Jean-Marc Léger, Président de la société d'études marketing Léger

« Le Market Research doit occuper le centre de la spirale créée par la révolution numérique ! » – Interview de Jean-Marc Léger, Président-fondateur de Léger

2 Mar. 2023

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Avec Jean-Marc Léger, président et fondateur de la plus importante société d’études marketing au Canada, nous ouvrons une nouvelle série d’interviews avec des regards « d’ailleurs ». Ceux d’acteurs majeurs du market research vivant et agissant principalement en dehors de notre hexagone. Certains jouant un rôle clé dans les organisations internationales du MR, Esomar au premier chef, et ayant des connexions particulièrement fortes avec la France. C’est doublement le cas pour notre premier grand invité, qui répond ainsi aux questions de MRNews. 

MRNews : Vous présidez la société d’études de marché qui porte votre nom, Léger. Comment la présenteriez-vous en quelques mots ? Et quel est le secret de sa croissance ? 

Jean-Marc Léger : Léger, c’est d’abord une famille ! Nous avons créé l’entreprise mon père et moi en 1986, avec l’appui de ma sœur. Elle s’appelait initialement Léger & Léger. Ce nom un peu particulier nous a aidés à acquérir rapidement une forte notoriété. Nous avons aussi bénéficié du réseau de mon père, qui était un homme politique fort populaire. Léger, c’est maintenant la plus importante société d’études marketing à propriété canadienne, et la plus grande structure francophone hors France dans cette industrie. Elle a pris beaucoup d’ampleur avec aujourd’hui 600 collaborateurs, qui travaillent dans nos bureaux notamment à Montréal, Toronto, Vancouver, New York… La famille s’est donc élargie, mais autour de valeurs très fortes. De collaboration, de qualité, d’agilité… Et de diversité, cette qualité étant indispensable dans le « paysage » canadien. Il nous a fallu nous implanter à travers le pays, « canadianiser » l’entreprise, et aussi l’angliciser pour réussir sur le marché américain. Tout cela s’est fait avec des acquisitions, 14 au global, qui nous ont permis d’intégrer les compétences et les talents nécessaires pour répondre au mieux aux besoins de nos clients. Comme on dit chez nous, dans le domaine des affaires, on ne perd jamais. Soit on gagne, soit on apprend ! Un bon nombre de ces acquisitions ont été structurantes pour Léger, mais nous avons aussi appris pas mal de choses au passage (rires). 

Léger, c’est d’abord une famille ! Nous avons créé l’entreprise mon père et moi en 1986, avec l’appui de ma sœur (…). C’est maintenant la plus importante société d’études marketing à propriété canadienne, et la plus grande structure francophone hors France dans cette industrie.

Mais je dois ajouter qu’un homme nous a beaucoup aidés à bâtir cette réussite. Un Français en l’occurrence, Pierre Weill, qui a fondé la Sofres. Il nous a accompagnés au fil des années, et continue à le faire en nous donnant très régulièrement son point de vue, qui est celui d’une personne de grande expérience. Il est pour moi un précieux mentor.

Vous avez une formation d’économiste. Qu’est-ce qui vous a incité à vous investir dans le monde du Market Research ?

Je suis en effet passé par l’économétrie. Une discipline qui a un point commun avec celle des sondages : nous sommes très forts pour prédire le passé ! Prédire le futur est plus difficile, nous le savons tous, c’est un exercice qui invite à l’humilité. La raison fondamentale de la création de Léger était de pouvoir travailler avec mon père. Mais il s’est aussi présenté une opportunité de marché. Au Canada, les sondages étaient principalement réalisés par des sociétés anglo-saxonnes. Et pas forcément de la meilleure façon… Souvent hélas en posant de mauvaises questions auprès d’échantillons biaisés — quasi uniquement composés de personnes bilingues — et avec des interprétations contestables. Nous avons eu la conviction qu’une alternative était possible, avec des standards de qualité plus élevés.

En tant que Canadien québécois, vous êtes fortement connecté à la fois aux Français, mais aussi aux Américains et au monde anglo-saxon. Quelles différences culturelles entre ces deux mondes vous frappent le plus, y compris en matière de Market Research ?

