# Faut-il repenser les tests d’innovation ? (volet 2)
Interview d'Anne-Laure Frossard, Insights, brand and innovation expert chez sorgem advance

"Les marques doivent tester leurs innovations dans leur capacité à transformer la société"

Anne-Laure Frossard
Head of Transformative Food - Insights, brand and innovation expert (sorgem advance)

21 Mar. 2023

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« Pour retrouver de la désirabilité, de la différence et de la pertinence, en somme pour gagner la bataille de la valeur et des valeurs, les marques doivent envisager leurs innovations dans leur capacité à transformer leur catégorie, et idéalement la Société ». C’est une des convictions clés de l’équipe sorgem advance, pour qui les innovations ne peuvent plus se limiter au seul champ du tactique. Anne-Laure Frossard nous présente l’approche quali-quanti que l’institut a développée en partenariat avec InsightQuest, précisément pour intégrer dans les tests le prisme de ce potentiel « transformatif ». 

MRNews : Détecter le concept gagnant pour innover s’apparente à la quête du Graal pour les annonceurs ! Les règles du jeu vous semblent-elles avoir beaucoup changé ces dernières années ? 

Anne-Laure Frossard (sorgem advance) : C’est le rêve de beaucoup en effet, d’avoir la baguette magique pour pouvoir trouver LA super idée, celle qui permettrait de créer LA rupture sur son marché. Je crois néanmoins que ce raisonnement peut mener à une impasse. Il suppose que les concepts naissent bons ou mauvais. Peut-être certains sont-ils plus mauvais d’autres, c’est possible (rires). Mais les « bons » le deviennent le plus souvent suite à un gros travail de réglage, d’affinage. D’autant que les attentes sont aujourd’hui bien plus différenciées qu’elles ne l’étaient hier. Séduire la fameuse ménagère de moins de 50 ans ne suffit plus, et il faut donc trouver la clé permettant de couvrir les attentes de plusieurs cibles. Screener quantitativement les concepts pour identifier ceux à plus fort potentiel peut aider, mais les études qualitatives ont un rôle essentiel à jouer. Précisément pour indiquer comment donner toutes ses chances à un concept, et formaliser un cahier des charges aussi minutieux et juste que possible à l’attention des développeurs.  

Peut-être certains (concepts) sont-ils plus mauvais d’autres, c’est possible. Mais les « bons » le deviennent le plus souvent suite à un gros travail de réglage, d’affinage. D’autant que les attentes sont aujourd’hui bien plus différenciées qu’elles ne l’étaient hier.

C’est dans cet esprit que nous travaillons l’innovation chez sorgem advance. Nous avons cependant une autre conviction majeure, celle que les marques ont un énorme pouvoir vis-à-vis des consommateurs. Et qu’elles doivent envisager leurs innovations dans leur capacité à transformer leur catégorie ou même la société. Les innovations qui comptent aujourd’hui intègrent fondamentalement un engagement sur des enjeux sociétaux ou environnementaux.

Nous avons une autre conviction majeure, celle que les marques ont un énorme pouvoir vis-à-vis des consommateurs. Et qu’elles doivent envisager leurs innovations dans leur capacité à transformer leur catégorie ou même la société.

Lire aussi > L’interview de Vincent Christen et Catherine Dupuis (sorgem advance ) : « Chaque marque doit activer un rôle politique spécifique »

Ces engagements ne sont pas simples à formuler pour les marques…

Absolument ! Et notamment du fait de l’hétérogénéité des attentes et des perceptions sur ces sujets, qui est bien souvent masquée par les médias et les postures dominantes sur les réseaux sociaux, LinkedIn compris ! On peut considérer — ce sont des ordres de grandeur — que 20% de la population est très en pointe sur ces sujets, et parfaitement disposés à changer de comportement pour le bien de la société ou de la planète. 30% sont sensibles au discours, mais ont du mal à passer à l’acte. Et 50% s’en moquent complètement, avec une forte proportion de jeunes parmi eux, contrairement à ce qui est souvent dit. Le fait est que tout ne résonne pas pour les consommateurs. D’où la difficulté en effet pour les marques à bien caler le curseur, à appréhender ce qui va vraiment faire sens et accrocher le public. C’est ce qui nous a amenés à développer une double approche, qualitative et quantitative.

Quelles sont les grandes lignes de cette approche ?

La première brique — qualitative — a pour vocation d’aider les marques, sur un concept d’innovation et ses variantes, à identifier le meilleur angle ainsi que le juste niveau d’engagement sur ces enjeux sociétaux et environnementaux. Jusqu’où la marque peut-elle aller ? Et comment ?

