Alexandre Guérin - Directeur Général d'Ipsos France

« La place d’Ipsos est au centre du jeu » – Interview d’Alexandre Guérin, Directeur Général d’Ipsos France

30 Août. 2021

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Depuis avril, Ipsos France a à sa tête un nouveau Directeur Général, Alexandre Guérin. Un homme qui connait bien la maison et a exercé des responsabilités tant en France qu’aux États-Unis. Et dont la nomination intervient dans un contexte de crise, celle générée par la situation sanitaire, mais marqué également par une interrogation de fond de l’industrie des études marketing sur son devenir.
Quel est donc plus précisément son parcours ? Quelle stratégie souhaite-t-il mettre en œuvre ? Et quel type de patron veut-il être à la tête d’Ipsos France ? Ce sont les questions auxquelles il répond dans le cadre de cette grande interview exclusive pour les lecteurs de MRNews.

MRNews : Début avril, vous avez été nommé Directeur Général d’Ipsos France. Quelles sont les principales lignes de votre parcours, qui s’est en grande partie déroulé au sein de la maison Ipsos ? Et qu’est-ce qui fait courir Alexandre Guérin ?

Alexandre Guérin (Ipsos) : C’est exact, je suis en effet « Ipsosien » depuis maintenant 15 ans ! Ce qui donne la mesure de mon attachement à cette maison, mais aussi de la richesse des expériences que j’ai pu y vivre depuis mon arrivée. On me définit souvent comme un homme curieux – il doit y avoir au moins un peu de vrai là-dedans ! J’ai très tôt développé une forte appétence pour les autres pays et les autres cultures, sans doute liée au fait d’avoir passé un bon bout de mon enfance aux États-Unis et en Angleterre. J’ai fait une partie de mes études en Suisse. Puis, dans le cadre d’un stage chez Nestlé, je suis resté un an au Vietnam. Un peu plus tard, ma passion pour la plongée sous-marine m’a amené à faire le tour du monde pendant une année entière… Par ailleurs, j’ai toujours été intéressé par le marketing, les concepts, l’innovation. Je me sens naturellement attiré par cet univers…

Avant Ipsos, j’ai d’abord travaillé pour Unilever, mais j’ai très vite basculé dans le conseil, chez A.T. Kearney où j’ai passé 6 ans. Puis j’ai eu l’opportunité de rencontrer les fondateurs d’Ipsos, Didier Truchot et Jean-Marc Lech, par l’intermédiaire de Laurence Stoclet. L’affinité a été assez immédiate…

Quelles ont été vos différentes fonctions au sein d’Ipsos ?

J’ai démarré en tant que Directeur du cabinet du Président. Avec une réflexion à mener sur la façon de structurer notre offre et notre relation avec les grands comptes à l’international, et de répondre à leur besoin de cohérence. C’est ce qui nous a amenés à définir un modèle, celui de la spécialisation, avec des organisations matricielles. Les collaborateurs travaillent dans différents pays, mais pour une spécialité donnée. Ce modèle perdure encore aujourd’hui, et a été adopté par quelques-uns de nos concurrents. J’ai ensuite pris la direction financière d’une des dernières spécialités que nous avions créées, celle des Opérations Globales. Un des principaux challenges était de structurer notre offre d’access panels à l’échelle mondiale. Un travail remarquable avait déjà été mis en œuvre, mais nous devions passer à un stade plus industriel. Cela impliquait la nécessité de racheter des entreprises et de monter des équipes notamment dans la zone MENA et en Chine, ce qui m’a valu de refaire le tour du monde, à mon grand plaisir. J’ai également conduit l’intégration de Synovate sur la composante Opérations. C’était un enjeu important pour Ipsos, avec plusieurs milliers de personnes concernées. 

Ces différents chantiers étaient réellement passionnants. Mais, le contact avec les clients me manquait, ainsi que la réflexion sur les problématiques marketing…

C’est ce qui vous a mené à prendre la direction d’Ipsos Loyalty en France ?

