DOSSIER DU MOIS

# Les études exploratoires : outil d’un autre temps ou levier à réinventer ?

"L’IA donne des ailes aux études quali exploratoires"

Daniel Bô
PDG de QualiQuanti

20 Juin. 2025

Daniel Bô, PDG de QualiQuanti

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Pour Daniel Bô (QualiQuanti), l’intelligence artificielle démultiplie la puissance des études exploratoires, et plus largement aux approches qualitatives à grande échelle. Elle ouvre la voie à ce qu’il qualifie d’« archéologie sociale augmentée », avec de nombreux avantages y compris sur les plans budgétaires et opérationnels. À condition, bien sûr, d’éviter certains pièges. Il partage ici sa vision dans le cadre de cette interview.

MRNews : Quelles évolutions vous semblent les plus notables du côté de la demande des entreprises pour des études exploratoires ? Et d’abord, ce terme est-il utilisé à bon escient ?

Daniel Bô (QualiQuanti) : Le terme « étude exploratoire » désigne une démarche ouverte, inductive, tournée vers la compréhension et l’émergence d’insights. Ce n’est pas une étude « confirmatoire » ; on ne cherche pas à valider une hypothèse, mais à mieux comprendre un sujet, une cible, des comportements. L’approche est généralement itérative, hybride. Elle sert à défricher un terrain et à alimenter une réflexion stratégique.

La demande est souvent implicite, les entreprises utilisant peu le mot « exploratoire ». Pourtant, elles attendent bien une forme d’immersion, d’inspiration, pour ouvrir le champ des possibles. Ce qui évolue, ce sont les approches. Celles-ci sont plus agiles, plus visuelles, hybrides et numériques. L’enjeu, côté institut, est d’assumer cette ouverture, tout en structurant la démarche pour qu’elle produise une matière dense et actionnable. Et beaucoup d’études, comme les bilans d’offre sont des opportunités pour mener des exploratoires.

La demande est souvent implicite, les entreprises utilisant peu le mot « exploratoire ». Pourtant, elles attendent bien une forme d’immersion, d’inspiration, pour ouvrir le champ des possibles. Ce qui évolue, ce sont les approches. Celles-ci sont plus agiles, plus visuelles, hybrides et numériques.

Quels sont vos partis-pris pour que ces approches exploratoires génèrent la plus grande Valeur Ajoutée possible ?

Notre première conviction est l’importance clé de la masse critique des données, qu’elles soient observées, collectées ou provoquées. Dans l’ouvrage Big Quali paru en 2022, nous partageons une réflexion en vidéo sur les données qualitatives à grande échelle. Le digital et le recueil massif des données non structurées — photos, vidéos — ont enrichi notre manière de faire. On travaille dans la durée sur des corpus plus vastes et variés, avec des formats plus visuels et participatifs. 

Notre seconde conviction est l’intérêt de la diversité des données. La multiplicité des échelles d’observation recommandée par le sociologue Dominique Desjeux est essentielle. Pour une étude sur le vrac, nous avons utilisé plus d’une vingtaine de focales. Nous sommes des adeptes de l’approche macroscopique, une démarche systémique popularisée par le prospectiviste Joël de Rosnay. Pour décrypter la complexité, il faut à la fois un télescope et un microscope.

Notre première conviction est l’importance clé de la masse critique des données, qu’elles soient observées, collectées ou provoquées (…). La seconde est l’intérêt de la diversité des données. La multiplicité des échelles d’observation recommandée par le sociologue Dominique Desjeux est essentielle.

Avez-vous sensiblement fait évoluer votre pratique des études exploratoires ces dernières années ? En quoi ? 

Nous avons mis en place un mix méthodologique qui répond à beaucoup de besoins exploratoires. Le dispositif que nous avons utilisé pour comprendre le potentiel des substituts végétaux de la viande me semble emblématique de cette démarche. Nous avons combiné une veille documentaire avec analyse culturelle, une enquête de recrutement quali-quanti, un forum pendant 10 jours avec 15 participants incluant de l’auto-ethnologie (visite de magasins, tests de produits) — et une web-discussion finale en visio. Ce mix méthodologique donne ainsi la possibilité de faire le tour du sujet en associant observations et retour d’expériences, individuel et collectif, longitudinal et synchrone, verbatims, photos et vidéos.

Pour un budget autour de 20K€, ce dispositif a permis de capter les perceptions actuelles de la viande et de ses alternatives, d’identifier les leviers et freins à la consommation, les attentes produits, les arguments de communication… et aussi de tester des exemples comme le Beyond Burger. Nous avons ainsi pu cartographier les rapports à la viande et détecter les conditions pour que les substituts végétaux s’imposent.

Avez-vous apporté d’autres évolutions importantes ? 

Depuis 2018, nous avons beaucoup travaillé sur les modes de restitution de ces études. Notamment avec des livrables hyper illustrés, qui reprennent des principes journalistiques et de reportages visuels, en insérant des enregistrements de la vision des experts via des slidecasts, et en proposant des présentations d’étude en vidéo archivables. Les approches exploratoires produisent une expertise riche, qui peut donner lieu à des études en souscription, publications, livres blancs ou conférences. Dans cette page du futur site de QualiQuanti, nous partageons quelques exemples.

Depuis 2022, dans les rapports d’étude, nous prévoyons systématiquement un accès à l’ensemble des données recueillies et analysées : la veille documentaire décryptée, l’enquête de recrutement, les transcriptions et analyses des réunions et des forums…. 

