# Faut-il dynamiter les baromètres de satisfaction ? (volet 1)

"Un indicateur n’est pas une fin en soi !"

Guillaume Antonietti
Groupe BVA, Directeur-fondateur de Côté Clients

14 Mar. 2019

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Pour Guillaume Antonietti (Groupe BVA), nous assistons bien à une remise en cause des baromètres de type Satisfaction par les directions générales des entreprises… Et celle-ci est tout à fait compréhensible compte tenu des dérives qu’il y a pu y avoir autour de ces outils — avec les ravages du NPS ! —, qui s’éloignent trop souvent de leur vocation : développer la culture client au sein des équipes. Il est donc nécessaire de les repenser en respectant ce principe clé, et en faisant en sorte qu’ils soient au service d’un vrai projet managérial.

MRNews – Observez-vous une réelle remise en cause des baromètres de satisfaction dans les entreprises ? Et, si oui, pourquoi ?

Guillaume Antonietti (Côté Clients – Groupe BVA) : Oui, ces outils me semblent fortement challengés au sein des entreprises, depuis déjà quelques années. Et, il faut le souligner, cette remise en cause intervient surtout à l’initiative des dirigeants. Elle se fait dans des conditions à chaque fois différentes, mais qui gravitent néanmoins autour de quelques grands cas de figure. Un des scénario les plus classiques est celui du baromètre de satisfaction qui « ronronne ». Il endort l’entreprise plutôt que de contribuer à l’animer. Au moment de la mise en place et dans les premiers mois d’existence de l’outil, il y a souvent une forte mobilisation des équipes, avec des plans d’action, des démarches de sensibilisation… Et puis, à un moment donné, tout le monde s’habitue à ce que les scores n’évoluent quasiment pas. On ne sait plus très bien si la faute en revient au baromètre lui-même ou à l’organisation qui s’englue dans une forme d’inaction… Un nouveau souffle est nécessaire ! L’autre grand cas de figure, c’est la prise de conscience que l’outil est à la fois couteux et déconnecté des besoins des managers qui souhaitent piloter leurs équipes ! Ceux-ci se retrouvent avec un dispositif fastidieux, lourd, alors qu’ils ont l’impression – souvent à raison – que beaucoup d’informations sont directement accessibles sur le web, avec des indications individualisées au magasin, avec Google notamment. 

C’est la problématique des outils conçus d’abord et avant tout dans une logique « Etude »…

Absolument ! On le sait, il y a une réelle dichotomie sur ces enjeux, avec d’un côté des staffs études qui se préoccupent avant tout de comprendre, de saisir quels sont les bons leviers ; et de l’autre des managers qui veulent agir, mettre la pression sur leurs équipes pour progresser. Le troisième cas de figure est peut-être le pire de tous, au sens où il est le plus pernicieux. C’est celui où l’entreprise ne pilote plus la relation client en tant que telle, mais un indicateur. Celui-ci, qui a vocation à n’être qu’un moyen, une aide, devient LA finalité. Les managers croient bien faire en incentivant leurs équipes sur les évolutions de l’indice ; alors qu’en réalité, cela déclenche une mécanique contreproductive. Tous les collaborateurs « s’arrangent » pour obtenir une bonne note. Par exemple en demandant aux clients de ne surtout pas leur mettre un score inférieur à 8 sur 10… C’est ce que Daniel Ray nomme très justement l’indicateur pastèque : vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur… En apparence, tout va bien, les scores sont bons. Sauf que ceux-ci sont déconnectés de la réalité de la relation client, qui peut être parfaitement catastrophique… Le dispositif ne sert à rien ; pire, il est devenu nuisible à la santé de l’entreprise !

La diffusion du NPS n’a-t-elle pas favorisé ce type de dérive ?

C’est évident. En l’espace de quelques années seulement, le NPS s’est imposé dans les entreprises comme une sorte de norme et d’outil de benchmark, à l’initiative du management et non des équipes études. Mais cela a malheureusement souvent engendré de la confusion et des pratiques contre-productives. Beaucoup de gens assimilent l’indice NPS a un score de satisfaction, alors qu’il n’en est rien puisque la question porte sur l’intention de recommandation. Et on arrive ainsi à des processus assez aberrants. Si vous êtes en contact avec le Service Client parce que vous avez par exemple eu un souci avec le paramétrage de votre compte, on vous demande si vous recommandez l’entreprise. Et le Service Client va donc être évalué non en fonction de la qualité de l’aide qu’il vous a apportée, mais de l’image globale que vous avez de l’entreprise…. Ces dérives font malheureusement beaucoup de mal, en allant ainsi à l’encontre de la diffusion d’une vraie culture client.

