http://www.marketresearchnews.fr/media/catalog/product/cache/3/small_image/250x/9df78eab33525d08d6e5fb8d27136e95/n/o/nouveaux-bovary.jpg

Après les X et les Y, la génération Facebook : des nouveaux Bovary ? Interview de Georges Lewi

6 Sep. 2012

Partager

Les générations se succèdent, mais ne se ressemblent pas nécessairement… Après les X et les Y, une nouvelle génération parvient aujourd’hui à maturité, celle que l’on pourrait qualifier de génération facebook, mais qui est aussi celle des Printemps Arabes, des Indignés, des Anonymous et autres Wikileaks. En tant que spécialiste des mythologies appliquées au monde contemporain, Georges Lewi est sans doute le premier à proposer un décryptage en règle de cette nouvelle génération, avec un ouvrage et un point de vue surprenant : et si cette génération était celle des nouveaux Bovary ?

A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Les nouveaux Bovary : Génération Facebook, l’illusion de vivre autrement », Georges Lewi a accepté de répondre aux questions de Market Research News.

Market Research News : Après les générations X et Y, voici donc la génération Facebook que vous qualifiez de génération des « nouveaux bovary ». Mais au fait, qu’est-ce qu’une génération ?

Georges Lewi : Les sociologues considèrent qu’une génération est un laps de temps de quinze ans environ, avec une certaine homogénéité sur le plan historique, économique et sociologique. Si on se limite à ces 60 dernières années, nous avons donc eu la génération dite des «baby-boomers», née entre 1945 et 1950 et arrivée à maturité en 1968. Puis la génération X, née dans les années 1960 et dont la maturité coïncide avec le premier choc pétrolier et l’arrivée du chômage. Sont ensuite venus les Y, nés autour de 1975 et qui avaient donc une quinzaine d’années lorsqu’est tombé le Mur de Berlin. Et vient enfin notre fameuse génération Facebook, qui a donc entre quinze et vingt ans aujourd’hui, et qui est donc née entre 1990 et 1995. C’est cette génération qui a donné lieu à des mouvements de type Occupy, Les Indignés, les Printemps arabes, pour ne citer que les plus connus. Ce n’est pas la génération du web en tant que tel, mais c’est bien LA génération des réseaux sociaux, et notamment de facebook bien sûr.

Est-ce un enjeu si important d’étiqueter et de décrypter ainsi ces générations ?

En effet, je crois qu’il est essentiel de les comprendre. Parce que la succession de ces générations correspondent à autant de modifications significatives des sensibilités et des règles du jeu, celles que doivent intégrer à la fois les politiques, les responsables des ressources humaines des entreprises. Et bien sûr les marketeurs. Si l’on ne fait pas cela, on n’y comprend parfois plus rien. Pour ne prendre qu’un exemple, comment comprendre ces jeunes qui refusent régulièrement d’intégrer certaines grandes entreprises (non conformes à leurs aspirations) alors que le taux de chômage est si élevé ?! 

Quels sont donc les très grands traits qui caractérisent le mieux cette nouvelle génération ?

En comparaison avec les générations précédentes, il me semble voir trois traits majeurs. La première grande caractéristique est sans aucun doute l’importance cardinale accordée à la transparence. On retrouve là la prégnance des réseaux sociaux : on montre sa vie, on se dévoile et on attend de l’autre qu’il en fasse autant, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un collectif, d’une entreprise. C’est une génération qui joue du numérique, et a pris l’habitude de se mettre en scène. Cette exigence de transparence se traduit par des phénomènes comme Wikileaks, qui étaient impensables vingt ans en arrière.

Cela va de pair avec une demande d’équité, qui n’est pas l’égalité exigée parfois par leurs ainés soixante-huitards. L’équité est une  vision qui en appelle à une certaine cohérence, à de l’équilibre, à un certain bon sens, par exemple dans les différences de revenus entre les individus. Cette génération veut comprendre le monde, et elle est à la recherche d’une très grande cohérence.

C’est aussi une génération qui postule que chacun a droit à sa minute de gloire. Cela est lié à l’usage des réseaux sociaux : tout un chacun peut exprimer ses idées ou ses expériences, et celles-ci sont potentiellement susceptibles de bénéficier d’un écho considérable.

La transparence est donc le premier grand trait. Quel serait le second ?

C’est sans aucun doute la valeur du féminin. Depuis vingt ans, on dit que le féminin arrive. Mais là, nous y sommes. On le voit par exemple avec les Printemps Arabes, où se sont très souvent des femmes, des bloggeuses, qui ont été en pointe et fait bouger les choses.

Ce qui frappant, c’est que l’on trouve derrière cela une revendication assez pacifique. Les générations précédentes X et Y sont un peu des générations sacrifiées, qui se sont détournées des grands mouvements collectifs pour fonctionner selon des modes plus individualistes, où chacun essaye de tirer son épingle du jeu. Cette nouvelle génération retrouve une dimension collective et essaye d’imposer un autre mode de contestation, dénuée de violence ou d’agressivité. Elle est pacifique sans être passive.

Cette génération est-elle porteuse d’une vision alternative à la façon dont pourrait tourner le monde ?