Le dernier changement c’est l’Intelligence Artificielle… L’IA donne littéralement des ailes aux études quali exploratoires et aux approches qualitatives à grande échelle. C’est le sujet du livre blanc que nous actualisons régulièrement.

Le dernier changement c’est l’Intelligence Artificielle… L’IA donne littéralement des ailes aux études quali exploratoires et aux approches qualitatives à grande échelle. C’est le sujet du livre blanc que nous actualisons régulièrement.

L’intégration de l’IA dans votre « boite à outils » change-t-elle la relation avec vos interlocuteurs ? Ou même plus largement votre métier ? 

L’analyse en continu des retours consommateurs grâce à l’IA favorise un échange régulier avec le commanditaire. Pour les forums ou communautés, nous pouvons livrer des résultats analysés avec seulement deux jours de décalage par rapport au terrain tout au long de l’étude. Lors d’une exploration de la marque employeur composée de 20 entretiens, nous avons fourni une analyse intermédiaire très détaillée sur la base des dix premiers interviews. 

L’IA invite à faire des livrables avec deux niveaux de lecture. D’une part des documents de travail exhaustifs, objectifs et systématiques avec la totalité du terrain classé et analysé avec l’aide de l’IA. D’autre part, des synthèses à haute valeur ajoutée créative, culturelle et humaine. 

Quels sont les principaux pièges à éviter dans l’usage de l’IA pour ce type d’études ?

J’en vois quatre. Le premier piège avec l’IA est le fameux « garbage in, garbage out ». Si l’on nourrit l’IA avec des données pauvres, mal structurées ou trop homogènes, elle produira des résultats tout aussi limités. Pour espérer un « good out », il faut un véritable travail de « good in ». Et donc sélectionner, nettoyer et structurer les données à analyser. D’où l’importance du terrain, en veillant à une sélection pointue des participants, à la qualité des questions et des stimuli injectés. L’auto-administré est formidablement classé par l’IA, mais à condition de lui soumettre une masse critique de réponses et qu’il y ait une vraie richesse d’expression. 

Si l’on nourrit l’IA avec des données pauvres, mal structurées ou trop homogènes, elle produira des résultats tout aussi limités. Pour espérer un « good out », il faut un véritable travail de « good in ».

Le second piège à éviter est le manque de transparence. Les clients doivent savoir précisément pour quels livrables et pour quelles tâches l’IA est utilisée. Nous proposons des documents de travail, constitués du terrain consommateur et de synthèses IA, distincts de la synthèse détaillée produite avec des moyens humains. Il faut donc du travail humain de haute qualité en amont et en aval de l’IA.

L’’IA boîte noire et les solutions IA fournissant des rapports automatiques me semble être un troisième piège à prendre en compte. Il est plus pertinent de construire une série d’agents et de protocoles, que l’on élabore et améliore en interne. L’humain, qui dialogue avec l’IA, doit être conscient des différents traitements qu’il génère, et pouvoir contrôler le rendu à chaque étape. Avec l’IA, on est dans l’expérimentation permanente, il importe donc de toujours être à la fois vigilant et curieux. 

L’’IA boîte noire et les solutions IA fournissant des rapports automatiques me semble être un troisième piège à prendre en compte. Il est plus pertinent de construire une série d’agents et de protocoles, que l’on élabore et améliore en interne.

Et le quatrième ?

La sous-utilisation de l’IA est un vrai piège à éviter. J’encourage vos lecteurs à se former et à pratiquer très régulièrement, de préférence avec les versions payantes. Parmi la cinquantaine de conférences et de formations que j’ai suivies sur l’IA, je recommande l’événement organisé par We Are sur « l’IA dans la création » et la série de conférences élaborée par HEC alumni sur « l’IA et l’avenir du conseil ». Je rêve qu’on puisse transposer cet événement au secteur des études.

Voyez-vous enfin des derniers conseils à apporter aux équipes des annonceurs pour « réussir » leurs études exploratoires ?

Il faut choisir des instituts qui ont le goût pour les explorations en profondeur. Et être prêt à collecter une grande diversité et quantité de données, en privilégiant des méthodologies mixant une multitude d’approches. Il importe également de laisser des marges de manœuvre à l’institut. Les démarches exploratoires ont une durée de vie bien supérieure à celle des tests opérationnels, et permettent de mieux capitaliser sur les connaissances acquises. Il faut certes mettre un peu plus de budget, mais il est possible de mener des exploratoires avec des moyens frugaux. 

Il faut choisir des instituts qui ont le goût pour les explorations en profondeur. Et être prêt à collecter une grande diversité et quantité de données, en privilégiant des méthodologies mixant une multitude d’approches. Il importe également de laisser des marges de manœuvre à l’institut

Le dernier conseil que j’ajouterai est de ne pas se contenter des rapports de synthèse. À l’heure où l’IA synthétise des documents complexes, les entreprises ont intérêt à récupérer toutes les données qualitatives issues du terrain de l’étude. Ces données pourront être remobilisées pour générer de nouveaux résultats.

Auriez-vous une image pour résumer la promesse des études exploratoires ?

Je dirai l’archéologie sociale augmentée en écho à l’ouvrage Big Qual, publié en 2023 par des universitaires britanniques, dont voici une présentation. Ce livre, à partir de la métaphore archéologique (relevé aérien, géophysique, sondage exploratoire, fouilles profondes), explicite l’intérêt d’une analyse en largeur et en profondeur des données qualitatives.

Il faut pouvoir passer des études qualitatives artisanales aux études à grande échelle (Big Qual ou Big Quali) sans tomber dans les études qualitatives industrielles, que génèrent certains outils IA.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Daniel Bô

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

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