2025 s’annonce comme une année charnière pour Ipsos, qui célèbre son cinquantième anniversaire tout en annonçant l’acquisition de The BVA Family. L’occasion était idéale pour faire le point avec Alexandre Guérin, CEO d’Ipsos bva, sur le sens stratégique de cette opération, la manière dont elle va se concrétiser, et les ambitions du leader du marché pour les années à venir. Il partage ici, en exclusivité pour Market Research News, son analyse du marché, sa vision et ses priorités.
MRNews : C’est fait ! La finalisation de l’acquisition de The BVA Family par Ipsos a été annoncée il y a quelques jours. Avant d’y revenir, un mot sur le contexte : le marché reste complexe, pas mal d’acteurs souffrent… Comment Ipsos traverse-t-il cette période ?
Alexandre Guérin (Ipsos France) : Le contexte Marché est effectivement difficile. En France, nous observons un ralentissement depuis la dissolution de juin 2024 et la mise en cause d’une partie des commandes publiques. Pour autant, les entreprises continuent de se poser énormément de questions, peut-être même plus que jamais, dans un environnement particulièrement incertain. Les besoins en études restent donc très forts. Ce qui change, en revanche, c’est la manière d’y répondre.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que notre marché traverse une crise existentielle. Mais il y a, c’est certain, un impératif d’adaptation. Et je suis très confiant dans la capacité d’Ipsos à relever ce défi — a fortiori avec la nouvelle configuration que représente ce rapprochement avec BVA. Cette alliance a beaucoup de sens : des expertises complémentaires, des professionnels passionnés et des offres solides de part et d’autre. Ensemble, nous renforçons notre taille critique, ce qui est un atout indispensable pour être une référence sur le marché.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que notre marché traverse une crise existentielle. Mais il y a, c’est certain, un impératif d’adaptation.
Le fondateur d’Ipsos, Didier Truchot, a qualifié cette opération de « logique » dans une interview accordée aux Échos. Est-ce aussi votre lecture ?
Alexandre Guérin : Oui, ce rapprochement est en effet logique à bien des égards. D’abord sur le plan structurel : taille, assise, capacité d’investissement… Mais aussi humainement et historiquement. Didier Truchot a démarré sa carrière avec Michel Brulé et Jean-Pierre Ville, les fondateurs de BVA. Ce sont deux belles aventures entrepreneuriales, avec beaucoup de points communs : une forte culture de l’expertise, une attention sincère à l’humain, et une raison d’être centrée sur la compréhension du monde. Quand on y regarde de près, les synergies sont évidentes.
Ce rapprochement est en effet logique à bien des égards. D’abord sur le plan structurel : taille, assise, capacité d’investissement… Mais aussi humainement et historiquement. Didier Truchot a démarré sa carrière avec Michel Brulé et Jean-Pierre Ville, les fondateurs de BVA. Ce sont deux belles aventures entrepreneuriales, avec beaucoup de points communs : une forte culture de l’expertise, une attention sincère à l’humain, et une raison d’être centrée sur la compréhension du monde. Quand on y regarde de près, les synergies sont évidentes
Sur le plan stratégique, l’acquisition renforce Ipsos dans plusieurs pays clés : la France bien sûr, mais aussi l’Angleterre — deuxième marché mondial — et l’Italie, où Doxa occupe une position majeure. En parallèle, cela nous permet de consolider certaines offres et de les faire rayonner à l’international. Je pense notamment à PRS InVivo, qui est leader des tests de packaging. Cette expertise est essentielle, dans un monde où les parcours d’achat se multiplient, notamment sur les canaux digitaux.
C’est un domaine dans lequel Ipsos était historiquement moins présent ?
Alexandre Guérin : C’est exact. Ipsos est historiquement très fort sur les tests de concept. En combinant cela avec l’expertise historique de BVA sur le packaging et l’activation retail, nous constituons un continuum très puissant. C’est une combinaison gagnante pour nos clients, que nous allons enrichir avec des investissements sur l’IA et la rapidité d’intervention. Et nous avons la capacité de la déployer à l’échelle mondiale, grâce à notre présence dans 90 pays. C’est un avantage stratégique unique.
Si l’on zoome sur la France, la complémentarité fonctionne également très bien. Ipsos est fort là où BVA l’est moins, et vice versa. Nous allons encore nous renforcer dans le champ des affaires publiques, qui reste un pilier essentiel. Mais aussi dans des domaines comme l’expérience client — y compris les visites mystères — où BVA excelle, notamment dans le secteur des services.
BVA apporte aussi une expertise reconnue sur les questions de mobilité et de transport, qui sont de plus en plus centrales. Ce sont des sujets stratégiques pour les années à venir, au même titre que la santé ou les médias, où nous allons également pouvoir avancer ensemble.