Non, pas vraiment. C’est une génération de la résilience, qui a intégré que le monde dont elle hérite est en quelque sorte un peu « fichu », avec des crises tous les 3 ans, un chômage endémique, une mondialisation impossible à maitriser. Elle a compris cela, et décidé (avec cette illusion des réseaux sociaux) qu’elle s’en sortira quand même, mais par petits groupes. C’est une génération dont la nature est de fonctionner un peu en rizhome, avec des liens qui se tissent de façon assez souterraine. On revient à un modèle économique et social qui fait la part belle au local, avec des logiques assez primitives d’échange, de troc, et on se détourne du global. Il n’ont donc pas d’alternative globale, mais des alternatives qui passent par le groupe.

On a donc de la transparence. Du féminin. Quel serait le troisième grand trait de cette génération ?

C’est l’importance de la rencontre. Cela rompt avec la génération Y, qui était extrêmement individualiste voire égoiste. Cette rencontre se fait naturellement via les réseaux sociaux. Cela crée des vrais communautés, même si tout cela est encore en train de s’installer, avec le besoin croissant de fonctionner avec plusieurs réseaux plutôt qu’avec un seul. La rencontre amène à prendre en compte ce que l’on appelle la sérendipité comme une vraie valeur. C’est la vertu des hasards heureux, qui fonctionne très bien avec l’usage du web. Tout cela est porteur d’une ouverture au monde qui est peut-être sans précédent, et qui génère des attitudes très positives. Elle inclut aussi une forme de générosité, comme le traduit par exemple Wikipédia. Mais en même temps, puisqu’il y a rencontre, sérendipité, il y a donc le droit à l’erreur. C’est une valeur forte au sein de cette génération, et qui peut créer des hiatus étonnants par rapport au fonctionnement de la grande majorité des entreprises, qui font tout verrouiller les process.

Utiliser le terme de génération Facebook semble s’imposer naturellement. Mais pourquoi donc les nouveaux Bovary ? Et qu’est-ce que le bovarysme ?

Cette notion de bovarisme a été assez étudiée au début des années 1900, en particulier par Jules De Gauthier . En résumé, c’est le pouvoir de se croire autre que ce que l’on est. Si l’on transpose cela dans les mots d’aujourd’hui, cela revient à le définir comme être « à l’ouest » par rapport à sa propre vie. Mais d’autres, dont Lacan en particulier, font une lecture diamétralement opposée, et considèrent que le bovarysme est le propre de l’humanité. Le bovarysme, c’est le rêve. Et c’est bien le rêve qui fait avancer l’humanité, et qui fait pousser en permanence un peu plus loin les limites. On a bien affaire aujourd’hui à une forme d’illusion générationnelle et collective.

Pourquoi illusion, et pas espoir ?

Quand on est dans l’espoir, la probabilité de réussite est élevée. Pour cette génération, la probabilité d’aboutir à ce quoi elle rêve est quand beaucoup plus faible. Il y a bien un mélange de réalisme et d’illusion. Mais soyons clairs : l’idée de recréer un fonctionnement économique fondamentalement local, et ce principe de fonctionnement par rizhome semble quand même plus relever de l’illusion que de l’espoir… Il y a une chance sur dix ou sur cent pour que cela fonctionne. Face aux grandes entreprises en place, le pari d’une vraie économie reposant sur la multiplication de micro-entreprises me semble quand même loin d’être gagné. Mais je n’ai pas dit qu’il n’y aurait pas de gagnants !

C’est une génération romantique ?

Oui. Elle est néo-romantique, comme l’étaient les soixante-huitards. Mais ces derniers étaient porteurs d’alternatives, alors que cette génération apprend à marcher en marchant, avec ses paradoxes. Elle recycle des modes de fonctionnement qui relèvent d’une sorte de moyen-âge de l’économie, tout en refusant la décroissance. Elle ne refuse pas le marketing ni les marques, mais elle travaille à côté. Elle veut changer la vie plutôt que de changer le monde, en ayant fait le deuil de la possibilité d’une alternative globale.

Pour conclure, pouvez-vous nous citer quelques règles marketing importantes pour séduire ces nouveaux bovary ?

Cette génération se retrouve très bien dans ce que l’on appelle les « Pro-Am », des professionnels-amateurs. Cela correspond à une catégorie de consommateurs assez particulière, qui se renseigne de façon très pointue sur les produits et les marques, avec internet et les réseaux sociaux bien sûr. On ne peut certainement pas leur raconter n’importe quoi ! Ils veulent comprendre, ils veulent que le monde soit intelligible, marques et produits compris. La transparence et la cohérence s’imposent donc, ce qui peut poser de sacrés problèmes aux marques qui ne veulent pas ou ne peuvent pas tout dire. Si les gens de cette génération n’ont pas de réponse à leurs interrogations, ils deviennent activistes, et sont parfaitement susceptibles de déclencher des boycotts.  Elle demande enfin que la co-création soit reconnue, ce qui s’inscrit dans cette grande idée que tout le monde a le droit à sa petite minute de gloire.

A propos de l’auteur :

Georges Lewi est professeur (Celsa) et l’un des experts les plus réputés en stratégies de marques. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages consacrées à la marque dont Branding Management (qui vient d’être ré-édité) et Mythologie des Marques.


POUR ACTION

Découvrir le blog de l’auteur :  www.mythologicorp.com 

Acheter son dernier ouvrage « Les nouveaux Bovary : Génération Facebook, l’illusion de vivre autrement » (Editions Pearson).


Vous avez apprécié cet article ? N’hésitez pas à le partager !

CET ARTICLE VOUS A INTÉRESSÉ ?

Tenez-vous régulièrement informé de notre actualité et de nos prochains articles en vous inscrivant à notre newsletter.