# Les communautés d’études online : mode d’emploi et best practices (volet 1)
Dossier Communautés : interview de Lambert Lagrevol (Enov)

"Les communautés ouvrent de nouvelles formes de collaboration avec les entreprises"

Lambert Lagrevol
Directeur Général d’Enov

9 Mar. 2022

Partager

Pour Lambert Lagrevol, Directeur Général d’Enov, bien exploiter les communautés suppose d’associer et de mettre en œuvre des compétences relativement éclatées. L’une, et non la moindre, étant celle du community management, la capacité à répondre aux aspirations des membres étant un facteur décisif. Mais elle passe aussi par l’adoption de nouvelles formes de collaboration entre les équipes des annonceurs et les instituts, et la nécessité de sortir du cadre étroit des études pour faire un pas en direction du « change management ».

MRNews : La notion de « communauté » reste assez floue dans l’univers des études. Qu’est-ce que c’est ? Et qu’est-ce que cela n’est pas ?

Lambert Lagrevol (Enov) : C’est vrai, il subsiste encore pas mal de confusions. Je comprends tout à fait que nos interlocuteurs dans les entreprises aient du mal à s’y retrouver. D’autant que des acteurs ayant des compétences très différentes interviennent sur ces sujets, depuis les professionnels des insights ou du planning stratégique jusqu’aux spécialistes des plateformes. Il y a notamment un amalgame avec les études qualitatives on-line, qui s’inscrivent pourtant dans un registre distinct. Ces dernières ont vocation à traiter une problématique bien précise, sur une période de temps courte, selon un mode d’interrogation « descendante ». De la même façon, une communauté n’est pas un panel, qui comprend généralement plusieurs milliers de personnes. Les communautés se caractérisent comme étant un espace collaboratif où les membres se retrouvent et s’expriment à trois niveaux. Bien sûr pour répondre à des questions, celles que les marques se posent. Mais aussi pour avoir des conversations, y compris entre eux ; et enfin pour produire des contributions, celles-ci pouvant s’inscrire dans des processus de co-création.

Quelle « typologie » vous semble la plus pertinente pour ce qui est de ces communautés ?

De plus en plus, elles se distinguent en fonction de leur vocation propre. Elles peuvent par exemple être dédiées à la meilleure connaissance d’une cible spécifique. Ou bien à un enjeu, comme l’innovation notamment. La clé d’entrée est nettement plus « thématique » qu’elle ne l’était quelques années en arrière. Les entreprises, en tout cas celles qui ont le plus de maturité sur ces dispositifs, ne veulent pas fonder une communauté dans l’absolu, mais une communauté consacrée à un sujet ou un enjeu business bien défini. 

Mais il y toujours un dénominateur commun, celui de la connaissance clients. Et il y a un distinguo important à faire entre celle-ci et les études. Ces dernières ont vocation à apporter une ou des réponses à des questions précises. Alors que la connaissance client s’inscrit plus dans un processus continu, l’ambition étant de créer et diffuser une culture client dans l’organisation.

Ces communautés peuvent s’appliquer à quelles problématiques pour les entreprises ? Pour lesquelles sont-elles les plus efficaces ?

Le champ est extrêmement large. Mais les communautés me semblent idéales pour adresser des projets stratégiques, dans des contextes où il faut déployer de nombreux angles d’éclairage. Et aussi lorsque ces projets sont complexes et/ou concernent beaucoup de parties prenantes de l’organisation. Elles donnent la possibilité d’imbriquer les strates de connaissance, et de fonctionner en mode itératif. On avance ainsi progressivement, en ne mettant pas tous les œufs dans le même panier. 

Un enjeu que nous adressons souvent avec nos clients est celui de l’attaque d’un nouveau marché, un pays ou un segment, ou bien encore une catégorie de produits ou de service. L’entreprise a la volonté stratégique de se diversifier, et cherche les meilleures options. Les communautés apportent de la connaissance pour comprendre la cible, appréhender les « règles du jeu ». Puis, dans un second temps, elle permet de rapidement tester les concepts élaborés par les équipes marketing, en mode souple.