Nous avons un jour posé cette question aux Québécois, celle de savoir s’ils se sentaient plus proches de la culture française, anglo-saxonne ou américaine. Et les réponses ont été parfaitement équi-réparties, en trois tiers ! Cela résume beaucoup de choses, et explique que tant les Anglo-saxons que les Français ont quelquefois du mal à nous comprendre. En réalité, nous sommes des Américains qui parlons français ! Nous essayons de nous persuader que nous réunissons en nous la créativité des Français et l’optimisme des Américains. Et parfois nous y parvenons ! (rires)

Dans le domaine du Market Research, du fait de l’influence anglo-saxonne, nous sommes plus quantitativistes que les Français, qui sont eux des qualitativistes dans l’âme. Ici, en 1h30, une réunion de groupe est terminée. En France, on est encore à la première question, les gens aiment s’exprimer. Ce « penchant » quantitativiste a de bons côtés, mais peut aussi pousser à des travers. Nous sommes également obsédés par la rapidité. Ne pas aller vite chez nous est perçu comme un signe d’inefficacité et de désorganisation. Alors que, pour les Français, cela peut être de la superficialité. J’ajouterais enfin que nous nous polarisons beaucoup sur le résultat plus que sur le processus. Ce qui, là aussi, est à la fois appréciable et critiquable. S’appuyer sur des méthodes robustes est important pour obtenir des chiffres qui font sens.

Dans le domaine du Market Research, du fait de l’influence anglo-saxonne, nous sommes plus quantitativistes que les Français, qui sont eux des qualitativistes dans l’âme (…). Nous sommes également obsédés par la rapidité (…). J’ajouterais enfin que nous nous polarisons beaucoup sur le résultat plus que sur le processus. Ce qui, là aussi, est à la fois appréciable et critiquable. S’appuyer sur des méthodes robustes est important pour obtenir des chiffres qui font sens.

Vous êtes également très investi dans les associations clés du Market Research. Vous avez créé WIN. Et êtes très actif au sein d’Esomar, vous avez à ce titre reçu le Prix du Président 2022. Vous êtes aujourd’hui candidat pour le Conseil mondial d’ESOMAR, dont l’élection se joue en ce moment. Qu’aimeriez-vous faire en priorité si vous êtes élu ? 

Cela fait en effet plus de 20 ans que je suis investi dans le monde associatif international. Dans lequel à la fois on donne et on reçoit beaucoup. Nous échangeons entre gens du même métier, partageons les mêmes préoccupations, mais avec des différences culturelles qui nous enrichissent fortement. Et nous faisons aussi de belles rencontres, avec des personnes épatantes et efficaces comme Isabelle Fabry par exemple, qui représente Esomar en France. Depuis deux ans, j’occupe la position de leader Esomar pour l’Amérique. Et je suis fier de ce que nous avons pu accomplir, avec le recrutement de plus de 600 membres et l’organisation du congrès à Toronto. Esomar est encore très européenne. En tant que Québécois francophone, nous avons l’avantage d’être une sorte de point de jonction utile pour le développement de l’organisation. On m’a demandé en effet de me présenter au Conseil mondial d’Esomar. Je vois pour ma part quatre priorités pour aider les professionnels et les instituts de sondages et de recherche marketing.

En tant que Québécois francophone, nous avons l’avantage d’être une sorte de point de jonction utile pour le développement de l’organisation (…). Je vois pour ma part quatre priorités pour aider les professionnels et les instituts de sondages et de recherche marketing.

Nous devons d’une part renforcer la présence de la communauté francophone, souvent insuffisante dans les organisations internationales. D’autre part, Esomar a vécu des difficultés ces dernières semaines, avec un vice de procédure qui a entaché notre réputation. Nous devons donc la rétablir. Par ailleurs, Esomar est une structure complexe qui a sans doute mal vieilli. Nous devons encore développer notre rayonnement international, avec des points d’appui en Asie et en Afrique notamment. Nous devons aussi avoir l’obsession de la valeur ajoutée apportée à nos membres. Il y a enfin un dernier très gros enjeu qui est celui d’attirer plus de jeunes talents que nous ne le faisons aujourd’hui. Je suis persuadé qu’Esomar est le bon levier pour agir en ce sens.

Vous l’avez rappelé, j’ai créé le réseau WIN (Worldwide independent network of market research), qui est un regroupement international des 50 plus grandes firmes indépendantes au monde dans le domaine du Market Research. J’ai notamment travaillé avec Pascal Gaudin, Gérard Lopez et Jean-Michel Lelièvre de BVA qui sont les représentants de WIN en France. C’est une expérience très structurante parce que, dans ce réseau, nous sommes tous des chercheurs, mais aussi des entrepreneurs. Nous partageons des solutions, mais également des manières de travailler et de gérer nos entreprises respectives. Je pense que cet état d’esprit peut se diffuser plus largement.

