Interview de Sarah Mottet Directrice générale de Léger DGTL

« Les marques doivent se préparer à l’après-Facebook » – Interview de Sarah Mottet (Léger DGTL)

29 Avr. 2024

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Et si l’on regardait de plus près ce qui se passe outre-atlantique, chez nos amis canadiens ainsi qu’aux Etats-Unis autour de l’usage des réseaux sociaux et de la perception des influenceurs ? C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui — en complément de notre dossier du mois consacré à ces sujets — avec l’interview de Sarah Mottet, Directrice générale de Léger DGTL, qui nous présente les principaux éclairages d’une étude menée auprès de 4000 répondants.

MRNews : Vous avez réalisé une étude d’envergure sur les comportements en ligne des Canadiens et des Américains. Pourquoi cette investigation ? 

Sarah Mottet : Léger DGTL est, depuis octobre 2021, l’agence numérique de la société Léger qui en a fait l’acquisition et lui a donné son nouveau nom. Notre parti-pris est d’utiliser la puissance des études et de la connaissance des consommateurs pour créer des campagnes les plus performantes possibles, en ne se limitant pas aux seules intuitions que l’on peut avoir sur ces sujets. C’est ce que nous proposons à nos clients, et ce qui nous amène à réaliser ce type d’investigation. J’ajouterai que cela participe aussi à une certaine philosophie à laquelle nous sommes attachés ; nous estimons en effet qu’il est de notre devoir de partager des données fiables auprès des acteurs de l’industrie, des chercheurs ou pourquoi pas du grand public. 

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Nous avons mené cette investigation à l’automne 2023, en ligne, auprès de 3000 Canadiens et 1000 Américains. Cela nous permet de disposer d’une robuste base d’informations pour nourrir nos recommandations quant à l’élaboration de stratégies média et de contenu sur les plateformes numériques. Et aussi de pouvoir compter sur une certaine granularité, pour bien identifier les spécificités de certaines populations. Je précise qu’il s’agit de la seconde édition de cette étude, la première avait été réalisée en 2022. 

Accéder au rapport de l’étude DGTL 2024

Comment se situent les Américains et les Canadiens en termes d’usages digitaux vs les Européens ?

Les Américains ont souvent une forme « d’avance », même si je préfère mettre ce terme entre guillemets. Je veux simplement dire par là que ce qu’ils font à un instant T se retrouve dans les comportements des Canadiens ou des Européens quelques mois ou années plus tard. Mais bien sûr, il faut tenir compte de certains particularismes. C’est par exemple le cas avec le réseau X (l’ex-Twitter) dont l’image varie sensiblement d’un pays à l’autre depuis son rachat par Elon Musk. Ou même de WhatsApp, qui est bien utilisé en France, alors que son usage progresse, mais demeure plus restreint au Canada, en étant plus concentré sur des populations spécifiques. En Afrique, c’est la plateforme numéro 1 pour communiquer !

Passons aux principaux résultats. Le premier éclairage majeur n‘est-il pas cette forte fragmentation des usages que vous venez d’évoquer ?

Absolument. Les comportements varient de façon considérable en fonction des continents et des pays mais aussi énormément selon les générations, ce prisme étant majeur. On le voit en particulier au travers de notre tableau récapitulatif. Dans une moindre mesure, le sexe intervient également, les femmes utilisant relativement plus des Pinterest ou Instagram, et plus largement des plateformes où la composante image est essentielle. 

Base : Population Canada 16 ans et +

Mais le fait le plus marquant est l’évolution de Facebook. Tout le monde ou presque a un compte Facebook, mais l’usage est de plus en plus hétérogène, avec un fort recul auprès des 16-24 ans. Facebook est utilisé chez les jeunes, mais beaucoup moins que chez les générations plus âgées, elle n’apparait même plus dans leur top 5 de plateformes favorites ou préférées. C’était un peu la « capitale » du web et des réseaux sociaux, mais c’est désormais nettement moins le cas. Les marques doivent donc se préparer à l’après-Facebook. La palme de la progression revient à WhatsApp qui, au Canada, est particulièrement utilisée par les populations migrantes de 1ère ou 2ème génération, pour maintenir le contact avec leurs proches dans leur pays d’origine.

Le fait le plus marquant est l’évolution de Facebook. Tout le monde ou presque a un compte Facebook, mais l’usage est de plus en plus hétérogène, avec un fort recul auprès des 16-24 ans (…). C’était un peu la « capitale » du web et des réseaux sociaux, mais c’est désormais nettement moins le cas. Les marques doivent donc se préparer à l’après-Facebook.

La progression n’est-elle pas plus forte pour les plateformes de messagerie ?

Oui, c’est ce qui semble se dessiner en effet. C’est sans doute une évidence, mais lorsqu’on interroge les gens sur les raisons qui les font adhérer à de nouvelles plateformes, la possibilité de se connecter à leur entourage reste la motivation clé, c’est la base !

Un autre focus important de l’étude concerne l’utilisation des plateformes émergentes. Quand de nouveaux outils apparaissent et font l’objet d’un certain buzz, il est bon d’observer la réalité des usages. On voit ici que celui-ci reste relativement faible, par exemple pour Threads et BeReal. Il y a un cas particulier avec TikTok dont la courbe d’adoption avait explosé durant la crise Covid-19, et qui continue à progresser. Si elles ne l’ont pas encore fait, les marques doivent donc intégrer TikTok dans leur stratégie. On peut naturellement considérer que TikTok, est d’abord et avant tout destiné aux jeunes. C’est vrai, 60% des 16-24 ans ont un compte sur cette plateforme. Mais la proportion dépasse les 25% pour l’ensemble des 25-65 ans et plus au Canada, ce qui est loin d’être négligeable. Elle est passée de l’émergence à une forme de maturité, sa grande force étant ses algorithmes qui rendent l’usage particulièrement addictif.

