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« Les plateformes de marque deviennent de vraies boussoles pour les entreprises » – Interview d’Aurélie Plessier (Labbrand)

26 Mai. 2025

Interview d'Aurélie Plessier, Directrice Générale Labbrand France

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Vu de loin, on pourrait penser que la réflexion et les approches déployées sur les enjeux de marque sont relativement immuables. Mais, à y regarder de plus près, on observe des évolutions notables, révélatrices de transformations plus larges et de changements des règles du jeu extrêmement importantes à prendre en compte pour les entreprises et leurs équipes. C’est ce que nous vous proposons de découvrir avec cette interview d’Aurélie Plessier, qui dirige la filiale française de Labbrand, une agence internationale spécialiste de ces sujets. Elle y partage également les convictions clés qui structurent les interventions de son équipe.

MRNews : Vous dirigez Labbrand France, un spécialiste des enjeux de branding. Quelles évolutions vous semblent les plus remarquables ces dernières années dans les besoins des marques ?

Aurélie Plessier (Labbrand) : Nous observons plusieurs évolutions, notamment dans la diversité des interlocuteurs avec qui nous travaillons.La première porte sur la place de la marque. L’idée s’est clairement installée que ce sujet ne concerne pas exclusivement les départements Marketing ou Communication, mais quasiment tout le monde dans l’entreprise, y compris les Ressources Humaines, la R&D… Les comités de direction s’y penchent de plus en plus, tout comme les Directions Financières, qui considèrent désormais la marque comme un véritable actif. De ce fait là, la réflexion est bien moins cloisonnée qu’elle ne l’était par le passé, où la marque pouvait être éclatée avec le corporate d’un côté, le commercial de l’autre… Aujourd’hui, il y a une volonté de cohérence globale autour d’une seule et même marque, avec ses multiples enjeux : communication externe, interne, business…

La réflexion est bien moins cloisonnée qu’elle ne l’était par le passé, où la marque pouvait être éclatée avec le corporate d’un côté, le commercial de l’autre… Aujourd’hui, il y a une volonté de cohérence globale autour d’une seule et même marque, avec ses multiples enjeux : communication externe, interne, business…

Comment cela se traduit dans les briefs ?

Lorsqu’on travaille sur un positionnement de marque, plusieurs grandes problématiques reviennent régulièrement dans ceux-ci. Une des questions clés est de savoir ce que la marque « a dans le ventre ». Il faut appréhender ce qu’elle porte en elle, l’interrogation étant de déterminer ce que l’on peut faire avec elle, jusqu’où on peut la ‘stretcher’. Une seconde grande question est celle du « ménage » qu’il est possible de faire. Nous observons chez nos clients une tendance à rationaliser leur portefeuille de marques. Nadège Depeux, qui dirige notre entité naming, décrit ce phénomène comme un possible passage à « l’ère des marques durables ». Si on remonte à quelques années en arrière, les changements de nom étaient fréquents, ou bien on créait des marques filles, en s’autorisant à se disperser un peu. Aujourd’hui, le réflexe dominant des entreprises est de capitaliser sur leurs marques, ce qui est une bonne nouvelle  (vs l’ère du jetable) ! Mais cela suppose d’avoir une vraie clarté stratégique sur ce qu’on peut et doit en faire. L’importance prise par les réseaux sociaux, mais aussi le durcissement du business et du jeu de la distribution ont probablement un rôle dans ces évolutions.  

Une des questions clés est de savoir ce que la marque « a dans le ventre ». Il faut appréhender ce qu’elle porte en elle, l’interrogation étant de déterminer ce que l’on peut faire avec elle, jusqu’où on peut la ‘stretcher’.

Le constat n’est-il pas que les enjeux stratégiques prennent plus de place ? 

Absolument ! Après des années passées à l’affut des dernières tendances technologiques et de ce qui pouvait advenir sur les réseaux sociaux, les équipes des marques reviennent à des interrogations stratégiques de fond. Ce sont des sujets qui nous parlent, et qu’on adore faire avancer avec nos clients. Mais il y a aussi ce changement clé, passionnant, le fait que le travail sur les plateformes de marque ne se limite pas au sujet de la communication, mais intègre l’innovation et les offres. C’est très visible dans les briefs. La plateforme de marque devient ce qu’elle doit être, la boussole de l’entreprise, elle donne le cap pour embarquer l’innovation et les équipes. Qu’est-ce que je fais demain ? Comment je valorise ce que je suis et ce que j’ai à offrir ? Ces interrogations sont essentielles et même brulantes dans un contexte de tension sur le pouvoir d’achat. Pourquoi les gens achèteraient-ils ma marque plutôt qu’une autre ? Une marque qui ne sait pas bien répondre à cette question peut vite se retrouver en difficulté….