L’univers du Market Research est petit, mais connecté à beaucoup d’autres domaines, dont celui du conseil, de la technologie, des data-sciences. Sa crainte étant souvent de se faire « avaler » par ceux-ci… Le Market Research peut-il selon vous résister ou même se développer ?

J’ai la certitude que le Market Research est un métier d’avenir, et qu’il a de fantastiques opportunités devant lui ! Bien sûr, certaines entreprises seront dépassées face au changement. Il en a toujours été ainsi, et ce phénomène se poursuivra d’autant que les changements sont de plus en plus rapides, parfois violents. Mais il n’y a pas d’autres options que de s’adapter à ceux-ci, c’est indispensable pour répondre aux besoins de nos clients. ChatGpT et plus largement l’intelligence artificielle ouvrent considérablement les possibles. Cela suscite des peurs, aucune instance ne peut vraiment réguler les usages. Tout peut partir dans tous les sens et les entreprises peuvent collecter beaucoup d’informations avec ces outils. Je suis convaincu pour ma part que les données sont le plus grand actif du 21e siècle. Mais, précisément, c’est là que nous avons notre mot à dire, nous devons être au centre de cette spirale de la gestion des données. L’image qu’a utilisée Bill Gates pour évoquer le cheminement de Microsoft me semble particulièrement inspirante. Microsoft doit sa réussite non à sa supériorité technique, mais à la capacité qu’elle a eue à se placer au centre de la spirale du développement de l’informatique et s’est laissée aspirée vers les sommets. Nous ne devons pas avoir peur de la technologie, mais l’intégrer. Idem pour les métiers connexes aux nôtres, dont celui du conseil et des agences de communication. C’est le pari que nous faisons chez Léger, avec des acquisitions dans le domaine des agences numériques et dans les data-analytics en particulier, pour pouvoir apporter une vision à 360° à nos clients.

Je suis convaincu pour ma part que les données sont le plus grand actif du 21e siècle. Mais, précisément, c’est là que nous avons notre mot à dire, nous devons être au centre de cette spirale de la gestion des données.

La vivacité intellectuelle est nécessaire pour être leader dans l’intelligence de la donnée. Mais cela ne suffit pas…

Tout à fait. Il y a un double enjeu, sociétal et commercial. Les acquisitions sont indispensables pour éviter que nous soyons dépassés. Le CA des plateformes d’études DIY (Do-it-Yourself) a progressé de 28% l’an dernier. Cela traduit évidemment une tendance, les clients veulent être de plus en plus autonomes. Mais ils ne savent souvent pas quoi faire avec ces outils. Et c’est là que nous avons un rôle. Même si nous ne sommes pas propriétaires de celles-ci, nous pouvons les conseiller pour en faire bon usage. Le Market Research doit saisir ces opportunités. Si l’on se retourne vers le passé, on distingue des cycles, des dominantes. Dans les années 1970, les entreprises se posaient beaucoup de questions de l’ordre du What, avec la nécessité de quantifier des phénomènes. Puis la question du Why est devenue plus prégnante, c’était un appel d’air pour les études qualitatives. Ensuite s’est imposée la question du Who, avec les segmentations. Puis celle du How, avec beaucoup d’interrogations sur les parcours clients. Aujourd’hui, le What If domine. C’est l’enjeu du prédictif. C’est là que l’intelligence artificielle peut nous aider. Tous ces outils s’additionnent, l’un ne remplace pas l’autre. Mais nous devons les intégrer, nous les approprier !

Une dernière question enfin. Vous êtes lecteur de MRNews. Quelle est votre perception de ce média ? Et quelles évolutions vous sembleraient intéressantes pour lui ?

MRNews est un outil très appréciable pour nous. Il nous donne accès à un contenu qualitatif et à une perspective française, qui est d’autant plus précieuse que nous sommes fortement exposés aux médias américains. MRNews est une référence, mais nous donne également des repères ; vous mettez de l’ordre dans un univers où il y a beaucoup d’informations. J’aime beaucoup l’idée des Chasseurs d’insights. Mais vous êtes aussi très « French Centric » et pas seulement « People Centric » (rires). Et je suis persuadé que cela fera complètement sens pour MRNews d’être plus ouvert à l’ensemble des francophones. Nous ne pouvons bien sûr que vous y encourager !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) :  @ Jean-Marc Léger

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