Customer Centricity : comment (enfin) passer du principe à la réalité ? – Interview de Sylvie Lasoen (Sorgem Advance)

9 Mai. 2019

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La Customer Centricity fait à l’évidence partie des grandes obsessions actuelles des entreprises, à tel point qu’il semble mission impossible de passer une journée sans entendre ce terme, sauf peut-être à se téléporter momentanément au Tibet ! 
Mais pourquoi cet enjeu est-il si difficile à adresser, alors que la fonction marketing existe depuis plus d’un demi-siècle, et que la plupart des organisations peuvent s’appuyer sur des ressources Études ? Et comment se donner les meilleures chances d’y parvenir ? Sylvie Lasoen (Business Consultancy Advisor chez Sorgem Advance), a conçu un programme d’accompagnement des entreprises dans cette voie de la Customer Centricity. Elle nous fait partager sa vision et ses convictions.

MRNews : N’est-ce pas un paradoxe d’entendre autant parler de Customer Centricity aujourd’hui, alors que la fonction marketing — qui a pour vocation de mettre le client au centre des organisations – existe depuis les années 50, et que la plupart des grandes entreprises intègrent des équipes Études ou Insight. Pourquoi les discours des dirigeants se focalisent autant sur cet enjeu ? 

Sylvie Lasoen (Sorgem) : Soyons clair, il y a un énorme décalage entre les discours et la réalité, y compris au sein des plus grandes entreprises. Il est politiquement correct pour un dirigeant de proclamer que son organisation est Customer Centric. En vrai, ces entreprises éprouvent majoritairement de grosses difficultés à fonctionner selon ce principe. C’est tout sauf une évidence, et c’est bien une des raisons qui fait que l’on en parle autant. La présence d’un département ou d’une direction des études peut bien sûr aider à aller dans ce sens. Mais elle ne constitue en rien une condition suffisante. J’irai plus loin : partir du postulat que la Customer Centricity est entre les mains des Etudes revient à mon sens à se condamner à l’échec. Les équipes Études peuvent être des facilitateurs, des ambassadeurs, mais la Customer Centricity est par définition quelque chose de transversal, qui doit être partagé le plus largement possible — idéalement par toutes les fonctions de l’entreprise — et doit donc être impulsé par le board, faute de quoi il est hautement improbable de réussir ce challenge.

Pourquoi est-ce si difficile pour une entreprise d’être Customer Centric ?

Être ou ne pas être Customer Centric, cela peut-être une question d’organisation — avec les limites des silos qui sont si souvent évoquées — ou de compétences… Mais je crois que c’est le plus souvent une question de culture et d’état d’esprit. Les difficultés tiennent aussi à des éléments de contexte : la prolifération de la data et la multiplication des touch-points ont pour effet de fragmenter la connaissance Clients. Il est assez facile pour une entreprise d’être Product ou Data centric. Mais être Customer Centric est un challenge par essence difficile puisqu’il revient plus largement à remettre de l’humain dans des entreprises qui se sont habituées à des modes de fonctionnement très analytiques, où les considérations sont extrêmement abstraites. C’est ce qui fait l’intérêt et la puissance de ces projets, qui peuvent être très fédérateurs en interne. La Customer Centricity aide l’entreprise et ses marques à engager non seulement les clients en externe, mais aussi les collaborateurs en interne, c’est réellement un cercle vertueux !

Vous avez élaboré un programme d’accompagnement pour aider les entreprises à se transformer dans le sens d’une plus grande Customer Centricity. Quelles en sont les grandes étapes ? 

La condition essentielle à la réussite de ces projets, nous l’avons évoqué, est que l’impulsion vienne du haut, ce qui peut intervenir assez naturellement avec l’arrivée d’un nouveau CEO par exemple. La première étape que nous mettons en oeuvre consiste donc à interviewer le top-management. D’abord pour appréhender ce que chacun des membres du board met sous le terme de Customer Centricity, les réponses étant extrêmement hétérogènes en fonction de leur background. Mais aussi pour identifier le lien qu’ils établissent entre la Customer Centricity et les enjeux business. Si ce lien n’est pas fait, c’est un vrai point bloquant…

Si l’entreprise considère la Customer Centricity comme une sorte de « devoir », comme une fin en soi, elle part sur de mauvaises bases ?

Exactement. Il ne faut pas se voiler la face, la vraie finalité de la Customer Centricity est de contribuer à la croissance du business, grâce à une amélioration du recrutement et de la fidélité des clients — ou une meilleure focalisation stratégique. C’est là, à mon sens, qu’il y a le malentendu le plus important. Il est donc nécessaire d’entendre le postulat de ce lien dans la bouche des dirigeants. Par la même occasion, il faut saisir les challenges qu’ils identifient. Qu’est-ce qui empêche l’entreprise d’avancer ? L’idée n’étant surtout pas que nous définissions, en tant que consultants externes, les solutions à ces problèmes, mais plutôt que nous accompagnions l’entreprise à les trouver en elle-même. Une fois que les gens sentent qu’il y a une réelle impulsion du board, cela devient facile de mobiliser les équipes partout dans l’entreprise ; et de casser cette idée préconçue que la Customer Centricity serait uniquement l’affaire des études et du marketing. Non, cela touche vraiment tout le monde. Et la clé est souvent là, dans cette prise de conscience transversale, y compris auprès de fonctions a priori un peu éloignées du consommateur final.

