Et si la maitrise des sciences comportementales était une superbe opportunité pour les responsables Etudes Marketing et Insights des entreprises ? À la fois pour faciliter la transformation de la connaissance en action au sein des organisations, mais aussi pour mieux valoriser leur fonction, souvent challengée. C’est le point de départ de la réflexion menée par la Nudge Unit de BVA, qui l’a conduite à élaborer un programme de formation et de coaching, B.E. Wiser. Son initiateur, Etienne Bressoud, nous en présente les grands principes dans cette interview pour Market Research News.
MRNews : Vous avez lancé avec la BVA Nudge Unit un programme de coaching et de formation aux sciences comportementales, spécialement dédié à la fonction Etudes / Insights dans les entreprises. Pourquoi ?
Etienne Bressoud (BVA Nudge Unit) : Nous sommes tout simplement partis de ce que nos clients nous disent : cette fonction est aujourd’hui fortement challengée dans les organisations. La raison principale est que la connaissance des consommateurs se joue partout, avec des données de plus en plus nombreuses et hétérogènes. Les directions Etudes / Insights en ont perdu le monopole, et sont donc moins perçues comme incontournables par les équipes. Par ailleurs, la crise sanitaire n’a fait qu’accentuer un enjeu déjà très présent, celui du changement des comportements. Plus structurellement encore, les entreprises ont l’impératif d’innover vite et bien ; et, pour cela, elles doivent tester en mode agile. Tout cela fait que la fonction Etudes doit évoluer, et même se réinventer, d’autant qu’on lui demande de plus en plus souvent de démontrer son ROI.
Face à ce challenge, des opportunités existent, dont la maitrise des sciences comportementales. Pourquoi celle-ci vous parait si importante ?
C’est d’abord une bonne façon d’optimiser la « boite à outils » des market researchers. Les sciences comportementales apportent un plus considérable dans la compréhension des décisions et des comportements des consommateurs. Avec un mindset qui privilégie l’expérimentation, le test and learn, en phase donc avec le besoin d’agilité des entreprises. Pour identifier les vrais leviers, il faut faire des hypothèses, tester, et mesurer. Ces apports sont encore très récents, mais ils ont très clairement démontré leur efficacité pour inspirer les actions. Si des sociétés telles que Procter & Gamble, Coca-Cola, Google, Unilever et bien d’autres les ont intégrés, ce n’est pas par hasard ! Les politiques publiques exploitent ces principes depuis déjà quelques années, avec des réussites parfois spectaculaires. Les market researchers ont donc une superbe opportunité, celle de devenir les champions de cette discipline dans les entreprises. Et de se donner toutes les chances d’être perçus comme des partenaires business stratégiques, incontournables, avec un vrai sens de l’action et un ROI démontrable.
Vous proposez B.E. Wiser, un programme de formation et de coaching aux sciences comportementales. Pourquoi avoir inclus cette composante « coaching » ?
Dans les entreprises, les gens sont de plus en plus familiers de ces sciences. Mais être au fait de quelques principes est une chose, bien les appliquer en est une autre. Le risque est de tomber dans « l’illusion de connaissance ». La formation est bien sûr indispensable pour aller plus loin. Mais, là encore, si elle est utilisée seule, son efficacité est limitée. On le sait aujourd’hui, en 24 heures, nous oublions en moyenne 70% de ce que nous apprenons. Nous devons en tenir compte, et donc travailler sur la durée, en concevant le changement comme un processus et non comme un évènement. C’est une condition essentielle à une véritable appropriation d’un savoir, quel qu’il soit, les sciences comportementales n’échappant naturellement pas à cette règle. D’où l’idée d’articuler formation — ou plus exactement training — et coaching.
En quoi consiste plus précisément le programme ?