Par ailleurs, les communautés peuvent aider à rationaliser les allocations de budget études. En particulier lorsque l’entreprise ne peut pas lancer de nouveaux projets sur toutes les problématiques qui se présentent. On voit vite si une idée soulève un minimum d’appétence auprès du marché. Si ce n’est pas le cas, cela signifie qu’on peut se passer d’une étude potentiellement couteuse.

Elles sont mobilisables sur tous les secteurs d’activité ?

Oui, absolument. Le déploiement a été plus rapide sur les secteurs des services. Mais, désormais, les acteurs de de la grande consommation s’activent dans un contexte marché encore plus « VUCA ». Ce qui incite les annonceurs à adopter des nouveaux design d’études moins standardisés

Quels sont les ingrédients qui vous semblent les plus essentiels pour tirer parti de ces dispositifs communautaires ? Ou bien au contraire pour passer à côté !

Certaines entreprises ont adopté ces outils, et ont été frustrées. Nos interlocuteurs nous le disent parfois, évoquent le fait que le contenu remonté par les membres était un peu pauvre. Et aussi et surtout qu’il était difficile de générer un bon niveau de participation. À mon sens, cela soulève une question qu’il est essentiel de se poser lorsqu’on crée une communauté. Celle de savoir pourquoi les individus auraient l’envie de s’impliquer. C’est le sujet de la promesse de valeur associée à ces dispositifs. Il faut impérativement mettre en avant quelque chose qui répond aux aspirations des membres. C’est LE prérequis.

Proposer aux gens de participer à une étude, c’est leur demander de s’inscrire dans une logique « descendante ». Et ce dans un contexte où ils sont bombardés de sollicitations de toute part. Et, par ailleurs, ils ont mille possibilités pour donner leur avis aujourd’hui, en particulier via les réseaux sociaux. Il y a donc une forme de concurrence. Les dispositifs communautaires représentent une alternative extrêmement intéressante dans ce contexte. Mais, pour embarquer les individus et faire en sorte qu’ils soient actifs, il faut impérativement leur proposer une promesse de valeur satisfaisante. On peut ainsi faire s’exprimer cette grande majorité silencieuse, qui ne s’épanche pas nécessairement sur les réseaux, et n’a pas le pattern psychologique des panélistes.

Qu’est-ce qu’une bonne promesse de valeur ? Quels exemples peuvent l’illustrer ?

Je vois trois registres possibles. La promesse peut reposer sur le lien que les gens ont vis-à-vis de la marque. S’ils l’apprécient, ils peuvent être partants pour contribuer à son évolution. La relation à la catégorie peut aussi être un socle pertinent. Certains domaines peuvent donner l’impression de ne pas constituer un terrain très « sexy », l’assurance-vie par exemple. Mais en réalité, en grattant un peu, on identifie de vraies motivations, dans ce cas précis la sécurité matérielle des gens ainsi que celle de leurs proches. Un second ressort est l’échange entre pairs. Il est pertinent sur bon nombre de catégories, et fonctionne formidablement bien dans le business-to-business. La troisième forme de promesse de valeur efficace, ce sont les incentives. C’est une variable importante dans l’économie de ce système d’information, le retour sur investissement pouvant être très supérieur à celui des focus groups. D’autant qu’il est possible de faire preuve de créativité, via des jeux-concours notamment. 

Quels sont vos partis-pris autour du Community Management ?

