Rodolphe Barrère, CEO de Potloc

« On ne fait pas de bonnes études marketing sans de vrais bons ingrédients ! » – Interview de Rodolphe Barrère, CEO de Potloc

25 Sep. 2022

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Une rentrée est un moment privilégié pour prendre du recul. C’est l’exercice que nous vous proposons aujourd’hui autour d’une grande question. Celle de savoir si, depuis sa naissance, le market research a muté autant qu’il aurait dû. S’est-il suffisamment renouvelé au regard de la formidable transformation du contexte dans lequel évoluent les entreprises, en particulier sur les enjeux d’innovation. Et, sinon, comment devrait-il le faire, selon quels axes prioritaires ?
Le fondateur et CEO de Potloc, Rodolphe Barrère, est le premier à y répondre et à nous faire partager sa vision, en exclusivité et sans langue de bois !

MRNews : Le market research est officiellement né dans les années 1950. Depuis, tout ou presque a changé pour les entreprises, notamment sur les sujets d’innovation. Les pratiques du MR ont-elles évolué à la hauteur de ces mutations ?

Rodolphe Barrère (Potloc) : Voilà une belle grande question ! Je vais tâcher d’y répondre en faisant néanmoins un petit préambule. Quitte à surprendre, je pense que nous devons rester modestes sur ce qu’est notre rôle dans les processus d’innovation. Quand j’ai créé Potloc, on m’a souvent rappelé ce que disait Henri Ford lorsqu’il a lancé son fameux modèle T. « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient simplement dit ‘des chevaux plus rapides’ ! » De fait, il est beaucoup plus facile de mesurer des comportements existants plutôt que l’intérêt d’une innovation potentielle, a fortiori si elle constitue une rupture importante. C’est toujours vrai. Vu de ma fenêtre, sur ces problématiques, le rôle des études consiste donc d’abord et avant tout à informer les équipes en charge de l’innovation. Pour leur permettre d’identifier le gap entre l’existant et le possible, et les aider ainsi à pouvoir le combler. Encore faut-il bien le faire, ce qui est un réel enjeu, nous allons vite y revenir.

Lire l’entretien > Rodolphe Barrère : « Nous voulons faire des réseaux sociaux une solution de référence pour les études marketing »

Ce préambule étant posé, le Market Research s’est-il réinventé suffisamment depuis qu’il est né ? Au fond, l’initiative que j’ai prise de créer une société comme Potloc, est une réponse, la mienne en tout cas. Si je l’ai fait, c’est précisément parce que j’avais la conviction que l’industrie devait aller bien plus loin dans sa transformation, en passant même par une vraie disruption. Justement pour apporter la meilleure information possible aux entreprises. La très forte croissance de Potloc depuis sa création traduit le fait que cette disruption faisait sens.

Si j’ai créé Potloc, c’est précisément parce j’avais la conviction que l’industrie devait aller bien plus loin dans sa transformation, en passant même par une vraie disruption.

En quoi consiste cette nécessaire disruption pour le market research ?

J’aime bien utiliser cette analogie, que je trouve parlante : effectuer un sondage, c’est un peu comme réaliser une tarte à la fraise. Pour obtenir un résultat satisfaisant, il faut un cuisinier expérimenté, de bons outils avec un four et des ustensiles adaptés, et de bons ingrédients, en l’occurrence des fraises et de la farine de qualité. Dans le domaine des études, il faut s’appuyer sur des experts, des gens qui savent concevoir des échantillons et de bons questionnaires, logiques, pertinents. Ces personnes existent, elles travaillent dans le « professionnal services », au sein de sociétés telles qu’Ipsos, Kantar, et bien d’autres. On doit aussi utiliser de bons outils. Dans notre univers, ce sont des outils bureautiques, mais nous avons également besoin de plateformes. Pour coder les questions, établir des liens logiques, puis analyser et visualiser les résultats. Des acteurs performants se sont positionnés sur cette activité, comme Qualtrics, SurveyMonkey,… Il faut enfin une troisième composante, ce sont les ingrédients de base. Dans notre métier, ce sont les réponses aux questions et donc les répondants. C’est là que le bât blesse, avec un vrai gros problème de qualité. Et on ne peut pas mener de bonnes études marketing et apporter les éclairages pertinents aux entreprises s’il y a un souci avec les répondants. Pas plus que Pierre Hermé ne réussira une bonne tarte avec de mauvaises fraises, gorgées d’eau et sans goût… 

On ne peut pas mener de bonnes études marketing et apporter les éclairages pertinents aux entreprises s’il y a un souci avec les répondants. Pas plus que Pierre Hermé ne réussira une bonne tarte avec de mauvaises fraises (…)

Ces ingrédients sont-ils si médiocres ?