BVA s’est donné un bon cran d’avance dans le domaine des sciences cognitives. Quelle place cette expertise est-elle appelée à prendre ?
Très bonne question. L’impact des sciences cognitives chez BVA est triple. D’abord, il y a une équipe dédiée, qui conçoit et délivre des projets, avec une capacité à intervenir sur des sujets ciblés, à fort impact. Cela va bien sûr continuer. Ensuite, cette équipe Nudge a aussi pour mission de former nos researchers — un modèle que nous allons reprendre et, si possible, amplifier. Enfin, son rôle est également transversal : elle intervient en appui des autres équipes, que ce soit dans l’élaboration des questionnaires ou dans les phases d’activation. Cette articulation nous semble particulièrement précieuse et nous avons l’intention d’augmenter son impact.
Vous avez fait le choix d’associer les noms Ipsos et BVA. Pourquoi ne pas avoir opté pour un basculement complet sous la marque Ipsos ?
Le principe de combiner nos noms et logos s’est imposé très vite et naturellement. Il nous a semblé essentiel d’exprimer, auprès de nos clients comme de nos équipes, que nous unissons nos forces et nos expertises. Sur le plan juridique et financier, Ipsos acquiert BVA. Mais sur le plan opérationnel, Ipsos bva sera d’abord une entreprise portée par ses expertises, incarnées par les femmes et les hommes qui les font vivre. Ce message est central : nous voulons que cette combinaison crée davantage de valeur, plus de capacité d’action, plus de pertinence et plus d’impact pour nos clients que ce que pouvaient offrir séparément les deux sociétés. D’où un choix de nom qui reflète pleinement cette logique de complémentarité et d’union.
Ce message est central : nous voulons que cette combinaison (entre Ipsos et BVA) crée davantage de valeur, plus de capacité d’action, plus de pertinence et plus d’impact pour nos clients que ce que pouvaient offrir séparément les deux sociétés. D’où un choix de nom qui reflète pleinement cette logique de complémentarité et d’union.
Côté organisation, l’organigramme est-il déjà arrêté ?
Pas encore. Il reste des étapes à franchir. Après l’annonce de négociations exclusives, puis les phases de validation par les autorités de la concurrence, nous avons attendu le closing pour initier ce travail. Un nouveau comité de direction a été désigné et s’est déjà réuni plusieurs fois. Nous sommes désormais engagés dans la nomination des responsables de lignes de service et de l’organisation client, sachant qu’Ipsos fonctionne sur un modèle matriciel. Une concertation avec les instances représentatives du personnel se déroulera pendant l’été, pour une annonce officielle de la nouvelle organisation en septembre.
Si je suis un client historique d’Ipsos ou de BVA, vais-je désormais interagir avec une ou deux entités ?
Avec une seule entité. Mais nous sommes extrêmement attentifs à garantir la continuité des relations et des projets. Très concrètement, des binômes sont déjà opérationnels pour gérer les briefs et les projets, avec une organisation interne claire sur les rôles de chacun. Notre objectif est de rendre cette transition fluide et transparente pour nos clients, qu’ils souhaitent conserver leurs interlocuteurs habituels ou s’ouvrir à de nouvelles configurations. Plusieurs centaines de collaborateurs sont déjà mobilisés en ce sens, en lien direct avec les clients pour bien cerner leurs attentes et les éventuels points de vigilance. À mesure que l’organisation se mettra en place, nous proposerons à chaque client la meilleure combinaison possible, alliant connaissance de l’historique, compréhension de leurs enjeux et expertise ciblée. Notre objectif est simple : renforcer encore la valeur et l’impact que nous leur apportons.
À mesure que l’organisation se mettra en place, nous proposerons à chaque client la meilleure combinaison possible, alliant connaissance de l’historique, compréhension de leurs enjeux et expertise ciblée. Notre objectif est simple : renforcer encore la valeur et l’impact que nous leur apportons.
Venons-en à la stratégie d’Ipsos dans ce nouveau contexte. Vous aviez déclaré dans une précédente interview que la place d’Ipsos était « au centre du jeu ». Est-ce toujours le cas ? N’y a-t-il pas un risque « d’encerclement » par les acteurs du conseil et ceux de la technologie ?
Le conseil n’est pas notre métier. C’est une activité vaste et protéiforme, mais qui ne correspond ni à notre ADN ni à notre positionnement. Cela dit, les frontières du marché sur lequel nous évoluons deviennent de plus en plus poreuses. Il y a un marché “cœur”, historiquement celui d’Ipsos, et un marché “étendu”, qui inclut les technologies et sur lequel nous sommes désormais pleinement présents — avec Ipsos Digital par exemple, qui permet de commander une étude avec une carte bancaire, tout en pouvant bénéficier de l’expertise Ipsos, ou encore via Synthesio. Côté conseil, certains acteurs sont également présents sur des problématiques stratégiques comme les segmentations et l’expérience client, mais ce n’est pas nouveau.
