Si le green-washing — et le social-washing — sont hélas une pratique assez répandue côté entreprises, il y a pourtant une réelle envie des salariés eux-mêmes d’agir sur les enjeux de RSE. Et aussi une frustration de la part de nombreuses structures, notamment les plus petites, de ne pas trop savoir comment passer à l’acte. C’est ce constat qui a motivé Florence Morgen, fondatrice de O-, Alexis Bonis Charancle, Directeur Associé de B3TSI et Didier Pencréach à élaborer une méthode, intitulée MS 17.169, avec le double parti-pris de mobiliser les collaborateurs et de s’appuyer sur le référentiel des 17 Objectifs de Développement Durable défini par l’ONU. Alexis Bonis Charancle (B3TSI) nous en présente les grandes lignes.
MRNews : Vous avez construit une méthode pour aider les entreprises à se mettre en action sur les enjeux de développement durable. Comment êtes-vous venu à ce sujet ?
Alexis Bonis-Charancle (B3TSI) : Cette méthode est le résultat d’un travail d’équipe, notre contribution ayant consisté à structurer et modéliser une approche élaborée avec deux partenaires. Florence Morgen, qui a fondé la société O-, et a notamment été directrice du Développement Durable du Groupe Vyv. Et Didier Pencréach, qui a lui aussi occupé des responsabilités au sein du Groupe Vyv. Notre envie à tous les trois de travailler sur ce sujet est née d’une volonté de profonde sincérité et de réelle efficacité en matière de contribution aux enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux actuels. Et ce face au green-whashing, et plus largement à ce décalage que l’on constate hélas régulièrement entre les discours et les actes des entreprises sur les enjeux de RSE. Pourtant, au sein de celles-ci, il y a souvent un réel désir d’agir de la part des collaborateurs. Notre conviction est que l’entreprise est un espace privilégié pour agir, la force du collectif pouvant amener les collaborateurs bien au-delà de ce qu’ils font à la maison, à titre individuel. Il y a chez eux beaucoup de bonne volonté, un appétit latent pour agir, et quelque part de la frustration parce qu’ils ne savent pas forcément bien quoi faire. Nous avions donc l’envie de répondre à ce besoin.
Notre conviction est que l’entreprise est un espace privilégié pour agir, la force du collectif pouvant amener les collaborateurs bien au-delà de ce qu’ils font à la maison, à titre individuel. Il y a chez eux beaucoup de bonne volonté, un appétit latent pour agir, et quelque part de la frustration parce qu’ils ne savent pas forcément bien quoi faire. Nous avions donc l’envie de répondre à ce besoin.
Florence avait amorcé un travail méthodologique avec un parti-pris extrêmement structurant, celui de donner la parole aux collaborateurs. Cela nous a beaucoup plu, et nous avons pris la décision de réunir nos forces, avec Didier qui souhaitait lui aussi contribuer à ce chantier.
C’est LE parti-pris essentiel de la méthode, celui de favoriser une démarche « bottom-up » ?
C’est en effet la première clé. Certaines approches font la part belle à la volonté des dirigeants, la nôtre part du principe que ce sont les salariés de l’entreprise qui définissent les actions.
Mais j’en ajouterai un second, le fait que nous nous appuyons sur le référentiel de l’ONU, avec ses 17 Objectifs de Développement Durable, les « ODD ». C’est celui qui a été retenu pour les Accords de Paris en 2015.
Consulter la page des 17 Objectifs de Développement Durable de l’ONU
Pourquoi ce choix ?
Il nous paraissait important d’intégrer une grille pour aider les entreprises à déterminer leurs initiatives et leurs actions, et qu’elles y trouvent éventuellement une forme d’inspiration. Cela n’aurait pas eu de sens d’en élaborer une « from scratch », qui serait sortie de notre chapeau. Prendre le référentiel de l’ONU nous a semblé présenter plein d’avantages. Il a le mérite d’exister, d’être complet, et tout le monde connait l’ONU ! Par ailleurs, des bibliothèques de bonnes pratiques se construisent sur la base de celui-ci, comme par exemple « L’Agenda 2030 » au niveau national. C’est un réel avantage pour une organisation de pouvoir consulter ce qui a été fait par d’autres, de voir quelles actions ont été les plus efficaces sur un axe donné.
Associé à ce principe bottom-up que nous avons évoqué, nous pensons avoir là les bons ingrédients pour aider les entreprises à se lancer ou encore à nourrir, par une vision interne venue des salariés, les démarches RSE en cours. C’est ça pour nous l’idée importante.
