L’impératif d’agir dans le sens d’une économie plus responsable fait son chemin dans la société et les entreprises, c’est une évidence. Mais certains acteurs sont plus particulièrement volontaristes sur ce sujet, et vont jusqu’à en faire un enjeu véritablement majeur dans leur gouvernance et leurs actions. C’est le cas de Strategir, un institut spécialiste des problématiques marketing et innovation de l’univers Food, beauté, luxe et services. Pourquoi ce choix et ces convictions ? Selon quel cheminement et avec quels objectifs ? Ce sont les questions que nous avons posées à Delphine Parois, Directrice RSE et communication de Strategir.
MRNews : Strategir est un acteur bien connu du monde des études marketing, qui a pris le parti d’être très volontariste sur les enjeux de Développement durable. Pourquoi ce choix ?
Delphine Parois (Strategir) : Un faisceau d’éléments nous y a poussés. J’évoquerai d’abord l’ADN de Strategir, qui se définit par une très grande indépendance sur tous les plans, ainsi que par une forme de convivialité, de priorité accordée au bien-être des collaborateurs. Ces valeurs essentielles tiennent pour beaucoup à la personnalité de Luc Milbergue qui a fondé l’institut en 1986. Depuis cette date, nous sommes passés d’une dizaine de collaborateurs à près de 100, ce qui est une réussite, mais aussi un challenge sur l’enjeu du partage de valeurs communes. Il y a 3 ans, comme dans beaucoup d’organisations, la crise du Covid a été un révélateur d’un questionnement de l’entreprise sur ce qui faisait sens pour elle. A quoi servons-nous ? A quel type de société contribuons-nous ? Nous avons ainsi été particulièrement curieux de ce qui passait autour de nous, y compris chez un certain nombre de nos clients. L’enjeu du développement durable nous a alors interpellés. Une étape décisive a été franchie lorsque nous avons croisé le chemin de la Convention des Entreprises pour le Climat. Pendant 3 jours, nous avons assisté à des interventions passionnantes, dont celles de chercheurs, des scientifiques du GIEC notamment, ou de conférenciers tels qu’Arthur Keller. Cela nous a fait l’effet d’une « claque ». Nous avons pris conscience de la gravité de la situation, et du fait que nous ne pouvions pas rester les bras croisés face à ces enjeux. Nous avons alors pris la décision de postuler pour intégrer le parcours de réflexion proposé par la CEC.
Une étape décisive a été franchie lorsque nous avons croisé le chemin de la Convention des Entreprises pour le Climat. Pendant 3 jours, nous avons assisté à des interventions passionnantes, dont celles de chercheurs, des scientifiques du GIEC notamment, ou de conférenciers tels qu’Arthur Keller. Cela nous a fait l’effet d’une « claque ». Nous avons pris conscience de la gravité de la situation, et du fait que nous ne pouvions pas rester les bras croisés face à ces enjeux
Le pouvoir d’agir dans le sens d’un développement plus durable est d’abord et avant tout entre les mains des entreprises, et donc de vos clients. Quelle contribution peut avoir un institut d’études comme Strategir?
En n’étant qu’une petite organisation qui ne vend que de la matière grise, nous n’avons en effet qu’une empreinte marginale sur la planète. Mais les changements auxquels nous faisons face sont systémiques, et impliquent les trois grandes parties prenantes que sont le politique, la société civile et les entreprises. Si tout le monde attend que les autres agissent, il ne se passera rien ! Nous avons pris conscience que nous avions un rôle, une partition à jouer : celle d’être des « inspirateurs », et d’accompagner nos clients — les entreprises — à agir dans le sens de la sustainability. Nous pouvons le faire au stade des recommandations, une fois l’étude réalisée. Mais nous avons également notre mot à dire au moment du brief, en soulevant certaines interrogations, en proposant de nouvelles grilles de lecture. Nous ne prétendons pas dire à nos interlocuteurs ce qu’ils doivent faire. Mais nous pouvons les amener à se questionner, eux et leur organisation, ce n’est pas rien !
Si tout le monde attend que les autres agissent, il ne se passera rien ! Nous avons pris conscience que nous avions un rôle, une partition à jouer : celle d’être des « inspirateurs », et d’accompagner nos clients — les entreprises — à agir dans le sens de la sustainability.
