Nous avons publié il y a quelques jours le classement des marques préférées des Français. Nous vous proposons cette fois-ci de franchir l’Atlantique, et de nous intéresser à ce qui se passe au Canada. Et ce avec les résultats de l’étude Réputation, une investigation de très grande envergure — avec 38 000 personnes interrogées ! — et réalisée depuis maintenant 28 ans par la firme Léger.
Son directeur, Eric Chalifoux, répond aux questions de Market Research News pour commenter le palmarès de cette édition 2025.
MRNews : Vous avez rendu publics il y a quelques semaines les résultats de l’édition 2025 de votre étude Réputation. En quoi consiste plus précisément celle-ci ? Sur quelle méthodologie s’appuie-t-elle ?
Eric Chalifoux (Léger) : La vocation de cette étude est d’être la référence pour ce qui est de la réputation des entreprises au Québec et plus largement au Canada. Nous la réalisons depuis 28 ans, avec des méthodes d’archivage des données qui ont bien évolué au fil du temps et heureusement ! (rires). Mais cet historique est aussi une des grandes forces de cet outil, d’autant que nous posons depuis le début la même question centrale. Nous demandons simplement aux gens de nous indiquer s’ils ont une bonne ou une mauvaise opinion d’une entreprise, ou si éventuellement ils ne la connaissent que peu ou pas du tout. Le score des marques, qui nous permet d’établir un palmarès, est défini en prenant le solde entre les bonnes et les mauvaises opinions. Nous proposons ensuite aux individus qui connaissent les marques de les évaluer sur un certain nombre de critères, notre modèle exclusif reposant sur 6 grands piliers.
Nous avons réalisé le recueil, comme habituellement, sur les dernières semaines de l’année n-1, de mi-novembre à fin janvier. Et ce auprès de 38 000 individus pour plus de 300 entreprises dans 30 secteurs d’activités au Canada. Cela nous permet d’assurer la solidité des mesures, mais aussi une très forte granularité des résultats.
Votre question centrale est somme toute très comparable à celle utilisée dans le cadre de cette étude dont nous avons partagé les résultats sur les marques préférées des Français. On peut imaginer qu’elle ne favorise pas les marques quelque peu « clivantes » ?
En effet, nous mesurons une forme d’attachement aux entreprises et donc à leurs marques. Apple par exemple fait partie de ces marques qui sont aimées par certains, mais souvent détestées par les utilisateurs des produits concurrents. Ce qui explique qu’elle soit proche de la 60e position dans notre classement, alors même que leur valeur boursière est fantastique. Notre mesure est simple, et permet une lecture elle aussi simple, directe.
Lire aussi > Quelles sont les marques préférées des Français en 2025 ? – Résultats d’études
Le palmarès 2025 est-il marqué par de grosses surprises ?
Un des résultats les plus spectaculaires est une chute. En l’occurrence celle d’un acteur local extrêmement important, Postes Canada, qui perd -40 points en une année. Mais ce n’est pas vraiment une surprise. Cet énorme recul, un des plus frappants depuis que notre étude existe, est très directement lié à une grève intervenue l’automne dernier, et au retard accumulé dans la livraison des colis, notamment pendant les Fêtes. Il est très emblématique de la fragilité des images des marques. Remonter la pente n’est pas rigoureusement impossible, nous avons pu le constater avec le redressement de Desjardins il y a quelques années. Mais cela demande du temps et un investissement humain et financier considérable. Il faut donc tout faire pour éviter des accidents de ce type.
Un des phénomènes les plus marquants est la présence de Costco à la première place, qui permet aux consommateurs de tirer leur épingle du jeu dans un contexte de hausse du coût de la vie. Mais aussi celle de deux grandes marques internationales comme Sony et Samsung dans le Top 10. Elles sont même respectivement à la seconde et troisième place, Samsung ayant rejoint Sony qui était déjà dans le haut du classement l’an dernier. Cette très bonne performance s’explique très vraisemblablement par l’assurance de qualité et de fiabilité que représentent ces deux marques. On appuie sur un bouton, et ça fonctionne. Et ce sont des marques japonaises et non américaines !
Voyez-vous d’autres grandes tendances de fond se dégager ?
Un phénomène se confirme en effet d’année en année… Même les marques qui font partie du top 10 voient leurs scores s’éroder progressivement. Dit autrement, les meilleurs sont de moins en moins bons ! Et peinent à avoir des scores au-delà de la barre des 80. L’adhésion d’une masse critique de citoyens/consommateurs aux différents réseaux sociaux en est la principale raison, selon nous. Ce sont autant de tribunaux potentiels pour juger les entreprises. Il y a toujours quelqu’un, à tout moment, qui peut critiquer leurs actions, et les réseaux ont un rôle d’amplificateur, exposant ainsi les entreprises à des cycles d’attention plus courts, plus volatils… et souvent plus sévères ! La mécanique d’antan, où ces dernières pouvaient contacter les journalistes des médias établis pour s’expliquer, n’est plus vraiment efficiente. Cela constitue un changement majeur de paradigme, la gestion de la réputation sur ces réseaux est devenue un compartiment du jeu particulièrement important.
