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Le « made in France » est-il une bonne idée marketing ?

26 Oct. 2012

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L’image d’Arnaud Montebourg vêtu de sa marinière a au moins le mérite de marquer les esprits : même la présidente du Medef Laurence Parisot l’aura jugé « sexy » ! Mais si les fabricants de marinières se frottent les mains, la question reste néanmoins entière quant à l’efficacité de la démarche : cette nouvelle tentative pour encourager nos concitoyens à acheter « français » a-t-elle une réelle chance de succès ? Le levier de la proximité peut-il faire basculer nos comportements d’achats ? Ce sont les questions que nous avons posées à notre « expert invité » Georges Lewi, professeur au CELSA et spécialiste du branding et des mythologies appliquées au monde contemporain.

Market Research News : Vous avez publié dans votre blog un article pour évoquer votre doute sur l’efficacité de ce « made in France ». Pouvons-nous revenir sur les raisons de ce doute ?

Georges Lewi : Il y a un premier niveau de difficulté, qui relève de la définition même du « made in France ». Cela se traduit par ce paradoxe saisissant : le label s’applique parfaitement aux canettes de Coca et aux voitures japonaises, ces acteurs cherchant à rester au plus prés de leur marché et limiter leurs frais de transport…

Mais, plus profondément,  on joue ici sur le ressort d’une proximité qui fonctionne assez mal. Entendons-nous : la proximité est bien une carte majeure pour susciter l’adhésion des consommateurs ou des citoyens. Pour convaincre les consommateurs que l’on est proche d’eux, il faut dans l’idéal combiner quatre « ingrédients ». La proximité est d’abord physique, sensorielle : est proche ce que l’on peut toucher, voir, sentir,… Elle est également géographique. Elle est enfin identitaire (ce que l’on com-prend) et émotionnelle (ce et ceux que l’on aime).

En l’occurrence, le « made in France » dit bien une proximité géographique !

La proximité géographique est à la fois objective, et relative : il faut du temps pour aller à Marseille ou Strasbourg. Mais effectivement, la très grande limite du « made in France » porte essentiellement sur ce point : la véritable proximité n’est pas un concept mais une réalité physique. Nous sommes ici sur une notion qui est trop abstraite, qui n’est pas suffisamment incarnée. Le plus bel exemple d’une proximité réussie, c’est celui de certains boulangers ou restaurateurs qui vont jusqu’à faire le travail sous vos yeux. Le bon sens populaire dit des vérités profondes : loin des yeux, loin du coeur !

Restent les autres ingrédients que vous évoquiez, cette proximité identitaire et relationnelle ?

Certes, mais ces critères ne touchent manifestement qu’une partie de la population, sans doute proche du tiers si l’on se réfère aux analyses politiques. Il n’y a guère que le sport qui permet de temps à autre d’activer l’identité française. Mais la plupart du temps, celle-ci ne joue que faiblement pour nos concitoyens. Posez-donc la question à un Marseillais ! Il est évident qu’il se sent d’abord Marseillais avant d’être français. Idem pour un Breton ! On peut toujours se poser la question de cette force de l’identité française relativement aux autres pays. Je pense que la situation n’est pas si différente chez nos voisins italiens ou espagnols par exemple. Sans doute les américains ressentent-ils plus fortement cette identité nationale, ce qui s’explique vraisemblablement par le fait que c’est un pays encore jeune, dont l’histoire est assez courte et donc présente à l’esprit des gens.

L’exemple de « Le Slip Français » semble pourtant être une réussite assez magistrale !

Cela a le mérite d’être assez drôle. C’est en tout cas assez osé avec ces noms de modèles, « le redoutable », « le vaillant », « le triomphant »… On voit bien à quelle mythologie on a affaire ! Plus sérieusement, je crois que le « made in france » est infiniment plus facile à jouer à l’échelle d’une PME qu’à celle d’un pays.

Si ce « made in France » semble plutôt condamné à l’insuccès, comment pourrait-on faire mieux ?

Il me semble qu’il y a deux pistes intéressantes.

La première option est celle du double branding. Si l’on exprime qu’un produit est « Fabriqué dans les yvelines/France », cela permet sans doute de redonner une spécificité « industrielle » à certains lieux, et de mieux exprimer la proximité géographique. Si la porcelaine est de Limoges, ou si les nougats viennent de Montélimar, on retrouve bien une proximité intéressante, et sans doute nettement plus efficace. La France viendrait alors en marque caution, ce qui est parfaitement cohérent.

L’autre piste consisterait à abandonner ce « made in France » impossible à tenir au profit d’un « Créé en France ». C’est un moyen qui me semble intéressant pour exploiter une de nos très grandes forces : la France est perçu comme un des pays les plus créatifs au monde, avec les italiens sans doute, avec le crédit d’une fiabilité supérieure à celle des pays du sud. On attribue à la France et aux français une autorité  de compréhension intégrant une forte dimension esthétique et émotionnelle. C’est une histoire qui tient la route, avec de nombreux succès qui permettent de l’accréditer. Cela pourrait au moins permettre de conserver en France les sièges sociaux et les bureaux de style, avec sans doute quelques lieux de production importants dans la balance.

Nota :

Georges Lewi est professeur (Celsa) et l’un des experts les plus réputés en stratégies de marques. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages consacrées à la marque dont Branding Management (qui vient d’être ré-édité) et Mythologie des Marques.

Blog :  www.mythologicorp.com


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