Notre parti pris est qu’il s’agit d’un vrai nouveau métier. L’objectif n’est pas de générer une audience énorme, mais de trouver un juste équilibre, pour fidéliser les membres, faire en sorte qu’ils s’expriment ; tout cela bien sûr au service d’une meilleure connaissance des clients. Nous avons chez nous des collaborateurs dont c’est le métier à part entière. Et nous avons créé une CM Factory dédiée à ce savoir-faire, pour tendre vers l’excellence dans ce domaine et partager les best practices auprès des équipes. La manière d’interroger les membres se différencie de celles les plus couramment utilisées dans les études, avec des sollicitations beaucoup moins directives. Nous recourons de plus en plus à la gamification et au design fiction, qui donnent des résultats enthousiasmants. 

Le management doit également être modulé en fonction des contextes. Dans certains cas, et notamment dans le business to business, il faut viser une forte fidélité. Dans d’autres, il est préférable d’adopter une logique de flux, en intégrant régulièrement de nouveaux entrants pour compenser les départs naturels.

Voyez-vous d’autres leviers importants pour optimiser l’efficacité de ces dispositifs, ou bien d’autres pièges à éviter ? 

Il y a un vrai enjeu autour du dimensionnement et de l’ambition de cet outil dans les entreprises. Si un interlocuteur nous sollicite pour mettre en place une énorme communauté alors qu’il n’a jamais pratiqué ce type de dispositif, nous allons lui conseiller de démarrer avec des objectifs plus modestes, à la fois sur la durée et le nombre de membres. 

Je pense également que l’erreur à ne pas faire, côté annonceurs, est de monter une communauté en restant sur des façons de travailler relativement classique. Ces dispositifs invitent à sortir du schéma habituel avec un brief formalisé, un projet, un terrain d’études sur plusieurs semaines, une restitution… Les équipes au sein de l’entreprise doivent procéder autrement, et elles ont tout à gagner à adopter de nouveaux modes de fonctionnement avec les instituts. La vraie grande valeur ajoutée des communautés, c’est l’agilité, la souplesse. Cela a beaucoup d’implications, à commencer par la façon de planifier les études à mener avec les membres. Il faut bien sûr définir un programme, ne serait-ce que pour s’éviter le stress de ne pas savoir comment animer la communauté. Mais on doit se laisser des marges de manœuvre, un bon tiers des projets pouvant être lancé en fonction des besoins, notamment pour creuser des points de connaissance.

Les livrables doivent aussi être repensés dans ce contexte. Cela n’a pas vraiment de sens produire des rapports complets. Quelques slides suffisent pour ramasser l’essentiel. La connaissance client doit circuler avec le maximum de fluidité, et des outils comme des newsletters ou des podcasts peuvent y contribuer efficacement.

Une dernière question enfin : la pratique des communautés transforme-t-elle profondément le métier des études, y compris côté instituts ?

Absolument ! Après 10 ans de pratique, on peut dire que cette transformation a été et est encore est un challenge, elle est très exigeante dans la nature des compétences à associer. Chez nous, cela suppose un solide savoir-faire dans la gestion de projets, pour que l’outil soit bien dimensionné, bien exploité. Mais il doit se doubler d’une réelle capacité à accompagner les équipes de l’entreprise, y compris les décideurs, avec lesquels la proximité devient beaucoup plus forte. Cela implique des interactions bien plus régulières, constantes. Il faut donc des compétences relationnelles avec une posture de conseil assumée, avoir une vraie valeur ajoutée sur la détection des insights. Et ce tout en étant garant de la rigueur méthodologique des études, avec la nécessité de trouver des compromis équilibrés pour être dans l’agilité.

En contrepartie, cela nous donne un rôle extrêmement riche. Nous aidons l’entreprise à anticiper en fonction de ce qui se passe sur leurs marchés. Et nous sommes plus impliqués dans leurs réflexions que nous ne le sommes dans des schémas plus traditionnels. Il y ainsi une forme de prolongement, du métier des études à celui du change management, qui est vraiment passionnant !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Lambert Lagrevol

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

Partager

S'ABONNER A LA NEWSLETTER

Pour vous tenir régulièrement informé de l’actualité sur MRNews