Comment se déroule la démarche proposée ?
Elle se structure en 8 étapes au total, avec un démarrage en 4 temps. Le référentiel des 17 Objectifs de Développement Durable se décline en 169 cibles d’action. C’est bien, c’est complet, mais c’est beaucoup. Donc la toute première phase pour l’entreprise qui suit la démarche est de procéder à une présélection. Pour se faire, on désigne des « experts », trois volontaires en interne et trois personnes externes, qui peuvent être par exemple des spécialistes du secteur d’activité. Ces 6 experts balayent les 169 cibles en se posant pour chacune la question de savoir si cela rentre bien dans le périmètre de l’entreprise. A-t-elle latitude à agir ou pas ? Cela va vite, on est dans du oui ou non. Bien sûr, on ne peut pas escompter qu’il y ait unanimité, donc on se fixe des règles simples pour traiter les cas où les avis sont partagés. Et cela permet ainsi de short-lister des cibles d’action, la consigne étant donnée aux experts de ne pas avoir peur de se tromper. L’enjeu à ce stade, c’est que l’entreprise puisse se mettre en mouvement rapidement. Il sera toujours faisable de resélectionner de nouvelles pistes (cibles d’action) un an plus tard par exemple.
Le référentiel des 17 Objectifs de Développement Durable se décline en 169 cibles d’action. C’est bien, c’est complet, mais c’est beaucoup. Donc la toute première phase pour l’entreprise qui suit la démarche est de procéder à une présélection.
C’est ainsi que, chez B3TSI — puisque nous nous sommes appliqués à nous-même la méthode —, nous avons obtenu 33 cibles d’action. D’autres structures où nous implémentons la même démarche ont en moyenne 35 cibles présélectionnées.
C’est là qu’intervient le « vote » des collaborateurs ?
Voilà ! Plus exactement, on demande aux salariés de l’organisation d’évaluer les cibles d’action shortlistées en fonction de quatre grands critères. Primo, est-ce que l’entreprise a un impact positif, négatif ou nul sur cette cible ? Secundo, est-ce un devoir ou pas pour elle de s’en occuper ? Et, tertio, est-ce réaliste, peut-elle vraiment agir sur ce sujet y compris à court terme ? Nous posons néanmoins quelques autres questions, dont une pour évaluer si le collaborateur se sent concerné lui-même par la cible d’action, en tant que citoyen. Au global, on arrive à 2 à 3 minutes d’évaluation pour chacune des cibles présélectionnées, disons une heure et demie au total, les collaborateurs pouvant naturellement répondre en plusieurs fois s’ils le souhaitent, sur un laps de temps à définir selon les pratiques et rythmes de l’entreprise (en général 2 à 3 semaines).
Là encore, il est clé de sensibiliser les salariés à l’importance à ce qu’ils s’expriment, et à préciser que la notion d’erreur n’a pas sa place, qu’il n’y a pas de mauvaise réponse. Ce qui compte, c’est que chacun émette son point de vue de façon à dégager des priorités pour l’entreprise.
Il est clé de sensibiliser les salariés à l’importance à ce qu’ils s’expriment, et à préciser que la notion d’erreur n’a pas sa place, qu’il n’y a pas de mauvaise réponse. Ce qui compte, c’est que chacun émette son point de vue de façon à dégager des priorités pour l’entreprise.
À la suite de cette évaluation, nous procédons à une analyse statistique des réponses, en scorant les cibles d’action sur une échelle de 0 à 1000. Si, pour une cible donnée, les avis convergent pour dire qu’il est important d’agir y compris en tant que citoyen, que c’est un devoir pour l’entreprise, que c’est réalisable et qu’il y a de grosses marges de progrès possibles, bingo on va tendre vers le mille ! Chez B3TSI, le tri des déchets est clairement ressorti en tête, avec un score de 811. Une autre priorité s’est dégagée sur la notion d’accès aux compétences pour tous, avec un score plus faible, autour des 500.
Quelles sont les étapes suivantes ?
La suite de la démarche consiste à réaliser des ateliers, via des groupes de discussion, en regroupant les cibles d’action prioritaires et pouvant se combiner autour d’un même thème. 10 personnes par atelier, cela nous semble un bon ordre de grandeur, en veillant à un certain équilibre en fonction des niveaux de responsabilité, de la structure hommes-femmes, etcétéra. Celles-ci deviennent par la suite les ambassadeurs de la thématique dans l’entreprise, ce qui ne veut surtout pas dire qu’elles seront les seules à agir.