De quels principes faut-il s’inspirer pour renverser la vapeur, et faire en sorte que ces outils aident au contraire à renforcer la culture client ?

Il faut impérativement s’extraire de cette logique consistant à « enfermer » ces baromètres dans le domaine des études. Ce sont des outils au service d’un projet managérial ; c’est cette considération qui doit à mon sens l’emporter ou en tout cas être beaucoup plus appliquée. Il est essentiel d’intégrer le besoin de gérer deux vitesses différentes : une stratégique et une managériale. Les équipes Études sont confrontées à un vrai risque si elles ne prennent pas ce virage : celui de voir se créer à côté d’elles un département Satisfaction, qui les dépossédera de ces enjeux. 

Appliquer ce principe a de nombreuses incidences…

Oui, naturellement. Cela implique notamment de consacrer beaucoup de temps avec les managers et les équipes opérationnelles, sur le terrain, pour saisir quel est leur champ d’action et quelles sont leurs contraintes. Et aussi pour faire l’indispensable pédagogie de ces notions et ces outils. Lorsqu’un manager voit un score passer de 7,2 à 7, il va plutôt considérer que cela ne porte pas à conséquence ; alors qu’il y a de fortes chances que, derrière cela, il y ait une progression significative de la proportion de clients mécontents, et une fragilisation de la base. Il faut donc accompagner les équipes dans la lecture des résultats, avec des formats qui soient adaptés, des dash boards simples et immédiatement assimilables. Mais cela a aussi des conséquences sur la nature même des outils. Peu importe s’ils paraissent un peu « grossiers » pour des spécialistes des études. Ce qui compte, c’est qu’ils s’intègrent dans la logique de progression de la culture client dans l’entreprise. Si cette volonté et cette culture ne sont pas présentes, cela ne sert à rien de dépenser de l’argent en études, autant l’utiliser à autre chose !

Un des enjeux est de définir les indicateurs les plus pertinents. Nous avons évoqué le NPS, avec ses limites et les dérives qu’il peut y avoir dans son usage. Quelles sont les meilleures options selon vous ?

Il peut y avoir des utilisations réellement efficaces du NPS… Par exemple lorsque l’entreprise s’organise pour contacter tous les clients ayant donné une mauvaise note, à condition naturellement qu’elle puisse agir auprès d’eux, d’une façon ou d’une autre. Mais ma conviction est que le meilleur KPI est celui qui est admis et même idéalement choisi par les équipes, à partir du moment où il reflète la vision des consommateurs. C’est celui qui fait se bouger les équipes dans le sens du client. Et cet indicateur n’est pas nécessairement le même en fonction des différents métiers dans l’entreprise.

Si vous étiez à la place d’un responsable des études au sein d’une entreprise, que feriez-vous pour faire le bon check-up sur la santé du baromètre de satisfaction ?

Cela rejoint mes propos précédents, je pense que la première chose à faire est d’aller sur le terrain, de rencontrer les équipes pour cerner comment est perçu, compris et utilisé cet outil. Le préalable étant, très basiquement, de voir quel est le niveau de connaissance des résultats principaux. Ceux-ci sont souvent mis en ligne, mais sont-ils consultés, et par quelles entités ? Et ce diagnostic de base se doit d’être fait pour les strates de management. Le DG connait-il le score de satisfaction globale – ou le KPI retenu – et ses dernières évolutions ? Si ce n’est pas le cas, il y a de gros risques que la culture client soit insuffisante, ou bien que l’outil soit à côté de la plaque. 

Mais je pense qu’il est sain également de se poser des questions plus « out of the box ». Et si le meilleur dispositif pour faire progresser la culture client n’était pas un baromètre au sens « Etudes » ? Et s’il y avait déjà énormément de choses disponibles sur le web et exploitables ? Ces questions peuvent avoir le mérite d’ouvrir la porte à des réflexions nouvelles…

Une dernière question : des entreprises vous ont-elles particulièrement marqué par leurs initiatives ou les pratiques qu’elles ont instaurées sur ces enjeux ?

Je ne peux bien sûr pas être exhaustif… L’exemple de Generali me parait particulièrement intéressant ; cette société me semble aller assez loin dans le traitement des remontées clients et la mise en application du « Close the Loop ». Je citerais également Leclerc, qui s’est engagé dans des actions ambitieuses de formation des équipes, et en particulier dans le management des outils en local. Je pense enfin à la FNAC, qui a élaboré un dispositif très complet. Mais je suis certain d’oublier beaucoup d’entreprises, y compris des structures de tailles plus modestes, où la culture client est parfois plus naturellement présente que chez les plus gros. 


 POUR ACTION  

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