C’est en somme un double rôle d’inspirateur, mais aussi de « challenger » …
Exactement. Nous avons latitude à jouer celui-ci dans le cadre des projets d’études que nous menons pour nos clients, mais nous pouvons également prendre la parole sur ces enjeux de développement durable, dans l’enceinte du Printemps des Etudes par exemple ou bien en organisant nos propres événements. C’est ce que nous avons commencé à faire progressivement, avec l’idée qu’il nous fallait acquérir une légitimité sur ces sujets. Celle-ci ne peut pas se décréter, elle s’inscrit plutôt dans un travail de fond, continu. Ce qui est logique compte tenu du fait que les connaissances et les réflexions évoluent en permanence. Nous considérons donc devoir être très humbles dans cette démarche.
Un acte important pour Strategir a consisté à devenir entreprise à mission, ce qui est le cas depuis un peu plus de 6 mois maintenant même si cela n’a fait l’objet d’aucune communication de notre part. Il y a en quelque sorte eu une rencontre entre les convictions de nos dirigeants — notamment de Luc Milbergue et de notre CEO Emmanuel Delsuc — et les interrogations d’un certain nombre de nos collaborateurs, en particulier les plus jeunes qui sont très sensibles à ces enjeux.
Un acte important pour Strategir a consisté à devenir entreprise à mission, ce qui est le cas depuis un peu plus de 6 mois maintenant.
Après cette phase de prise de conscience, comment avez-vous initié la mise en action de l’entreprise ?
Nous avons démarré progressivement, en commençant par la constitution d’une équipe de pionniers, 14 personnes chez nous, précisément pour réfléchir à la façon dont nous pouvions avancer. Trois axes ont émergé de ces réflexions. Celui des clients, avec la question de savoir comment travailler différemment avec eux. Celui des collaborateurs bien sûr : comment ceux-ci trouvent du sens, mais aussi plus de bien-être dans leur métier ? Et enfin l’écosystème, avec toutes les actions philanthropiques ou de solidarité auxquelles nous pouvons participer. Ce sont avec ces mêmes pionniers que nous avons travaillé sur nos premières actions. En parallèle, nous avons jugé qu’une démarche de certification nous aiderait à alimenter cette dynamique. Nous avons ainsi présenté notre dossier pour devenir B-Corp, la phase d’audit étant en cours depuis quasiment 6 mois.
Nous avons démarré progressivement, en commençant par la constitution d’une équipe de pionniers, 14 personnes chez nous, précisément pour réfléchir à la façon dont nous pouvions avancer.
Cela nous a permis de nourrir notre plan d’action autour des 3 axes que j’ai évoqués. Nous avons notamment mis en place un processus d’intégration des nouveaux collaborateurs incluant une sensibilisation à ces enjeux de développement durable. Et défini des outils de pilotage, avec des métriques. Pour ce qui est de l’axe client, nous avons organisé nos premières conférences sur le thème de la sustainability. Et s’agissant enfin de l’axe philanthropique, nous nous sommes associés aux Entreprises pour la cité, une association engagée dans l’action sociale.
Par ailleurs, dans le cadre de notre passage au statut d’entreprise à mission, nous avons défini 4 engagements, qui sont pilotés par le comité de mission. Avec à nouveau un certain nombre d’actions prévues, dont la création d’un comité d’éthique dont la mission sera de discuter des cas sur lesquels Strategir pourrait se refuser de s’engager.
Voilà un sujet sans doute épineux… Dans quelle mesure un institut d’études peut-il vraiment choisir ses clients ?
Vous avez bien sûr raison, cela n’a rien de simple. Il faut cependant se méfier des raccourcis et simplifications. On peut aller vite à un raisonnement montrant du doigt certaines industries sans prendre en compte d’une part que celles-ci mettent en place des programmes importants, que nous devons soutenir ou accompagner. Et aussi que le tissu économique actuel est un héritage que nous devons regarder en face et sur lequel on doit pouvoir agir. Nous ne sommes pas une agence de notation ! Toutefois, il nous est arrivé de ne pas souhaiter répondre à certains cas d’études, mais cela reste marginal. Nous devons être très vigilant sur nos positions en la matière et le Comité d’Ethique est un lieu d’échange qui ne sanctionne pas, mais qui permet de nous aligner sur des valeurs. Nous essayons donc de traiter cette question aussi judicieusement que possible. Nous considérons notamment que ce type de décision ne doit pas uniquement émaner des dirigeants, en fonction de leur seule subjectivité. Mais s’appuyer sur des règles définies de façon collégiale dans l’entreprise, en associant les différents métiers. Il ne s’agit pas pour nous de « diaboliser » des industries, mais de nous donner la possibilité d’être attentifs. Nous pouvons aussi demander à nos clients une forme de transparence sur leurs projets, ce qui est somme toute logique compte tenu de notre statut de société à mission.