Il y a aussi ce changement clé, passionnant, le fait que le travail sur les plateformes de marque ne se limite pas au sujet de la communication, mais intègre l’innovation et les offres. C’est très visible dans les briefs. La plateforme de marque devient ce qu’elle doit être, la boussole de l’entreprise, elle donne le cap pour embarquer l’innovation et les équipes.

Les enjeux de perception de la marque par les équipes en interne prennent du coup une importance considérable. Cela nous amène à beaucoup travailler la marque en mode «miroir », en croisant la vision des clients et celle des collaborateurs. Et en intégrant ainsi les aspirations de ces derniers.

Ces évolutions côté annonceurs ne se retrouvent-elles pas dans les réflexions des spécialistes et des « théoriciens » du branding ? 

Peut-être. Il me semble qu’il est moins question que par le passé de la notion de Purpose, au sens d’une vision très haute de la marque sur le monde. Les interrogations se sont déplacées vers les enjeux de transformation et tout simplement sur le rôle de la marque. Comment peut-elle contribuer à transformer positivement la vie des gens ? 

Les interrogations se sont déplacées vers les enjeux de transformation et tout simplement sur le rôle de la marque. Comment peut-elle contribuer à transformer positivement la vie des gens ? 

De plus en plus d’acteurs prennent de la distance avec le modèle start-up, et on observe chez nos clients des approches beaucoup plus structurées. L’innovation est toujours présente, omniprésente même, y compris dans des secteurs comme l’alimentation par exemple… Mais les approches me semblent plus structurées. Il y a dix ans, dans les workshops d’innovation, la réflexion pouvait vite fuser dans tous les sens. Aujourd’hui, on cadre beaucoup plus, en repartant de la stratégie de la marque et de l’entreprise. Et c’est tant mieux !

Quelles sont les grandes convictions de Labbrand, les plus différenciantes peut-être, pour travailler sur ces sujets de marque ?

Le point que nous venons d’évoquer en fait clairement partie. Connecter plus qu’étroitement le sujet de l’innovation avec celui de la marque nous semble un élément essentiel pour contribuer aux succès de nos clients. Il y a aussi chez Labbrand un parti-pris très fort de cadrage, et de s’appuyer sur des méthodes. Nous en avons défini près de 30 ! C’est sans doute une forme d’héritage de notre fondateur, Vladimir Djurovic, qui est Centralien de formation. Je précise cependant que ce nombre est lié au fait que nous travaillons beaucoup à l’international, avec la nécessité de tenir compte de contextes différents. Et à la diversité de nos métiers puisque nous intervenons, outre la stratégie de marque et les études, sur des chantiers de design de marque et de naming. Je dois néanmoins ajouter que ces méthodes ne sont surtout pas des cadres rigides, mais plutôt des façons de capitaliser sur notre expérience et de délivrer ce que nous souhaitons apporter. Nous réalisons en réalité beaucoup de projets ad hoc. Myriam Dilmi, qui dirige les études chez nous, dit parfois et à très juste raison que nous sommes des fans de haute couture, en ce sens que nous tenons toujours à être très précis dans nos réponses aux besoins de nos clients. 

Connecter plus qu’étroitement le sujet de l’innovation avec celui de la marque nous semble un élément essentiel pour contribuer aux succès de nos clients. Il y a aussi chez Labbrand un parti-pris très fort de cadrage, et de s’appuyer sur des méthodes. Nous en avons défini près de 30 !

L’idée de travailler beaucoup en miroir entre l’interne et l’externe, nous l’avons évoqué, est aussi un de nos grands partis-pris. De même que l’ancrage dans la réalité des offres. Quand nous intervenons pour un client, nous ne nous limitons pas à les découvrir au travers de la plaquette de l’entreprise… Si c’est possible, nous adorons les tester, et visiter les sites de production. 

Une autre conviction majeure de Labbrand est qu’une bonne stratégie de marque doit nécessairement être enracinée dans le présent pour aider à penser le futur. Mais elle doit aussi s’inspirer du passé…

Les marques n’ont pas toujours une relation très simple avec leur histoire. Les archives, ça fait peur, non ?

Oui, c’est très juste. Au point que certaines marques oublient parfois qu’elles en ont ! Et pourtant, cela ouvre la possibilité de se lancer dans une « spéléogie » extraordinairement précieuse ! Et de comprendre intimement la marque, de savoir d’où elle vient, d’identifier le pourquoi de certains codes. Et aussi de saisir dans quoi s’ancre sa légitimité. Nous aimons plonger dans ces matériaux avec un regard « sémio », cette compétence n’étant pas chez nous le domaine réservé de quelques-uns, mais une compétence largement partagée.