Absolument. Cette nouvelle étape de mon parcours s’inscrivait dans un contexte très stimulant, avec l’émergence d’acteurs tels que Medallia et Qualtrics. Il nous fallait adapter notre positionnement, en nous appropriant cette logique de plateforme non pas en substitution, mais en complément de notre métier de researcher. C’est précisément le croisement entre cette composante « technologique » et notre mission d’accompagnement, d’activation, qui nous a permis de nous différencier sur le marché. Les choses se passant bien, on m’a proposé de poursuivre cette direction d’activité non plus en France, mais aux USA. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à New York, avec ma petite famille ! L’enjeu était bien sûr de développer le business, ce que nous avons fait, en rachetant notamment une société spécialiste de la qualité dans le domaine automobile. En complément de notre activité Customer Expérience / NPS, nous sommes ainsi devenus un acteur majeur du mystery shopping aux États-Unis. Ce domaine est plutôt traditionnel, mais nous avons intégré beaucoup d’innovations. Nous nous sommes appuyés sur le crowdsourcing pour recruter des consommateurs, avons développé des solutions d’observation via des outils de feed-back vidéo. Et nous nous sommes aussi investis sur la composante analytics, pour montrer à nos clients l’impact des actions Qualité sur les ventes. 

Après être resté 4 ans dans cette fonction, je suis devenu Chief Client Officer en 2018 dans le cadre du lancement du projet Total Understanding, toujours à New York. Cette expérience a été extrêmement structurante pour moi, et a beaucoup impacté ma vision de notre métier…

Pouvez-vous nous rappeler les lignes de force de ‘Total Understanding’ ?

Notre analyse au sein d’Ipsos est que le marché est en train de se transformer assez fondamentalement, au moins autour de trois grandes composantes. Nous faisons le constat d’une complexité croissante sur les enjeux de collecte des données, avec la nécessité de mettre en oeuvre des solutions de plus en plus spécifiques selon nos spécialités. Par ailleurs, on voit émerger de nouveaux interlocuteurs potentiels chez nos clients, en dehors des périmètres Etudes. Avec un besoin de feed-back consommateur encore plus continu et rapide, sur toujours plus de points de contact. Ma conviction est qu’il nous faut mieux affirmer la singularité de notre valeur ajoutée et la scientificité de nos approches. Définir quelles sont les meilleures sources, élaborer les bonnes hypothèses, construire les modèles les plus pertinents… Notre savoir-faire est essentiel dans le monde dans lequel nous évoluons ! Cette réflexion nous a amenés à repenser notre organisation et à renforcer notre spécialisation. Nous fonctionnons désormais avec 15 lignes de métier, chacune avec à la fois des équipes et des plateformes de collecte de données. Plateformes que nous développons nous-mêmes ou que nous rachetons, l’exemple de Synthesio étant très emblématique de cette logique. 

Le deuxième élément très directement visible de cette transformation porte sur l’organisation Clients. Nous avons constitué une équipe d’interlocuteurs extrêmement seniors, non plus seulement au niveau mondial comme c’était le cas précédemment, mais à l’échelle locale. En termes de profil, ce sont des personnes qui ont le plus souvent 15 à 20 ans d’expérience, à même de garantir la cohérence de notre offre. Mais aussi, de par leur excellente compréhension des besoins, d’aider les départements CMI à mieux émerger dans leur entreprise. 

En quoi cette expérience de CCO a-t-elle impacté votre vision du métier ?

