L’usage croissant des réseaux sociaux à des fins d’études fait partie des tendances marquantes de ces dernières années. S’il y a de très fortes chances que le mouvement se poursuive, des résistances existent néanmoins au sein de la population des market researchers. Avec des interrogations sur la possibilité de mener des investigations avec toute la rigueur souhaitable. Et des retours d’expérience parfois contrastés, d’autant que de plus en plus d’acteurs se positionnent sur ce marché. Guillaume David, CEO de Madeinvote — un des pionniers de cette technique en France —, nous livre sa vision quant aux meilleures garanties à apporter dans son exploitation.
MRNews : L’usage des réseaux sociaux est encore très récent dans le domaine des études marketing. Le réflexe naturel peut être de s’interroger quant à la scientificité de cette technique. Cela vous semble justifié ?
Guillaume David (Madeinvote) : Certains facteurs incitent à la prudence ou même à la méfiance, c’est vrai. A commencer par l’image de ces réseaux sociaux, qui sont régulièrement critiqués. Avec plus ou moins de bonne foi, mais c’est ainsi. Par ailleurs, vous l’avez souligné, il s’agit d’un nouveau champ méthodologique. Cela déclenche ainsi l’intérêt de nombreux acteurs, avec le risque que cela tourne un peu au Far West ! Ceux-ci ne sont bien évidemment pas tous égaux sur le plan de la rigueur scientifique. Le tri s’opérera, mais cela demande du temps. Dans ce contexte, oui, les market researchers ont raison de se poser des questions. L’usage des réseaux sociaux doit se faire avec des partenaires qui agissent avec discernement. Il faut éviter les biais de recrutement, le mauvais respect des quotas, la sur-représentation de certains profils ou une sorte de consanguinité des répondants. Cela suppose de l’expertise, de l’expérience, et de vrais assets technologiques.
Sur des réseaux comme Facebook, les échanges peuvent être violents, les postures radicales. En interrogeant ses utilisateurs, ne risque-t-on pas de sur-représenter les extrêmes ?
On peut avoir ce sentiment. Mais cette radicalité n’est en réalité que la partie émergée de l’iceberg. Plus de 40 millions de Français fréquentent Facebook ; je ne crois pas une seconde qu’il y ait autant d’extrémistes dans notre pays. Et j’espère que cela n’arrivera jamais ! (rires). Les individus qui s’expriment de manière radicale ou violente ne sont certainement pas représentatifs de l’ensemble des utilisateurs de ces nouveaux canaux. La notion de majorité silencieuse est très juste. Je compare souvent Facebook à une grande artère ou une place dans une ville. Un immense nombre de personnes se côtoient, se croisent, avec des façons de voir très diverses. Celles-ci divergent, et parfois cela peut mener à des agressions. Mais c’est excessivement rare !
« Les individus qui s’expriment de manière radicale ou violente ne sont certainement pas représentatifs de l’ensemble des utilisateurs des réseaux sociaux. (…) La notion de majorité silencieuse est très juste.
Cette diversité est en réalité un des énormes avantages offerts par les réseaux sociaux. Nos tests nous montrent que celle-ci est bien plus forte qu’au sein de la population des panélistes. Les extrêmes s’expriment dans les commentaires, directement sur les publicités que nous faisons sur les réseaux sociaux lorsque nous lançons une campagne, mais ils ne sont absolument pas sur-représentés dans les gens qui participent à nos études en répondant au questionnaire sur notre plateforme. Nous n’en voyons en tout cas aucune trace dans les réponses aux questions ouvertes notamment.
Quels sont les partis-pris les plus importants pour assurer le meilleur usage possible des réseaux sociaux ?
La règle n°1 est de mixer les sources. Une seule ne suffit pas. Même si la régie Méta (Facebook &Instagram) est l’espace principal du fait de sa volumétrie, il faut impérativement intégrer des réseaux tels que Snapchat ou TikTok, en particulier pour toucher les cibles jeunes. Pour certaines études en BtoB, le recours à Linkedin est incontournable.
« La règle n°1 est de mixer les sources. Une seule ne suffit pas.
Le deuxième point clé est d’être vigilant quant aux conditions de ciblage. Les régies publicitaires mettent à notre disposition des critères nous permettant de garantir une audience ultra-ciblée sur certains sujets. Nous ne devons pour autant pas nous enfermer dans leur grille, leur logique. C’est particulièrement le cas lorsqu’on réalise des études nationales représentatives, il faut éviter d’utiliser des critères pouvant générer une sélection a priori sur le vivier des répondants. D’un strict point de vue économique, cela semble intéressant. Mais en termes de méthodologie, c’est un piège.