(Visiter les archives) ouvre la possibilité de se lancer dans une « spéléogie » extraordinairement précieuse ! Et de comprendre intimement la marque, de savoir d’où elle vient, d’identifier le pourquoi de certains codes. Et aussi de saisir dans quoi s’ancre sa légitimité.

C’est ainsi que l’on découvre, par exemple, qu’il y avait un boulanger à l’origine d’une marque comme La Boulangère, lequel avait tellement de succès qu’il a commencé à fournir les supermarchés en Vendée puis partout en France. Ou que la MGEN a été créée parce que, après-guerre, l’État avait oublié d’intégrer l’Éducation Nationale dans son dispositif de Sécurité Sociale… Quand une marque est créée pour s’occuper des oubliés de l’État, cela conditionne beaucoup de choses dans sa trajectoire ! Idem pour Danone, dont l’origine était de produire des yaourts pour des enfants ayant des problèmes de santé. Cela fait qu’elle est crédible aujourd’hui lorsqu’elle se positionne sur le créneau de la santé par l’alimentation.

Ces histoires illustrent une constante que nous retrouvons très souvent. La naissance d’une marque coïncide très souvent avec l’invention d’un procédé, d’une recette, d’une méthode originale.

Voyez-vous une dernière conviction à mentionner ? 

De même que nous sommes convaincus que la marque appartient à tout le monde dans les entreprises, nous considérons également que, chez nous, le sujet ne doit pas être le domaine exclusif des planners stratégiques. Dans nos démarches, nous intégrons aujourd’hui l’ensemble de nos départements, y compris les spécialistes du naming et des études, dans les séances de brainstorming pour imaginer des pistes de positionnement. Ce travail d’équipe est très stimulant intellectuellement, nos clients nous le disent, et aide à établir des plateformes de marque solides.

De même que nous sommes convaincus que la marque appartient à tout le monde dans les entreprises, nous considérons également que, chez nous, le sujet ne doit pas être le domaine exclusif des planners stratégiques

Pour revenir un instant sur les méthodologies, il nous semble clé que la réflexion sur l’innovation se fasse bien tout au long du processus. Si celle-ci intervient en bout de chaîne, elle a toutes les chances d’être décevante. Dans les phases d’immersion, cela implique que nous nous approprions complètement les offres, et que nous intégrions ce qu’il y a dans le ‘pipe’ d’innovation. Et donc que nous ayons les experts à même de le faire. C’est ce qui nous amène à recruter des collaborateurs étant passés en agence plutôt qu’en instituts, et ayant ainsi développé des projets d’innovation. C’est une formule, un « mantra » que nous nous répétons souvent entre nous, nous ne sommes pas là que pour faire de la « com ». 

Pouvez-vous citer un cas qui vous semble emblématique de la qualité de cette connexion entre marque et innovation ?

Si je devais n’en mentionner qu’un, ce serait celui de Michel & Augustin. Lorsqu’ils se sont lancés, ils l’ont fait avec un rôle affiché de « trublions » du goût. Mais surtout, ils sont parvenus à le rester au fil des années, même après avoir été rachetés, ce qui est un véritable challenge. Par exemple en allant sur le territoire du salé où personne ne les attendait, avec leurs ‘Graines de folie’. Ou bien en lançant avec Monoprix l’opération ‘5 fruits et légumes, une mousse au chocolat offerte’, qui n’est pas une innovation Produit mais une façon intéressante de chahuter les représentations dans cet univers.  

Une dernière question. S’agissant de vos chantiers, si vous ne deviez là encore n’en citer qu’un, lequel serait particulièrement représentatif de vos modes d’intervention ? 

Le choix est difficile. Mais le premier qui me vient à l’esprit est celui de Petit Navire, avec qui nous collaborons depuis déjà quelques années. Nous avons démarré ensemble par une réflexion sur l’architecture de gamme et leur offre, après qu’ils aient défini une plateforme de marque, avec un travail collaboratif en workshops. Nous avons ensuite mené des focus sémio pour analyser la concurrence, en lien avec leurs projets d’innovation. Cela a nourri un travail de naming, qui a abouti à la création de ‘Cap Végétal’, pour désigner dans leur offre les alternatives végétales aux produits de la mer. C’est là aussi un beau cas de connexion réussie entre marque et innovation !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Aurélie Plessier

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