Aux États-Unis, Ipsos travaille quasi exclusivement avec de très grandes sociétés. Et donc avec les GAFAM. Cela surprend souvent mes interlocuteurs, pour qui il est contre-intuitif que ces groupes aient besoin de nos services. N’ont-ils pas déjà toutes les données nécessaires à leur disposition ? En réalité, non. Ces sociétés sont parfaitement conscientes de l’atout que constituent leurs énormes banques de données. Elles savent comment les utiliser pour optimiser leur activité. Mais elles ont la maturité suffisante pour ne pas se limiter aux données de leurs seuls clients. Elles ont aussi besoin d’approches qualitatives, de systèmes d’études communautaires, d’analyses sémantiques… Et de benchmarks, qui sont absolument indispensables pour eux. Or c’est là qu’est la grande force d’Ipsos, qui est la société qui investit le plus au monde dans la collecte de ce type d’informations, que cela concerne les produits, les expériences ou les marques. Travailler avec les GAFAM oblige à changer d’échelle, que ce soit sur les aspects de volume ou de timing ; très vite, l’enjeu est de monter plusieurs dizaines de programmes un peu partout sur la planète. Le volume des données est tel qu’il impose d’intégrer l’intelligence artificielle et des couches de machine-learning. Mais si l’échelle change, cela ne remet absolument pas en cause les briques de base de notre métier. Il faut pouvoir collecter les bonnes informations, les plus fiables, avec les outils les plus adaptés. Et nous devons accompagner les clients, à la fois dans l’organisation et l’exploitation des datas, avec tout ce que cela suppose dans la compréhension des business et des besoins. Donc, en effet, cette expérience a été très structurante pour moi. Elle m’a ouvert les yeux sur les champs des possibles pour un acteur comme nous, et confirmé la spécificité de nos atouts.

Venons-en à la France. Comment se porte la maison Ipsos France, dans le contexte complètement fou que nous vivons depuis maintenant un an et demi ?

Elle s’est remarquablement comportée depuis le début de cette crise. 2020 a bien sûr été une année de décroissance, mais la France fait partie des pays qui ont le mieux résisté, que ce soit en termes de CA ou de marges. L’année 2021 démarre quant à elle extrêmement bien. Il y a à l’évidence un phénomène de « rattrapage », mais je crois néanmoins que le boom que nous enregistrons repose sur d’autres facteurs. Cela tient d’abord à la qualité et au niveau d’engagement des équipes, c’est évident. Mais cette crise a paradoxalement ouvert des opportunités. Elle a créé des besoins d’études dans les secteurs où l’activité a été boostée. Elle a également eu pour effet d’accentuer dans les entreprises le rôle des CMI, que les décideurs sollicitent pour mieux comprendre la situation et identifier les évolutions les plus vraisemblables. J’ajouterai enfin que nous avons profité de tout le travail engagé ces dernières années. À la fois pour proposer une nouvelle génération d’offres, et des plateformes à même de répondre à l’impératif d’agilité des entreprises. Et pour renforcer la scientificité de nos approches, en intégrant notamment les apports de l’économie comportementale. 

Quelles sont les grandes lignes de la stratégie à venir pour Ipsos ?

Nous devons prolonger ce travail de développement, en particulier autour de ces plateformes permettant d’automatiser les process d’études. Mais il est aussi impératif pour nous de répondre au besoin d’accompagnement, qui va désormais au-delà du seul périmètre des CMI. Le déluge des datas est une réalité pour les entreprises. Il y a donc un énorme impératif de synthèse et de mise en perspective des informations pour pouvoir éclairer et impacter les décisions. Or nos clients n’ont le plus souvent pas le temps de faire celui-ci, nous devons les y aider. 

Les data-sciences constituent un très gros enjeu pour nous. Nous l’adressons avec des collaborateurs qui, chez nous, travaillent derrière nos produits et nos offres. Mais aussi avec un autre profil de data-scientists, qui interviennent en fonction des problématiques ad’hoc de nos clients. Le champ est en réalité extrêmement large. Il s’agit dans certains cas d’augmenter la portée de nos études, pour des mesures d’audience notamment où il faut combiner des variables déclaratives et des comportements, et en dériver les meilleurs KPI. L’analyse des données non structurées avec les verbatims, les photos ou les vidéos constitue également un point important. La prédiction du churn — et la détection des opérations correctrices — en est un autre… Mais les cas d’usage sont en réalité de plus en plus complexes. Comment relie-t-on par exemple une segmentation ou une U&A avec un plan d’activation digital ? C’est le type de question que soulèvent nos clients…

Pour de nombreux observateurs, le grand challenge auquel sont confrontés les instituts d’études est de devoir faire face à une double concurrence. Le conseil d’un côté, et la technologie de l’autre – GAFAM compris -, qui permet aux entreprises d’accéder aux données à des coûts faibles ou nuls. Quelle est votre vision ? Êtes-vous confiant sur la capacité d’Ipsos à échapper à cette tenaille ?