« Le deuxième point clé est d’être vigilant quant aux conditions de ciblage (…). Nous ne devons pas être prisonnier des algorithmes des régies publicitaires.
Le troisième garde-fou essentiel porte sur la nature des stimuli à utiliser pour recruter les participants. Ils doivent être à la fois engageants et neutres. Cela fait maintenant 5 ans que nous élaborons des campagnes pour inviter les gens à répondre à nos études. Cela nous a permis de découvrir à quel point c’est un vrai métier que de parvenir à concilier ces exigences ! Il est très spécifique, parce qu’il faut intégrer des contraintes qui ne sont pas celles de la publicité. Il ne s’agit pas seulement de générer le meilleur ratio clics / budget. On pourrait être tenté d’utiliser des stimuli engageants. Mais non, cela ne fonctionne pas comme ça si l’on veut bien représenter la diversité des profils et des opinions.
» Le troisième garde-fou essentiel porte sur la nature des stimuli à utiliser pour recruter les participants. Ils doivent être à la fois engageants et neutres (…)
En pratique, comment gérez-vous ce point ? Existe-t-il un cahier de recettes ? Qui élabore ces campagnes dans vos équipes ?
Il y a en effet une sorte de guide qui s’est construit au fur et à mesure de nos expériences. Pour chaque typologie d’études, qu’il s’agisse d’une U&A ou d’un test publicitaire, nous savons quelles caractéristiques mettre en avant pour rester dans les clous, et lesquels nous devons au contraire éviter. C’est le rôle du traffic manager et de son équipe de créer ces campagnes. Ils s’appuient sur Madein360, notre outil propriétaire et les fonctionnalités d’A/B testing pour sélectionner les pistes les plus pertinentes parmi 5 ou 6 options de visuels et d’accroche.
D’autres points vous paraissent primordiaux pour assurer la rigueur des études sur les réseaux sociaux ?
Oui. Une composante est plus complexe à appréhender, mais elle est cependant majeure. Il s’agit de la maitrise des algorithmes de gestion des campagnes. L’idée est de ne pas être prisonnier de ceux des régies. Si vous réalisez une publicité sur Facebook par exemple, le principe des algorithmes natifs est de repérer très vite le profil des personnes les plus réactives. Le réseau va ensuite « pousser » ce contenu vers les individus qui correspondent le mieux à celui-ci, qui présentent les mêmes caractéristiques. Les régies visent à obtenir le plus grand nombre de clics en un minimum de temps. Mais ce n’est pas ce que nous voulons pour nos études marketing. Pour nous, il importe au contraire d’avoir la plus forte diversité possible des répondants, tout en respectant bien sûr les quotas souhaités par nos clients.
Pour contourner la logique de ces régies, nous procédons donc à un découpage des campagnes de recrutement. Nous n’en lançons pas une seule, mais plutôt 50 ou 60. Par exemple avec des tranches d’âge très fines si la problématique s’y prête. Et nous allons générer les visuels et les messages les plus adaptés en fonction de ces sous-cibles. Nous ne présentons ainsi pas le même visuel selon que la personne a 18 ans ou 60. Tout ce process ne peut naturellement pas être géré « manuellement ». C’est un des grands avantages de notre outil MadeIn360, qui nous permet d’orchestrer cela automatiquement et de façon simple pour l’utilisateur. Un dernier point enfin est que nous limitons délibérément la durée de chaque campagne, celle-ci n’excédant pas 48 heures. Nous cassons ainsi la mécanique d’apprentissage des algorithmes des réseaux, en leur présentant très vite de nouvelles campagnes pour les obliger à chaque fois à repartir de zéro. Toujours pour respecter cet impératif de la plus grande diversité possible des répondants.
» Nous contournons la logique des régies publicitaires, qui visent à obtenir le plus grand nombre de clics en un minimum de temps (…). Pour nous, il importe au contraire d’avoir la plus forte diversité possible des répondants.
Cette mécanique permet-elle d’interroger des individus qui, habituellement, ne participent pas aux études ?