Il me semble évident que oui, il y a un réel problème de qualité, reconnu par quasiment tout le monde aujourd’hui même si certains préfèrent ne pas l’évoquer. Une sorte de « dirty little secret ». Nous le savons tous, une immense majorité de la population ne participe pas aux sondages par manque de temps et/ou d’intérêt. Seule une petite partie le fait, en contrepartie de quelques centimes d’euros. Vous ne le faites probablement pas, pas plus que moi. La plupart des gens ne répondent pas aux sondages. La matière brute dans notre industrie est largement composée aujourd’hui de retraités, de chômeurs et de personnes qui se font passer pour d’autres pour obtenir des points. C’est précisément ce constat qui m’a convaincu de la nécessité d’une disruption pour le market research. Il y a une vraie nécessité à apporter une alternative qualitative aux approches traditionnelles s’agissant des répondants.

Il y a un réel problème de qualité, reconnu par quasiment tout le monde aujourd’hui même si certains préfèrent ne pas l’évoquer (…). C’est précisément ce constat qui m’a convaincu de la nécessité d’une disruption pour le market research et de la nécessité d’apporter une alternative qualitative aux approches traditionnelles s’agissant des répondants.

Cette alternative est celle des études sur les réseaux sociaux, que nous avions évoquée l’an dernier

Tout à fait. Avec l’expertise du Social Media Sampling, qui est notre cœur de métier, que d’autres acteurs utilisent bien sûr aujourd’hui. Au fond, nous sommes une société de market research relativement classique, à ceci près que nous avons développé une technologie permettant de réaliser des sondages via les réseaux sociaux. N’importe où dans le monde, et à n’importe quel moment, via des Facebook, Instagram, LinkedIn, Snapchat,… Nous générons des milliers de bannières pour ces plateformes, automatiquement, pour inviter les individus à participer à nos études. Les échantillons sont structurés avec des quotas, selon les pratiques habituelles du market research. La différence majeure est que nous pouvons interroger quasiment tout le monde. Y compris des gens tels que vous et moi qui ne sommes pas présents dans les panels. Nous sollicitons les répondants potentiels à un moment où ils sont disponibles, et cela change tout ! 

Avec l’expertise du Social Media Sampling, nous pouvons interroger quasiment tout le monde, y compris des gens tels que vous et moi qui ne sommes pas présents dans les panels. Nous sollicitons les répondants potentiels à un moment où ils sont disponibles, et cela change tout ! 

Le second point clé est que nous leur proposons des sujets qui les intéressent, en nous appuyant sur les solutions de targeting de ces plateformes. Nous sommes aussi en mesure de leur offrir les incentives qui leur conviennent le mieux, y compris sous forme de don aux associations de leur choix. Nous avons ainsi accès à plus de 4 milliards d’individus — c’est virtuellement le plus grand panel qui puisse exister —, pour réaliser des études en BtoB ou en BtoC. La majorité des personnes ne participent qu’à très peu d’études. En interrogeant les gens sur les réseaux sociaux, nous parvenons à capter leur attention comme aucune autre méthodologie. Tout cela étant possible le plus souvent en un laps de temps très court (3 à 5 jours le plus souvent), pour des tarifs abordables. C’est notre proposition de valeur aujourd’hui sur le marché des études.

Le second point clé est que nous leur proposons des sujets qui les intéressent, en nous appuyant sur les solutions de targeting de ces plateformes.

Dans un de ses fameux ouvrages, Seth Godin décrit un changement magistral des règles du jeu en matière d’innovation. Les entreprises et les marketeurs se doivent selon lui d’inventer des Vaches Pourpres pour gagner la bataille de la viralité. Le market research peut-il les aider à cela ?

Il résume en effet une transformation essentielle. Le bouche-à-oreille a toujours eu un rôle majeur dans la diffusion des innovations, jusqu’à ce que les entreprises aient recours à la publicité de masse. C’est l’ère du complexe « télé-industriel », qui se caractérise par une forte corrélation entre la pression publicitaire exercée sur les consommateurs et les ventes. Mais, ce principe de fonctionnement a fini par se gripper, les individus étant complètement saturés de messages. Le bouche-à-oreille l’emporte à nouveau, mais selon un mode infiniment plus efficient avec les réseaux sociaux. Un produit ne peut pas devenir une vache pourpre sans eux. 

Le Market Research peut-il aider à identifier de possibles Vaches Pourpres ? L’exercice n’est pas si facile, cela se saurait s’il en allait autrement. Mais pour les détecter, il faut impérativement recruter les gens sur les réseaux sociaux, là où l’essentiel se joue. C’est ce que nous faisons, avec quelques autres sociétés. Nous parvenons à interroger des early adopters, ceux qui déclenchent la viralité, tout simplement parce que nous les sollicitons là où ils sont. Alors que les méthodes traditionnelles de sondage passent largement à côté d’eux.

Le Market Research peut-il aider à identifier de possibles Vaches Pourpres ? L’exercice n’est pas si facile (…) mais pour les détecter, il faut impérativement recruter les gens sur les réseaux sociaux, là où l’essentiel se joue.