Au-delà d’un état d’esprit général, quels facteurs font qu’une entreprise est plus Customer Centric qu’une autre ? 

Nous avons identifié dix principaux leviers, qui ont une valeur universelle tout en pouvant s’appliquer de façon pertinente à tous les secteurs d’activités. Et, précisément, la seconde étape de l’approche que nous proposons consiste en une auto-évaluation de l’entreprise sur ces différents leviers, le préalable étant bien sûr de les expliciter de façon à ce qu’ils fassent complètement sens pour les personnes impliquées dans la démarche. Cela fait l’objet d’une séance de workshop bien spécifique au cours de laquelle les participants évaluent l’importance stratégique de chacun de ces leviers, ainsi que le niveau de performance de l’entreprise sur ceux-ci, ce qui permet d’obtenir ainsi une vision claire et partagée des priorités. Dans certains cas, le manque de maitrise de la data va apparaitre comme le principal challenge à surmonter. Dans d’autres, cela sera plutôt une trop faible empathie vis-à-vis des clients, le fait que l’on ne voit quasiment jamais ceux-ci. Ou bien encore un déficit de storytelling… En tout état de cause, chaque levier va mener à des actions très différentes.

Qu’est-ce qui caractérise une entreprise peu performante sur le levier du storytelling ?

Beaucoup d’entreprises se reconnaitront : ce sont celles où l’on ne regarde que des tableaux de bord ou des powerpoints de 200 pages, alors qu’une vidéo bien faite mettant en scène quelques récits de consommateurs dans leur vraie vie aurait bien plus d’impact. Dans ces entreprises, la priorité est de remettre de l’humain, de donner une vision beaucoup plus incarnée des enjeux.

Cette matrice des priorités posée, il faut j’imagine définir et mettre en oeuvre des actions…

Absolument. C’est l’objet d’un workshop pluridisciplinaire de formaliser un plan très granulaire et concret, avec des actions de fond, mais aussi des quick wins. Et qui, vraisemblablement, ne comportera pas ou peu de composantes spécifiquement « études ». Les actions sont évaluées en fonction de leur impact, mais également de l’effort qu’elles requièrent, ce qui permet ainsi de les prioriser. Ce qui est gratifiant pour les participants, c’est qu’ils prennent vite conscience qu’il existe des actions immédiates et payantes ; et il sera important de commencer par celles-ci. Ce plan est ensuite présenté au board de sorte à être ajusté et validé. On a donc un engagement de l’ensemble de la société, y compris du top management bien sûr, dans une approche qui se doit de respecter les spécificités des entreprises et leur secteur d’activité.

Quelle est la durée totale de la démarche ?

Assez classiquement, il faut compter sur une à deux semaines pour réaliser les différents entretiens avec les parties prenantes et établir un état des lieux. Vient ensuite le workshop dont la finalité sera l’élaboration d’un plan d’actions.  On ne mobilise donc en réalité pleinement les participants que sur un seul jour. En aval de celui-ci, il faut parfois quelques réunions pour le fine-tuning des priorités. Mais on est au global sur un processus court, disons d’un mois environ.

En quoi Sorgem peut-il avoir sur ces sujets une approche vraiment différente de celles des grands cabinets de conseil ?

Il y a de très fortes chances qu’un cabinet de conseil gère ce type de problématique comme un nouveau process Business à mettre en place ; là où nous nous focalisons sur le principe de remettre de l’humain dans les rouages. C’est lié naturellement aux fondements très « insight » de Sorgem, qui se combine à mon expérience chez l’annonceur. J’ajouterais qu’il y a aussi une posture de fond, qui consiste à démystifier et dé-dramatiser. Il n’est nul besoin de monter des usines à gaz pour avancer dans le sens de la Customer Centricity, au contraire !

Le sujet de la Customer Centricity peut irriter les équipes études : le CEO déclare celui-ci comme étant une priorité majeure de l’entreprise, alors que les responsables Etudes ne se sentent parfois que peu écoutés. Quels conseils leur donneriez-vous ?

Peut-être est-ce plus facile à dire qu’à faire, mais il me semble qu’elles doivent surtout y voir une opportunité, celle d’évoluer vers un rôle plus stratégique. Lorsque le type d’approche que nous avons évoquée se déclenche, cela ouvre la possibilité à l’équipe Études d’intervenir en tant que facilitateur ou ambassadeur de la « People centricity », et de grandir dans sa fonction en étant ainsi plus au coeur des décisions business.

Propos recueillis par Thierry Semblat


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Sylvie Lasoen

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