Interview de Georges Lewi, fondateur de Valomarques

Présidentielles 2017 : le regard (et le pronostic) du mythologue ! Interview de Georges Lewi

10 Avr. 2017

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La campagne présidentielle en cours avec ses onze candidats est décrite par les observateurs politiques habituels comme l’une des moins passionnantes que notre pays ait jamais connues…. Mais est-elle si inintéressante du point de vue d’un spécialiste du branding qui se doit d’être un fin connaisseur de la société ? Ne serait-elle pas au contraire porteuse d’enseignements précieux pour les marques ?
Ce sont les questions que nous avons posées à Georges Lewi (Mythologicorp), qui déploie le prisme d’analyse dont il est coutumier : celui des grands archétypes et des « mythes » qui structurent les plus profondément nos représentations. Et qui, naturellement, nous livre son pronostic en prime !

 

MRNews : Les observateurs politiques sont extrêmement critiques vis-à-vis de cette campagne des présidentielles, chaotique et médiocre de leur point de vue. Mais le spécialiste des marques que vous êtes ne voit peut-être pas les choses de cet oeil ?

Georges Lewi (Mythologicorp) : Sous l’angle du symbolique et des représentations, je pense au contraire que ce sont peut-être les meilleures, les plus intéressantes que nous ayons jamais connues. D’abord parce que les positions des différents candidats sont tranchées ; parmi la douzaine de « mythes » que j’ai identifiés comme étant les plus forts, les plus référents — et qui correspondent en fait aux douze divinités de l’Olympe — on en retrouve ici huit qui ont chacun au moins un candidat particulièrement bien affirmé. Par ailleurs, l’autre fait notable est que l’on assiste à un basculement des repères. Le paysage politique ne s’organise plus principalement selon l’axe qui prédominait jusqu’ici.

Cet axe traditionnel est-il celui qui oppose la droite et gauche ?

Oui, même si je le formule différemment. C’est l’axe qui oppose le « dominant »(et avec lui le pouvoir) et le « dominé », pour qui il faut redistribuer la richesse. Cet axe reste présent, le mythe du « dominant » étant incarné par François Fillon, dont le cas est assez complexe bien sûr – nous y reviendrons – alors que celui du « dominé » est particulièrement bien représenté par Jean-Luc Mélenchon. Mais cette opposition passe au second plan, l’axe principal étant devenu l’antagonisme Hier / Demain. Ce qui correspond à ce « hier », c’est le mythe de l’âge d’or…

C’est un mythe très utilisé par les marques ! Et dans le domaine du politique, n’est-ce pas celui préempté par Donald Trump aux USA ?

Absolument ! Trump l’incarne en effet avec une pureté chimique confondante. L’âge d’or est le mythe le plus universel qui soit et que l’on retrouve dans toutes les civilisations ; c’est l’idée qu’il pré-existait une sorte de paradis terrestre, et qu’il suffit donc de revenir à ce que la nature nous a donné pour retrouver le bonheur. C’est le mythe incarné aujourd’hui par Marine LePen. Son opposé, c’est le mythe de Prométhée : l’homo-sapiens doit aller chercher le feu chez les dieux pour devenir au moins aussi puissant qu’eux, pour créer la civilisation et toujours être dans le progrès. Même si le personnage est assez multi-facettes, c’est Emmanuel Macron qui représente aujourd’hui le mieux ce mythe.

Cet axe Hier / Demain a bien sûr déjà été présent dans le champ politique français, mais plutôt par intermittence. Giscard d’Estaing était bien dans ce registre par exemple, en s’opposant à la droite gaullienne lorsque celle-ci s’est retrouvée dépassée par les évolutions de la société.

Pour en arriver aux huit mythes évoqués en préambule, quels sont donc les deux autres axes présents ?

Le troisième axe que j’identifie oppose le « lointain » et le proche. Le candidat du «proche », c’est Benoit Hamon. On est là dans l’accessibilité, dans tous les sens du terme, ce que l’on retrouve avec l’idée du revenu universel. Pour ce qui est du « lointain », il me semble que c’est Nicolas Dupont-Aignan qui le représente le mieux. C’est la troisième fois qu’il est candidat à la présidentielle, il commence donc à le devenir moins que par le passé, mais il conserve ce côté un peu « extra-terrestre », étranger à la situation.  

Le dernier axe enfin oppose le « Terroir », magistralement incarné par Jean Lassalle, à ce que l’on pourrait dénommer comme étant « l’ouverture », où le monde entier est frère, avec des candidats comme Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud.

Certains grands mythes fondamentaux sont-ils absents de cette campagne ?

Oui, il y a deux axes absents. L’un sur lequel était engagé François Fillon, qui est celui du religieux et qui s’oppose au rationnel. Mais Fillon a été obligé de le délaisser. Pour les raisons que l’on sait, mais aussi parce qu’il n’y avait pas d’opposant très clair sur cet axe. Le discours tournait ainsi à vide, comme toujours lorsque l’on ne peut pas se confronter à quelque chose où à quelqu’un. Le dernier axe manquant est l’opposition « savoir / pouvoir ».

Vous n’intervenez pas dans l’univers du politique… Mais si vous deviez le faire, quel candidat vous paraitrait le plus intéressant à conseiller ?

Je dirais Benoit Hamon et François Fillon. Ce sont ceux pour lesquels il y a matière à effectuer un travail de repositionnement, en utilisant le levier le plus classique du branding, qui consiste à transformer les points faibles en points forts. Cela parait un peu plus facile pour Hamon, qui est un petit peu l’intrus du système. Le cas Fillon est bien sûr plus délicat…

Pensez-vous que les marques aient des leçons particulières à tirer de cette présidentielle, et si oui lesquelles ?

Les grandes marques sont très en avance sur cette capacité à « s’aligner » sur ces mythes structurants. L’axe Hier / Demain est notamment extrêmement présent. Regardez par exemple l’opposition Yves Rocher / L’Oréal : sur le même type de produits, vous avez la nature d’un côté, et la science de l’autre. On retrouve beaucoup de marques très fortes de part et d’autre de cet axe, L’Oréal que je viens de citer, ou Google par exemple. Et de l’autre côté, celui de l’âge d’or, une marque comme Bonne Maman semble particulièrement bien réussir.

Quels seraient les « équivalents marques » de François Fillon et de Jean-luc Mélenchon par exemple ?

C’est l’axe dominant / dominé. On pourrait donc retrouver une marque comme Décathlon côté « dominé », avec cette obsession de proposer des produits de qualité à des prix extrêmement accessibles. Et Hugo Boss du côté du « dominant » et donc de François Fillon, sans ironie de ma part !

Vous n’échapperez pas à une dernière question : quel est donc votre pronostic sur le nom de notre futur président. A moins que ce ne soit une présidente ?

Avec Marine Le Pen et Emmanuel Macron, on est vraiment dans l’affrontement avant / demain. Les Français sont collectivement pessimistes, mais individuellement optimistes, je pense donc qu’ils sont majoritairement prêts à se projeter vers demain. C’est ce qui me fait penser, sauf imprévu majeur, à une probable victoire d’Emmanuel Macron.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Georges Lewi

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