Si elles ne l’ont pas encore fait, les marques doivent intégrer TikTok dans leur stratégie (…). Cette plateforme est passée de l’émergence à une forme de maturité, sa grande force étant ses algorithmes qui rendent l’usage particulièrement addictif.

Les gens utilisent massivement ces plateformes de messagerie et ces réseaux sociaux. Mais comment le vivent-ils ?

C’est effectivement une composante importante, nous avons affaire à un vrai phénomène de fatigue et d’anxiété numérique, ce qui constitue sans doute le 3ème point d’éclairage majeur de l’étude. C’est plus particulièrement le cas au Canada, près du quart de la population se déclarant stressée par le numérique, même s’ils ne sont que peu nombreux encore à avoir adopté des mécanismes pour limiter leur usage. Ils jugent qu’il est de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux, X étant très emblématique de ce phénomène, le contenu véhiculé par ce réseau étant souvent perçu comme toxique. Les Canadiens sont donc méfiants et aiment moins consulter le web pour se divertir, c’est que nous montre un faisceau d’indicateurs.

Base : Population Canada 16 ans et +

Les comportements en ligne des Américains sont-ils atypiques ? Qu’est-ce qui les singularise le plus ?

Il y a une grande diversité des usages, et aussi une réceptivité plus élevée à la publicité ciblée comparativement aux Canadiens. Ils aiment tout faire en ligne, et sont moins méfiants vis-à-vis des réseaux sociaux, qu’ils considèrent souvent comme étant plus crédibles que les médias d’information traditionnels. On utilise parfois cette expression, « free for all », qui colle bien aux Américains. Ils prennent les choses comme elles viennent, sans trop avoir peur pour leurs données, leur vie privée ou leur sécurité. C’est une attitude assez libertarienne au fond, qui diffère de celle des Canadiens, et doit être très éloignée de la mentalité dominante des Français. Cela se retrouve dans l’usage des plateformes émergentes, les Threads et BeReal qui est nettement plus développée qu’au Canada. En un mot, ils sont plus « expérimentateurs ».

Un large pan de votre étude est consacré aux influenceurs. Quels éclairages vous paraissent particulièrement importants à retenir ?

L’idée clé est que les influenceurs semblent être là pour rester, que l’on en dise du bien ou du mal. Les influenceurs et/ou les créateurs de contenu sont de vrais vecteurs d’action, nos chiffres en attestent. Ils ont un réel impact sur l’image des marques et des produits, mais aussi directement sur les achats. Notre lecture est qu’ils sont bien plus que de simples « placements médias ». Ils doivent être considérés comme de véritables acteurs dans une stratégie de marque. La crédibilité de certains d’entre eux est parfois rudement mise en cause, mais, au global, leur expertise se consolide. Et, sur un sujet donné, les influenceurs spécialisés peuvent apporter une forte valeur ajoutée.

Les influenceurs et/ou les créateurs de contenu sont de vrais vecteurs d’action, nos chiffres en attestent. Ils ont un réel impact sur l’image des marques et des produits, mais aussi directement sur les achats. Notre lecture est qu’ils sont bien plus que de simples « placements médias ». Ils doivent être considérés comme de véritables acteurs dans une stratégie de marque.

La logique des marques est de se focaliser sur les catégories de produits ou de services sur lesquelles elles interviennent. Les plateformes à exploiter diffèrent-elles sensiblement de l’une à l’autre ?

Oui, il est impératif pour elles d’adopter des stratégies ciblées. C’est un des objectifs importants de notre investigation que de les aider à agir en ce sens. Si votre marque est présente dans l’univers Luxe-Beauté, un espace comme Instagram est incontournable. Si elle intervient dans le domaine des Jeux vidéos, là pour le coup Youtube sera le média le plus intéressant. Cela se recoupe bien sûr avec les composantes générationnelles que nous avons évoquées.

Il est donc indispensable de connaitre son audience, de savoir là où elle va pour faire quoi et ce qu’elle apprécie tout particulièrement. Une bonne segmentation est clé. Je précise qu’il est tout à fait possible de se connecter en mode interactif à notre rapport d’étude pour l’exploiter plus finement en fonction de ces considérations de ciblage.

Obtenir le rapport interactif DGTL

Une dernière question enfin. Vous avez évoqué l’impératif pour les marques de segmenter. Avez d’autres conseils importants à leur donner ?

Oui. Il y a à la fois une nécessité et un réel intérêt pour elles à humaniser leur contenu et leur façon d’interagir avec leur public. On l’observe dans nos mesures, les niveaux d’engagement sont nettement optimisés quand elles prennent cette option, en mettant en avant de vraies personnes. C’est ce que les gens aiment voir, alors que nous sommes dans un contexte où l’intelligence artificielle fait son apparition en ligne. 

Il y a à la fois une nécessité et un réel intérêt pour les marques à humaniser leur contenu et leur façon d’interagir avec leur public. On l’observe dans nos mesures, les niveaux d’engagement sont nettement optimisés quand elles prennent cette option, en mettant en avant de vraies personnes.

Le dernier conseil serait de bien réfléchir à deux fois avant de se lancer sur des plateformes émergentes. Il faut se méfier des effets de buzz, qui ne sont bien souvent qu’éphémères, sans compter le fait que la cohérence avec la marque et son activité n’est pas garantie.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) :  @ Sarah Mottet

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