Lire aussi > L’interview d’Alexandre Guérin (Ipsos) : « La place d’Ipsos est au centre du jeu »
Dans ce contexte, notre ambition est bien de rester au centre du jeu, en assumant notre statut de société d’études de marché… et en maximisant notre impact. Cette position centrale repose sur plusieurs piliers : la sécurité et la confiance que nous inspirons grâce à la véracité de nos données, qui est le fruit de process rigoureux et d’une stratégie d’intégration verticale engagée depuis très longtemps qui nous permet d’avoir la main sur toute la chaine de production des data. C’est aussi la pertinence de nos analyses et recommandations, clés pour nourrir les décisions. Ce sont des points forts essentiels, que nous n’allons certainement pas perdre. Mais, avoir plus d’impact sur les décisions en 2025, cela passe aussi par le timing et la vitesse d’intervention. Le marché le veut, il y a de la part des entreprises une exigence accrue de rapidité et de simplicité. Ce sont des points sur lesquels nous progressons tous les jours, mais nous devons encore aller plus loin.
Si nous parvenons à conjuguer vitesse, pertinence et confiance, je suis très optimiste quant à l’avenir d’Ipsos bva. Et plus largement pour celui de notre métier.
Avoir plus d’impact sur les décisions en 2025, cela passe aussi par le timing et la vitesse d’intervention. Le marché le veut, il y a de la part des entreprises une exigence accrue de rapidité et de simplicité. Ce sont des points sur lesquels nous progressons tous les jours, mais nous devons encore aller plus loin (…). Si nous parvenons à conjuguer vitesse, pertinence et confiance, je suis très optimiste quant à l’avenir d’Ipsos bva. Et plus largement pour celui de notre métier.
Cette question de la confiance et de la véracité des données ne se pose-t-elle pas dans des termes nouveaux du fait des avancées liées à l’IA, notamment avec les données synthétiques ?
C’est une question essentielle. Et elle ne concerne pas seulement l’IA. Prenons l’exemple des panels : un procès retentissant a récemment eu lieu aux États-Unis, mettant en lumière des cas de fraude. Nous avons notre propre panel, mais faisons aussi parfois appel à des fournisseurs externes. Or, nous en avons blacklisté plus de 200, que nous jugeons non conformes à nos standards. Ils peuvent travailler avec d’autres instituts ou des annonceurs, mais pas pour Ipsos bva.
Concernant l’intelligence artificielle, nous l’exploitons déjà largement, mais toujours avec une validation humaine. C’est un principe intangible. Sur les données synthétiques, les promesses sont nombreuses — parfois fantasmées. Il y a des cas d’usage intéressants, notamment dans la mesure d’audience, domaine dans lequel nous travaillons depuis plusieurs années. Mais nous avançons prudemment, en partenariat avec des institutions académiques comme l’Université de Stanford. Il faut une validation scientifique rigoureuse, et nous prendrons le temps nécessaire pour garantir cela.
Ce que je veux souligner, c’est que rien ne remplacera la qualité des données primaires. C’est un fondement trop souvent négligé dans les discussions actuelles. Le marché a besoin de références solides, et nos clients, d’un accompagnement fiable. C’est notre rôle d’assumer pleinement cette responsabilité.
Ce que je veux souligner, c’est que rien ne remplacera la qualité des données primaires. C’est un fondement trop souvent négligé dans les discussions actuelles. Le marché a besoin de références solides, et nos clients, d’un accompagnement fiable. C’est notre rôle d’assumer pleinement cette responsabilité.
Une dernière question : qu’est-ce qui, dans 5 ou 10 ans, vous fera dire que le projet Ipsos bva est une réussite ?
Ipsos et BVA sont déjà des références dans plusieurs domaines, notamment l’opinion publique. Nous sommes d’ailleurs leaders en part de voix. Mais cette notion de référence, nous devons encore la consolider avec nos clients, notamment autour des enjeux de rapidité et d’impact.
Notre secteur des études de marché a aussi besoin de regagner en confiance. Certaines postures me surprennent parfois par leur frilosité. Pourtant, je crois fermement en l’avenir. Oui, la technologie peut bousculer les choses, mais ce ne serait pas la première fois. Ipsos — et désormais Ipsos bva — a les valeurs, la vision et les capacités d’investissement nécessaires pour faire évoluer ses offres et ses méthodes de production. Et c’est cela, je pense, qui résonne aujourd’hui auprès de nos clients.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Alexandre Guérin