’avancer ensemble, avec efficacité. La relation devient pleinement partenariale : nous sommes associés aux process et aux avancées de l’entreprise. L’image qui me paraît la plus juste, c’est celle d’être « dans la même barque ». C’est gratifiant, mais cela exige de notre part une très grande réactivité et disponibilité, ainsi qu’une certaine stabilité des équipes pour capitaliser sur les enseignements.

L’image qui me paraît la plus juste, c’est celle d’être « dans la même barque ». C’est gratifiant, mais cela exige de notre part une très grande réactivité et disponibilité, ainsi qu’une certaine stabilité des équipes pour capitaliser sur les enseignements.

VG : Ces dispositifs sont exigeants, mais le partenariat qui en découle permet de le vivre positivement. Ils valorisent aussi nos interlocuteurs côté annonceur, qui doivent parfois surmonter des résistances internes mais qui, grâce à ces démarches, obtiennent des résultats tangibles et contribuent à désiloter leur organisation. Et il est important de rappeler que nous ne remplaçons pas les équipes études : nous sommes là pour les épauler face à des équations complexes.

LC : Ce rôle de désilotage est effectivement crucial. C’est ce que nous avons pu constater chez Orange, où nous avons travaillé avec différents UX designers. Ils étaient proches, mais chacun sur son périmètre — service client, boutiques… Or, mutualiser les connaissances leur a apporté une vraie valeur.

Dans une précédente interview, votre Directeur Général, Lambert Lagrevol, mettait en avant l’intérêt des communautés d’études pour faciliter le partenariat institut-annonceur…

VG : Nous partageons totalement ce point de vue. Nous utilisons souvent ce type de dispositif, qui offre de nombreux avantages. Mais ils ne répondent pas à tous les besoins, notamment lorsqu’il s’agit de travailler sur des cibles hétérogènes, comme les prospects d’une entreprise et pas uniquement ses clients, ou bien sur ces cibles moins proches du digital. Notre dispositif Co’Lab peut donc s’appuyer sur ces communautés, mais nous pouvons aussi intégrer d’autres modes de collecte, selon les besoins. Par exemple, dès lors que l’on travaille sur des problématiques de mobilité, ou de Retail, le face à face est souvent mobilisé ! 

Lire aussi > « Les communautés ouvrent de nouvelles formes de collaboration avec les entreprises » – Interview de Lambert Lagrevol, Directeur Général d’Enov

Quelle place occupe ce type de démarche – et donc la relation fortement partenariale qu’elle implique – dans votre activité ?

VG : Ce mode de fonctionnement prend tout son sens dans certains contextes précis, notamment lorsqu’il s’agit d’accompagner des transformations, comme ça été le cas avec Orange ou la SNCF. Il est particulièrement adapté aux grandes organisations, qui doivent parfois s’affranchir de leurs process habituels pour gagner en souplesse et piloter des projets d’envergure. Mais cela suppose aussi une relation déjà établie, avec un socle de confiance réciproque. Cela dit, il est tout à fait possible – et heureusement – d’instaurer un vrai partenariat dans d’autres configurations, y compris sur des projets « one shot ».

Il est tout à fait possible – et heureusement – d’instaurer un vrai partenariat dans d’autres configurations, y compris sur des projets « one shot ».

LC : Les communautés d’études que nous évoquions génèrent assez naturellement ce type de relation partenariale. Mais elle peut se construire de multiples façons, notamment quand nous accompagnons nos interlocuteurs après la phase d’étude, à travers des workshops par exemple. C’est avant tout une question de posture, presque de « câblage mental ». Nous privilégions ces modes d’intervention où nous jouons un rôle d’accompagnateur, plus que de simple prestataire.

Voyez-vous un dernier point à ajouter, plus particulièrement à destination des équipes côté annonceurs ?

LC : Un message me paraît essentiel : instituts et entreprises sont dans la même barque. C’est un tandem. Si l’une des deux parties ne trouve pas son compte dans la relation, cela finit toujours par limiter l’efficacité de ce que nous faisons ensemble. À l’inverse, si la relation est gratifiante, chacun est prêt à se dépasser pour l’autre. Cela suppose d’instaurer une certaine transparence sur les enjeux comme sur les contraintes. L’opacité existe parfois, on peut le comprendre, mais c’est un frein. Autant essayer de travailler autrement, pour être le plus performant possible.


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewées : @ Virginie Gautereau @ Lucie Coulon

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

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