B.E. Wiser mobilise trois types de ressources. Nous avons d’une part un parcours d’apprentissage « blended », certifié, qui se déroule en général sur près de 4 mois. Cela peut paraitre beaucoup, mais c’est un vrai choix. Celui-ci peut naturellement être modulé et complété en fonction des besoins de l’organisation. Chaque semaine comprend une heure de cours guidé que les participants explorent individuellement, avec des vidéos de 5 minutes, des quizz… D’autre part, tous les 15 jours, nous animons une session de coaching en groupe d’une heure, ce qui permet de faire le lien avec la formation. Nous revenons avec les apprenants sur les concepts, un par un, pour identifier comment les appliquer. Que peut-on faire en utilisant par exemple le paradoxe de choix, ou bien le « ikea effect » ? Cela n’empêche pas, en parallèle, de travailler selon une autre logique, consistant à partir des problématiques clients, de voir quelles solutions peuvent apporter les sciences comportementales. Et enfin, nous mettons à disposition des personnes formées un centre de ressources, pour leur permettre d’approfondir leurs connaissances et de trouver l’inspiration.
En réalité, nous ne faisons qu’appliquer les acquis les plus récents des sciences de l’éducation…
Ce sont les enseignements que nous avions eu l’occasion d’évoquer ensemble, suite à la publication de votre livre « Nudge et autres coups de pouce pour mieux apprendre » ?
Tout à fait. La conception de ce programme s’est faite en parallèle de l’écriture de cet ouvrage. Et en effet, certains concepts sont fortement intégrés. Dont la notion d’apprentissage actif avec des quizz, qui me semble particulièrement essentiel, ainsi que le principe extrêmement efficace de classe inversée. On sait également qu’il y a un réel intérêt à espacer les séances de formation. C’est le cas avec B.E. Wiser, qui se déroule sur 16 semaines.
Nous avons aussi intégré les apports de l’intelligence artificielle, en travaillant avec une start-up californienne, Cerego. Cela se traduit par le développement de « quizz apprenants », personnalisés en fonction des réponses passées des individus, et leur permettant ainsi de maximiser leur appropriation des enseignements. C’est le principe de l’Adaptive Learning (NDLR : à lire sur ce sujet cet article dans Le Monde)
Vous faites partie des spécialistes du Nudge et des Sciences comportementales en France. Avez-vous eu recours à d’autres ressources pour définir ce programme ?
Oui. Nous nous sommes appuyés sur un « client advisory board », pour nous assurer de bien répondre aux besoins des organisations. Celui-ci est notamment composé d’Anouk Benlolo-Atlan (Chanel), Denis Morlat et Anne Ledouble (BNP Paribas) et Florian Smet (ex Bristol-Myers Squibb). Leur vision nous a vraiment beaucoup apporté !
Une dernière question : qui sont les premiers clients et utilisateurs ?
Ils sont répartis dans différents secteurs d’activité, que ce soit la grande consommation, le luxe, le domaine banque-assurance ou la santé. Ce sont le plus souvent des équipes marketing et/ou insights, de 10 à 20 personnes. Classiquement, celles-ci ont déjà une bonne connaissance des sciences comportementales. Et souhaitent monter en compétence et surtout passer à l’action. Elles peuvent aussi avoir le besoin de former d’autres collaborateurs, et de diffuser cette culture et ces pratiques dans l’entreprise. Dans certains cas — celui de Save the Children en est un bel exemple —, l’enjeu est d’engager des équipes disséminées un peu partout dans le monde. La dominante peut être très « marketing », ou bien managériale.
ACCÉDER À UNE DÉMONSTRATION DU PROGRAMME B.E. WISER
Je ne citerai qu’un seul chiffre : 50% des inscrits au programme vont jusqu’au bout, et donc à la certification. C’est un très bon ratio, celui-ci étant en moyenne de 30% pour des cycles internes dans les entreprises. Et on est très loin de la performance d’un Mooc, qui dépasse rarement les 10%. J’y vois un signe fort à la fois de l’intérêt du contenu et de la pertinence des partis-pris pédagogiques. Mais nous ferons naturellement évoluer le programme en fonction des retours et des besoins exprimés par nos interlocuteurs.
POUR ACTION
• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Etienne Bressoud