Oui, je suis extrêmement confiant. Peut-être en partie parce que je connais assez bien le monde du conseil. Soyons clairs, les consultants des grands cabinets ont de vrais atouts. Ils savent appréhender les enjeux business, synthétiser, formuler des recommandations… Nous ne pouvons pas prétendre faire mieux qu’eux sur ces points. Mais, nous avons des compétences distinctives qui sont extrêmement difficiles à acquérir. J’en ai particulièrement pris conscience aux États-Unis, où l’on voit certains acteurs procéder à de grosses levées de fond pour ne faire que grappiller un peu de notre territoire. Les grandes entreprises ont besoin de comprendre les clients en mode holistique, et de pouvoir s’appuyer sur des données et des benchmarks fiables. Même les GAFAM ! Lorsque ces acteurs réalisent cela, notre activité explose !

Au fond, notre analyse est que la place d’Ipsos est d’être au centre du jeu concurrentiel. Cette position expose à des risques, nous devons donc être vigilant. Mais cela nous ouvre des opportunités considérables et nous permet de faire valoir la spécificité de nos expertises et de nos savoir-faire. Nous sommes de fait en situation de répondre à une immense variété de besoins. Ceux de nos clients bien sûr, mais également de certains acteurs de la technologie notamment, qui doivent trouver des partenaires. C’est vrai qu’au global, il y a beaucoup plus d’intervenants qu’auparavant, avec des dynamiques différentes. Le marché s’élargit et il est en mouvement. Mais nous aussi nous bougeons, et nous ne sommes pas prêts de nous arrêter !

« Notre analyse est que la place d’Ipsos est d’être au centre du jeu concurrentiel. Cette position expose à des risques, nous devons donc être vigilant. Mais cela nous ouvre des opportunités considérables et nous permet de faire valoir la spécificité de nos expertises et de nos savoir-faire ».

Quel est LE concurrent n°1 d’Ipsos ?

Je crois que nous ne pouvons plus raisonner ainsi, avec cette idée qu’il y aurait un concurrent principal… Il y a bien sûr d’autres acteurs globaux qu’Ipsos, mais ceux-ci suivent des logiques différentes de la nôtre. C’est le cas de Kantar en particulier, qui a récemment fait des choix assez drastiques avec une orientation plus industrielle. C’est vrai également pour GfK. Nous avons de notre côté la capacité à être présent sur quasiment tous les besoins d’études de nos clients, notamment en ad’hoc. Il y a bien sûr de très belles entreprises en France, mais Ipsos est bien placé, je pense, pour être confirmé dans un certain leadership.

Quel type de patron souhaitez-vous être à la tête d’Ipsos France ?

Je suis très attaché à la notion de collectif. Elle me semble particulièrement importante du fait de l’organisation de notre maison, notre logique de spécialisation pouvant générer un risque d’éparpillement. La crise sanitaire n’a fait qu’accroître celui-ci. Le télétravail, c’est bien, mais cela ne renforce pas le lien social. Nous devons donc remettre le collectif et la co-création entre équipes au cœur de nos modes de fonctionnement. C’est essentiel pour permettre à chacun de prendre conscience de ce que nous faisons ensemble, être inspiré et avoir une réflexion sur son propre parcours. Mais aussi parce que les besoins de nos clients sont de plus en plus complexes, et que les bonnes réponses passent par la co-création.

J’aspire enfin à porter haut et fort pas seulement Ipsos, mais également notre industrie. Celle-ci manque parfois de confiance en elle, d’assertivité. Si je peux contribuer à changer ça ne serait-ce qu’un peu, j’aurai fait œuvre utile.

Une dernière question. Je sais que vous êtes amateur de course de fond. Cela a un impact sur votre mode de management ?

Ah oui, la course à pied, c’est important pour moi ! Pour le contact avec la nature, avec le trail tel que j’ai pu le pratiquer aux États-Unis. Ou bien pour les ambiances dans les compétitions organisées dans les grandes villes, comme les 20 kms de Paris par exemple. C’est aussi une discipline, qui oblige à être clair sur l’objectif, et à tout faire pour y arriver. Donc oui, c’est certainement une bonne école de management !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Alexandre Guérin

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