Oui, absolument. Nous avons régulièrement des messages en ce sens sur les pages de nos réseaux sociaux. Des personnes nous remercient de les avoir sollicitées alors qu’elles n’ont pas le temps par exemple d’assister à des réunions publiques ou qu’elles ne sont jamais sollicitées pour répondre à des questions sur leurs métiers. Cela se manifeste également dans les verbatims recueillis pour les questions ouvertes, les gens sont souvent intarissables parce qu’ils ont plaisir à dire ce qu’ils pensent. C’est une vraie grande satisfaction pour nous. Cela fait partie de l’ADN de Madeinvote de libérer la parole des individus et de faire en sorte que la majorité silencieuse puisse s’exprimer.
» C’est dans l’ADN de Madeinvote de libérer la parole des individus et de faire en sorte que la majorité silencieuse puisse s’exprimer.
Vous avez évoqué votre outil MadeIn360. Comment résumeriez-vous son principe ?
MadeIn360, c’est un peu le coeur du réacteur permettant de garantir la fiabilité de nos études. La première couche logicielle assure la connexion technique avec les réseaux. Les autres apportent différents niveaux d’intelligence. Avec d’une part les fonctionnalités de lancement des campagnes et de gestion des quotas. Et ce qui permet d’orchestrer la mécanique que nous évoquions précédemment, pour ouvrir et clôturer les campagnes sans être prisonniers des algorithmes des régies publicitaires.
Mais nous développons de nouvelles fonctionnalités. Notamment pour l’analyse des verbatims. Nous avons élaboré un algorithme de traitement naturel du langage, que nous avons « entrainé » sur un historique de 5 ans d’études. Cet effet d’apprentissage est essentiel pour assurer la fiabilité du « décodage » et la pertinence des résultats sur les sujets de market research. Nous avons ajouté d’autres briques, en particulier pour rendre aussi conviviale que possible la visualisation des données. D’autres viendront.
Quels sont vos axes de travail prioritaires – ou les principaux défis techniques – pour les prochaines années ?
Nous avons de nombreuses pistes de réflexion. Mais il y a un challenge important sur les enjeux de recueil, avec l’intégration des différents réseaux sociaux. Nous interrogeons des gens dans le monde entier et pour cela Méta (Facebook et Instagram) constitue bien sûr une énorme base de répondants potentiels , avec plus de 4 milliards d’utilisateurs dans le monde. Mais on ne peut pour autant pas se restreindre à ce périmètre. Nous devons inclure d’autres réseaux de bien plus petite taille, pour bien représenter des cibles spécifiques. Et ceux-ci demandent parfois un travail manuel important. C’est le cas avec TikTok par exemple encore aujourd’hui. La fragmentation va certainement se poursuivre et s’amplifier. Nous devons donc en permanence nous adapter, en fonction des usages des individus, pour toujours pouvoir faire bénéficier nos clients de la meilleure profondeur d’échantillon et représentativité possible, peu importe la finesse de la cible.
» La fragmentation des usages des réseaux sociaux va se poursuivre et s’amplifier (…). Nous devons donc nous adapter en permanence pour faire bénéficier nos clients de la meilleure profondeur d’échantillon et représentativité possible.
Une dernière question enfin. Les réseaux sociaux constituent une nouvelle donne pour les études. Mais cela peut-il inciter les marketeurs à faire évoluer leur réflexion ?
Oui, je le pense. Les réseaux sociaux permettent de sortir des limites et des contraintes associées aux panels. Ils offrent la latitude de travailler sur d’énormes volumes de participants potentiels, et donc d’investiguer des niches tout en garantissant une très bonne représentativité. Et ce dans d’excellentes conditions de délais et de coûts. Nous répondons ainsi à une volonté déjà assez ancienne des marketeurs, mais aussi des fonctions commerciales ou de type R&D. Nous apportons une brique qui manquait jusqu’ici pour développer ces approches beaucoup plus fines que par le passé. Et qui sont très pertinentes aujourd’hui du fait de la digitalisation de la société et de l’économie.
« Nous apportons (aux marketeurs) une brique qui manquait jusqu’ici pour développer des approches beaucoup plus fines que par le passé. Et qui sont très pertinentes aujourd’hui du fait de la digitalisation de la société et de l’économie.
Enfin, je crois que la perception des réseaux sociaux dépend beaucoup de l’usage personnel que l’on en a, qu’elle soit positive ou négative. Il me semble nécessaire de prendre du recul par rapport à cela, d’avoir un regard un peu dépassionné, et de se forger une vraie vision sur ce qu’ils peuvent apporter dans les études. Rien ne remplace l’expérience pour appréhender à la fois les limites – il y en a forcément – mais aussi les avantages que ces solutions peuvent procurer.
POUR ACTION
• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Guillaume David