Chez B3TSI, nous avons identifié deux ateliers, et pris la résolution de commencer par le premier, celui sur le tri, et de garder le second pour 2025. L’idée est d’être hyper pragmatique, notamment sur le timing. L’entreprise avance à son rythme. L’objectif est de se mettre en mouvement de façon collective, en associant tout le monde, y compris les personnes qui ne seraient pas réceptives aux enjeux de RSE ou à ce type de démarche. Il est important de leur laisser l’occasion de s’exprimer. Leur attitude repose sur des raisonnements dont on doit tenir compte, notamment dans ces ateliers. Mais s’il y a une majorité nette dans l’entreprise pour agir, elles doivent aussi l’intégrer.
L’entreprise avance à son rythme. L’objectif est de se mettre en mouvement de façon collective, en associant tout le monde, y compris les personnes qui ne seraient pas réceptives aux enjeux de RSE ou à ce type de démarche.
Les plans d’action sont définis au sein des ateliers ?
Tout à fait, ceux-ci formalisent en effet des pré-diagnostics et de premières actions possibles, le plan pouvant évoluer, s’ajuster. Dans cette phase, il est tout-à-fait opportun de solliciter des experts, qui peuvent aider à identifier les initiatives les plus efficaces. À ce stade, les indicateurs de moyens et d’impact peuvent être défini dans la foulée ou raccroché à des indicateurs déjà existants ou encore défini plus tard dans le processus avec l’établissement et le partage du bilan des actions. Une fois cela fait, on peut envisager un nouveau « tour de roue », avec de nouvelles priorités, la formation de nouveaux ateliers, etcétéra. Si l’on a bien travaillé sur un thème donné, les marges d’action restantes se seront amenuisées, et d’autres priorités émergeront pour l’entreprise.
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Pour quels types d’entreprises cette démarche vous semble plus particulièrement adaptée ? Et n’existe-t-il pas des démarches « concurrentes » ?
Nous avons visé à ce qu’elle soit applicable aussi universellement que possible. Mais, de fait, les entreprises de plus de 500 salariés (ou de plus de 50 millions € de chiffres d’affaires) sont assujetties aux obligations réglementaires de la CSRD ; elles ont déjà beaucoup à faire autour de celles-ci. Le cœur de cible est donc plutôt les PME qui n’ont pas encore ces obligations, mais qui ont néanmoins envie d’agir, tout en ne sachant pas trop comment le faire. Un immense ensemble de PME/ETI sont dans ce cas-là.
Un autre point me semble important à souligner, c’est la très forte sensibilité des jeunes générations à ces enjeux. Une entreprise qui vise à recruter des jeunes ou à les garder dans ses effectifs ne peut pas se permettre d’être inactive sur ces sujets. Sinon c’est très simple, ils ne viendront pas, n’hésiteront pas à partir, pire véhiculerons une image négative de leur entreprise !
Une entreprise qui vise à recruter des jeunes ou à les garder dans ses effectifs ne peut pas se permettre d’être inactive sur ces sujets.
Une dernière question enfin : quelles prestations proposez-vous aux entreprises qui souhaitent déployer cette démarche ?
Nous sommes là pour accompagner les entreprises désireuses de mettre en œuvre au moins un premier cycle d’action, de faire un « tour de roue ». Et ce en les aidant sur toutes les étapes, depuis la pré-sélection des cibles d’action parmi les 169 des 17 ODD jusqu’au partage du bilan des actions. Sans doute allons-nous également élaborer des modules adaptés aux petites entreprises qui souhaiteraient se lancer en mode DiY (Do it Yourself) , notamment sur les quatre premières étapes de la démarche.
Avons-nous des concurrents ? Oui, heureusement compte-tenu des enjeux. Les cabinets de conseil peuvent aussi intervenir sur ces sujets. Mais il nous semble évident qu’il n’existe rien d’équivalent avec ce double parti-pris d’inviter les collaborateurs de l’entreprise à s’exprimer et à s’autodéterminer dans une démarche structurée, et à s’adosser à un référentiel universel comme celui des ODD de l’ONU. Nous sommes en tous cas enthousiastes pour déployer cette méthode aussi largement que possible !
POUR ACTION
• Echanger avec l’ interviewé : @ Alexis Bonis Charancle