En pratique, nous menons cette investigation qualitative en travaillant auprès de trois types de populations. Nous nous intéressons d’une part à la catégorie des individus les plus engagés sur ces défis de transformation écologique et/ou sociétale, les plus challenging, que nous dénommons les « Transformers ».  Leur logique à eux est qu’il faut faire plus et mieux ; nous définissons avec eux le contrat pour la marque, ce vers quoi elle devrait idéalement aller. Selon les cas, nous pouvons adjoindre une seconde population, les « Sceptiques ». Ils sont moins impliqués que les premiers, mais sont champions pour débusquer la moindre incohérence ou fragilité dans les propositions et les discours que nous leur soumettons. Une fois que l’on a investigué ces deux publics, nous avons alors la possibilité de construire plusieurs pistes et des récits gradués, que nous testons auprès de cibles plus mainstreams, représentatives du potentiel business pour l’entreprise. C’est avec ces personnes que nous affinons le discours, en faisant la part des choses entre des éléments qui ne parlent qu’à une minorité et ceux susceptibles d’accrocher le plus grand nombre, et de faire ainsi bouger les lignes. C’est ce croisement de ces différents regards qui, au final, permet de définir les meilleures options.

Vous proposez également un complément quantitatif à cette démarche…

Nous avons en effet développé une approche quantitative en partenariat avec InsighQuest. Il s’agit d’un pré-test de concept qui intègre deux axes d’évaluation.  Avec d’une part des dimensions classiques telles que les notions de considération, intentions d’achat, et l’impact sur l’image de la marque et la catégorie. Mais aussi des indicateurs spécifiquement élaborés pour mesurer le potentiel « transformatif » de ces concepts. Si l’on travaille par exemple dans l’univers de la conserve de poisson, on touche à un enjeu qui est celui de la pêche durable. Nous évaluons donc chacun des concepts dans leur capacité à sensibiliser les consommateurs à cet enjeu et à mieux le saisir. Ont-ils le sentiment qu’il change leur regard ? Qu’il va dans le bon sens et les incite à agir positivement pour la société ? Nous utilisons 5 ou 6 items spécifiques pour étudier ces dimensions, en étant souples pour nous adapter aux particularités des univers investigués. Nous testons ainsi le plus souvent 2 ou 3 concepts, en monadiques, auprès de cellules de 200 à 300 acheteurs de la catégorie. Ce pré-test quantitatif est bien sûr optionnel, mais il apporte un prolongement très intéressant pour les annonceurs, pour les aider à sélectionner la meilleure piste sur des bases solides, dans un temps relativement court.

Nous avons (…) développé une approche quantitative en partenariat avec InsighQuest. Il s’agit d’un pré-test de concept qui intègre deux axes d’évaluation.  Avec d’une part des dimensions classiques telles que les notions de considération, intentions d’achat, et l’impact sur l’image de la marque et la catégorie. Mais aussi des indicateurs spécifiquement élaborés pour mesurer le potentiel « transformatif » de ces concepts.

Ces enjeux – ceux de la RSE – apparaissent régulièrement sous l’angle de la contrainte. Tester les innovations revient alors souvent à mesurer le degré d’acceptabilité des contraintes auprès des consommateurs. Vous proposez d’aborder les choses différemment…

Tout à fait ! Nous l’avons évoqué, tout le monde ne se sent pas concerné par ces enjeux environnementaux ou sociaux. Mais beaucoup de gens attendent des marques qu’elles les aident à agir et avoir ainsi une contribution positive dans le cadre de cette transformation. 

Dans les entreprises, certaines équipes réfléchissent aux sujets d’innovation. D’autres ont pour vocation à adresser les enjeux de RSE. Mais cela est fait en mode silo ! Et si l’on n’intègre que tardivement ces messages RSE, il y a de fortes chances d’aboutir à une solution inefficace. Les premiers clients avec lesquels nous avons travaillé sur ces problématiques apprécient particulièrement cette logique d’intégration. De même que le fait que nous sommes deux instituts différents qui associons nos compétences de manière agile, avec une approche qu’ils jugent inventive. 

Dans les entreprises, certaines équipes réfléchissent aux sujets d’innovation. D’autres ont pour vocation à adresser les enjeux de RSE. Mais cela est fait en mode silo ! Et si l’on n’intègre que tardivement ces messages RSE, il y a de fortes chances d’aboutir à une solution inefficace.

Une dernière question enfin. Vous avez occupé des fonctions marketing chez les annonceurs. Quels conseils auriez-vous envie de leur donner, en étant ainsi passée de l’autre côté du miroir ? 

Certainement celui d’aller toujours plus loin dans la centricité consommateurs et utilisateurs. Celle-ci apparaît comme une évidence, un impératif, il n’y a pas vraiment de débat sur ce point. Mais, en pratique, les organisations ont tendance à se limiter dans ces démarches, il y a très régulièrement des contraintes qui se mettent en travers. Ou aussi la crainte de ne pas faire bien, faute de moyens. Or je crois qu’il y a toujours un énorme bénéfice à être dans une écoute attentive et authentique des consommateurs, en laissant de côté le prisme souvent déformant des médias et en particulier des réseaux sociaux. S’intéresser aux vrais gens dans la vraie vie, il n’y a rien de mieux pour faire du bon marketing ! 


 POUR ACTION 

• Echanger avec le (ou les) interviewé(s) : @ Anne-Laure Frossard

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