Lancer une Vache Pourpre suppose de s’intéresser d’abord à une niche d’acheteurs. Ce n’est pas évident pour le market research … 

Oui, mais c’est précisément une des forces majeures et spécifiques des études sur les réseaux sociaux ! Nous sommes naturellement à même de faire de l’hyper targetting, en nous appuyant sur les algorithmes de ces plateformes. Ce réservoir est tellement gigantesque qu’il vous permet d’investiguer des micro-populations. Vous souhaitez interroger un échantillon de propriétaires de Chihuahua résidants à Londres ? C’est parfaitement possible avec Potloc, c’est même un vrai cas client !

Nous sommes naturellement à même de faire de l’hyper targetting, en nous appuyant sur les algorithmes des plateformes des réseaux sociaux. Vous souhaitez interroger un échantillon de propriétaires de Chihuahua résidants à Londres ? C’est parfaitement possible avec Potloc !

La naissance du social media sampling comme méthodologie de sourcing ouvre considérablement les portes. Nous avons aujourd’hui de nombreux clients qui n’imaginaient pas pouvoir faire des études compte tenu de la spécificité de leurs cibles. C’est notamment le cas dans le domaine du business-to-business, qui pèse lourd dans l’économie. Ce sont très majoritairement des activités de niches. Si votre métier est de vendre des softs à des directeurs financiers, ou des produits à des installateurs de fenêtres en Croatie, vous ne vous adressez qu’à un micro-pourcentage de la population globale. Mais vous pouvez l’interroger en passant par une solution comme la nôtre, ce qui serait impossible avec les approches traditionnelles. 

La naissance du social media sampling comme méthodologie de sourcing ouvre considérablement les portes. Nous avons aujourd’hui de nombreux clients qui n’imaginaient pas pouvoir faire des études compte tenu de la spécificité de leurs cibles.

Le social media sampling ouvre donc la voie à une démocratisation des études… Mais les tarifs sont-ils réellement accessibles à des petites structures ?

Tout à fait ! Et tout particulièrement dans l’univers du btob que nous venons d’évoquer. Investiguer des cibles pointues via des protocoles traditionnels coûte extrêmement cher. Pour certaines cibles, des interviews peuvent se négocier à plus de 1000 euros. C’est parfaitement inenvisageable pour des sociétés de taille modeste. Alors que ces sondages sont réalisables avec des solutions comme la nôtre, avec des prix comparables à ceux habituellement pratiqués dans le BtoC. Avec 10 à 15K€, nous pouvons monter une étude simple. C’est un ordre de grandeur bien sûr, ce prix devant être précisé en fonction des paramètres classiques de longueur de questionnaire et de volume de répondants.

Voyez-vous enfin d’autres mutations importantes que le Market Research se doit de mieux intégrer ?

Il y en a beaucoup. Le premier qui me vient à l’esprit concerne les données dites secondaires. Nous assistons aujourd’hui à une révolution, avec la montée en puissance des arsenaux juridiques protégeant les consommateurs, de type RGPD. Il est ainsi de plus en plus difficile d’observer les individus en ligne, ce qui a été très pratiqué ces dernières années. La conséquence étant que le Third Party Data mourra progressivement, c’est ma vision en tout cas. Le déclaratif a un bel avenir devant lui, et donc le First Party data avec lui. 

Avec la montée en puissance des arsenaux juridiques protégeant les consommateurs (…),le Third Party Data mourra progressivement, c’est ma vision en tout cas. Le déclaratif a un bel avenir devant lui.

Je crois aussi que le market research doit s’adapter pour mesurer des évolutions sociétales de grande ampleur qui se sont accélérées avec la crise du Covid, sur tout un ensemble de sujets. On ne pourra le faire sans de fortes remises en cause sur cet enjeu que j’ai évoqué, celui la qualité des ingrédients. Nous avons récemment participé à un travail de recherche mené par la Michigan State University. L’idée était d’objectiver la qualité des données d’études obtenues selon différentes méthodes, sur une investigation lambda. Elle portait en l’occurrence sur des indices de souscription à des abonnements de type Netflix ou à des clubs de sport. Il s’agissait bien d’une approche objective, avec une mesure des proportions de « speeders », de «straightliners », de fausses adresses IP. Le Social Media Sampling non incentivé s’en est tiré haut la main. Mais la conclusion la plus inquiétante de cette recherche est l’extrême médiocrité de la source la plus utilisée par les universitaires américains. Or des informations biaisées ont un très fort impact sur les représentations que la société a d’elle-même. C’est un vrai enjeu qui nous concerne tous. Et c’est pourquoi je crois à la nécessité de mettre cette problématique de la qualité des données d’études sur la place publique. C’est une condition indispensable pour que nous puissions tous progresser. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Rodolphe Barrere

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