Un phénomène se confirme d’année en année… Même les marques qui font partie du top 10 voient leurs scores s’éroder progressivement. Dit autrement, les meilleurs sont de moins en moins bons ! (…). L’adhésion d’une masse critique de citoyens/consommateurs aux différents réseaux sociaux en est la principale raison, selon nous.
Les marques peuvent-elles agir face à ce phénomène ? Ou bien est-ce peine perdue ?
La tendance est là. Mais ce n’est pour autant pas une fatalité. Les marques peuvent et doivent réagir, de différentes façons, et d’abord en prenant la parole régulièrement et authentiquement. Une entreprise qui se tait est une entreprise vulnérable. Sur les réseaux sociaux, le silence laisse le champ libre aux mauvaises langues. Il faut donc occuper le terrain avec une voix positive, cohérente, transparente et incarnée. Réagir vite, mais avec sens est aussi une clé majeure. Les marques ne peuvent plus se permettre de laisser traîner leur réputation dans la boue virtuelle, mais elles ne doivent pas non plus répondre dans la précipitation. Une réaction empathique, claire et alignée sur leurs valeurs vaut toujours mieux qu’un message générique ou défensif. Il importe également de privilégier les gestes concrets plutôt que les grandes promesses : les consommateurs, surtout les plus jeunes, veulent des preuves. Une marque qui montre ce qu’elle fait —environnement, inclusion, gouvernance — plutôt que ce qu’elle promet gagne en crédibilité. Par ailleurs, être localement pertinent est une nécessité pour les multinationales. Une stratégie mondiale peut s’essouffler si elle n’est pas adaptée ou incarnée dans le contexte culturel et social local. L’adhésion réputationnelle se joue souvent dans le détail, dans la proximité, dans la capacité à « parler la langue » — au sens propre comme au figuré.
J’ajouterai un dernier point qui me semble clé : il faut assumer ses contradictions. Aucune entreprise n’est parfaite. Celles qui reconnaissent leurs torts, leurs défis ou leurs dilemmes publics renforcent la confiance de l’opinion publique. La vulnérabilité assumée, si elle est suivie d’actes, devient un levier de réputation qui s’est avéré dans des cas concrets.
Donc en résumé, non, ce n’est pas peine perdue. Mais le modèle de gestion de la réputation hérité des années 2000, fondé sur le contrôle de l’image et la rareté des prises de parole, ne fonctionne plus. Aujourd’hui, la réputation se construit dans la cohérence, l’exposition contrôlée, la réactivité et le dialogue.
Le modèle de gestion de la réputation hérité des années 2000, fondé sur le contrôle de l’image et la rareté des prises de parole, ne fonctionne plus. Aujourd’hui, la réputation se construit dans la cohérence, l’exposition contrôlée, la réactivité et le dialogue.
Quid des entreprises américaines ? Leur image n’a-t-elle pas souffert depuis le retour de Trump à la présidence ?
Excellente question !! La collecte des données pour notre étude Réputation s’est achevée le jour-même de son investiture. Mais nous nous sommes dit en effet que cela serait vraiment intéressant de retourner sur le terrain, ne serait-ce que pour mesurer l’évolution de l’image de certaines grandes marques américaines. Et c’est ce que nous avons fait. Cette vague complémentaire a bien confirmé nos hypothèses, beaucoup de ces entreprises dont les patrons ont affiché leur soutien à Donald Trump ont subi des baisses catastrophiques. C’est particulièrement le cas pour Tesla, avec -51 points de perdus en quelques mois seulement, ce qui est énorme. Mais cette débandade a aussi affecté des fleurons US comme Amazon et Méta. Google a perdu des points, et n’aurait plus sa place dans le top 10, mais elle a un peu mieux résisté. De même que les grands manufacturiers automobiles, dont les dirigeants ont exprimé leur désaccord quant à la politique de taxes douanières impulsée par Trump.
Cette vague complémentaire (que nous avons mise en oeuvre) a bien confirmé nos hypothèses, beaucoup de ces entreprises dont les patrons ont affiché leur soutien à Donald Trump ont subi des baisses catastrophiques (…). L’étiquette « Made in America » est désormais devenue un handicap au Canadac
Cela montre que l’opinion publique n’est absolument pas déconnectée des enjeux politico-économiques. Les gens « suivent la partie » comme on dit chez nous, et ne sont pas dupes de certains discours. Moralité, l’étiquette « Made in America » est désormais devenue un handicap au Canada.
Une dernière question enfin sur les marques françaises. Quelle est leur performance dans votre étude Réputation ?
Trois marques françaises internationales sont présentes dans notre sondage : L’Oréal, Danone et Décathlon. Mais cette dernière n’est pas présente sur l’ensemble du territoire canadien, ce qui fait qu’elle ne figure pas dans notre classement. L’Oréal est à la 88e place, et Danone à la 46e. Elles ne recueillent qu’un très faible taux d’opinions négatives. Mais l’une et l’autre n’ont qu’une notoriété assez modeste, du fait certainement qu’elles mettent beaucoup en avant leurs marques filles. Cela limite donc leur capacité à briller dans le haut du tableau.
POUR ACTION
- Echanger avec l’interviewé(e) : @ Eric Chalifoux
- Pour en savoir plus sur l’étude Réputation et pour voir les résultats complets cliquez ici : Réputation – Léger (leger360.com)