Il ne s’agit pas pour nous de « diaboliser » des industries, mais de nous donner la possibilité d’être attentifs. Nous pouvons aussi demander à nos clients une forme de transparence sur leurs projets, ce qui est somme toute logique compte tenu de notre statut de société à mission.
S’agissant des prochaines étapes, vous avez évoqué votre engagement dans le processus de certification B-Corp. Y en a-t-il d’autres ?
Cette certification est un objectif important. Mais, en réalité, nous sommes dans une démarche où nous avançons pas à pas, sans chercher à préméditer systématiquement toutes nos actions. Nous apprenons beaucoup au fur et à mesure de ce cheminement, en nous imprégnant des travaux et des réflexions d’un certain nombre d’acteurs. Je pense par exemple à Fanny Basteau qui a fondé L’Oiseau Vert, qui s’investit beaucoup sur le marketing post-croissance. Ou à Jean-Maxence Granier, que vous avez interviewé et qui a déjà co-animé des master-class sur ces sujets. Nous nous nourrissons de tout cela. Un de nos prochains « cap » est de travailler la question du « régénératif ». Réduire nos externalités négatives, c’est bien, mais nous avons tellement dégradé le vivant sur cette planète que nous devons désormais aller au-delà. Comment le faire ? Nous avons également suivi la formation Butterfly proposée par Lumia et Axa Climate autour de modèles économiques alternatifs. Tout cela va nous entrainer vers beaucoup de réflexions, de brainstorming, et donc de nouvelles actions…
Je l’ai évoqué, nos dirigeants sont très impliqués sur ces sujets. Mais tout le monde chez nous ne l’est pas, une partie de nos collaborateurs regarde ça de plus loin. C’est leur droit et c’est « normal », d’autant que nous ne sommes pas « natifs » de ces enjeux comme certains. Cela demande des changements en profondeur et prend du temps, mais il est essentiel pour nous de poursuivre le mouvement engagé. Mais c’est vrai au-delà des murs de Strategir, nous avons tout à gagner à ce que d’autres instituts s’inscrivent dans cette trajectoire.
Vous pourriez considérer le fait d’être en pointe sur ce sujet de l’économie responsable comme un axe de singularité pour Strategir.
Ce n’est pas notre vision. Nous pensons au contraire qu’il ne faut surtout pas que nous soyons seuls. Plus nombreux seront les instituts à porter cette voix, plus cela sera facile d’inspirer les entreprises à y aller et à se transformer. La Convention des Entreprises pour le Climat à laquelle nous participons actuellement est dédiée au métier du conseil. Elle a été mise en place en collaboration avec Syntec Conseil et est principalement constituée de sociétés de conseil et finalement très peu d’acteurs de la filière Etudes. Pour autant, plus nous serons nombreux à challenger nos clients sur ces sujets et mieux cela sera !
Plus nombreux seront les instituts à porter cette voix (de l’économie responsable), plus cela sera facile d’inspirer les entreprises à y aller et à se transformer.
Dans nos convictions rentre l’idée que les entreprises doivent imiter ce qui se passe dans le domaine du vivant. En particulier les systèmes de coopération. La compétition à tout va a ses limites, nous préférons travailler en synergie avec d’autres dès que c’est possible.
Une double dernière question enfin : de quoi tirez-vous le plus de fierté dans le chemin accompli jusqu’ici ? Et auriez-vous le même cheminement s’il était à refaire ?
Nous pouvons être fiers d’avoir réussi cette mise en action au sein de Strategir. Nous avons commencé à parler de ces sujets il y a 3 ans, ce qui est finalement assez peu. Aujourd’hui, nous sommes une société à mission, nous avons eu notre premier comité. Ce n’est pas rien de changer ses statuts pour une entreprise ! Ces thèmes sont très présents au quotidien chez nous, même si ce travail d’embarquement que j’évoquais reste à poursuivre.
Si c’était à refaire, je crois que nous emprunterions le même parcours, dans cette démarche très « step by step ». Les entreprises ont pour habitude de définir des stratégies avec des objectifs à 3 ou 5 ans. Là en l’occurrence, nous n’avons rien prémédité, et je pense que c’est dans notre logique de fonctionner ainsi, le plan d’action se recalant quasiment tous les 6 mois, en fonction de ce que nous avons appris en chemin. La conscience que nous avons de l’importance de ces enjeux fait que nous ne reviendrons pas en arrière. Nous ne pouvons qu’avancer. Même si nos actions ne sont rien de plus qu’un battement d’aile de papillon pour reprendre cette image bien connue, celui-ci s’associera à d’autres, et c’est comme ça que l’on fera bouger les choses.
POUR ACTION
• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Delphine Parois