# Comment étudierons-nous les consommateurs - et les citoyens - en 2030 ? (volet 2)
Anne-Cécile Guillemot, fondatrice de Dynvibe

"Le digital n’a pas fini de changer la vie des gens, et donc le marketing et les études !"

Anne-Cécile Guillemot
Fondatrice de Dynvibe

14 Nov. 2024

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S’il y a bien une certitude aux yeux d’Anne-Cécile Guillemot (Dynvibe), c’est que le digital va continuer à transformer les consommateurs d’hier en des individus de plus en plus « multi-facettes », libres et complexes. Avec tout ce que cela implique pour le marketing et les marques, qui devront composer avec cette mutation pour survivre et s’ouvrir des opportunités. Mais aussi pour les études, avec une superbe carte à jouer pour une discipline comme la Social Intelligence.

MRNews : Faut-il s’attendre à des chamboulements dans la façon d’étudier les consommateurs d’ici 2030 ? Ou plutôt à une forte continuité ?

Anne-Cécile Guillemot (Dynvibe) : J’ai une double réaction face à votre question. La première est que 2030 me semble encore très loin, il est donc difficile d’y répondre avec certitude sauf à avoir une boule de cristal. Mais, en même temps, c’est demain ! Et on observe des signaux révélateurs de quelques évolutions clés. Ma grande conviction pour ma part est que le digital va continuer à changer la donne et à transformer les « consommateurs », même si c’est un terme que nous utilisons de moins en moins, nous y reviendrons sans doute. Et cela va donc avoir des impacts majeurs sur la manière de les étudier… 

Ma grande conviction est que le digital va continuer à changer la donne et à transformer les « consommateurs », même si c’est un terme que nous utilisons de moins en moins (…). Et cela va donc avoir des impacts majeurs sur la manière de les étudier… 

Si le terme de consommateurs n’est plus le bon, par quoi faut-il le remplacer ? Quel est le bon « objet » d’étude ?

En réalité, nous dénommons « consommateurs » des individus qui s’intègrent de façon souvent complexe dans différentes sphères, qu’il s’agisse de consommation en effet, mais aussi de valeurs, d’influences… Et l’on ne peut pas ou plus comprendre une facette de ces comportements sans une vision globale.

Cet impératif, qui est lié à l’importance croissante du digital dans la vie des individus, est une des raisons qui nous font penser que la Social Intelligence est et sera de plus en plus un outil clé dans le futur. Précisément parce qu’elle appréhende l’individu dans sa globalité, et aussi parce qu’elle l’inclut dans des espaces communautaires. Les médias sociaux ont donné une ampleur considérable à ce phénomène, au tout début avec les hashtags puis le développement des technologies, des algorithmes… Chaque individu fait partie de différentes communautés d’influence et d’identification culturelle, qui ont un fort impact sur lui. Ces communautés sont particulièrement présentes et prégnantes dans la culture américaine, elles le sont historiquement moins en France ou plus largement en Europe mais les choses évoluent très vite. Ce qui nous semble certain, c’est que l’individu de demain sera beaucoup moins influencé qu’il ne l’est aujourd’hui par les institutions, les marques ou les médias. De plus en plus, il va s’auto-gérer dans ses communautés, s’auto-éduquer en quelque sorte, et devenir ainsi plus libre. Cela ne fera sans doute que s’amplifier.

Nous dénommons « consommateurs » des individus qui s’intègrent de façon souvent complexe dans différentes sphères, qu’il s’agisse de consommation en effet, mais aussi de valeurs, d’influences… Et l’on ne peut pas ou plus comprendre une facette de ces comportements sans une vision globale. Cet impératif, qui est lié à l’importance croissante du digital dans la vie des individus, est une des raisons qui nous font penser que la Social Intelligence est et sera de plus en plus un outil clé dans le futur. Précisément parce qu’elle appréhende l’individu dans sa globalité, et aussi parce qu’elle l’inclut dans des espaces communautaires.

En quoi la Social Intelligence est l’outil le plus à même d’intégrer ce changement de prisme ? Parce que c’est une démarche d’investigation par essence ouverte ?

Absolument. C’est ce qui nous passionne dans cet outil, sa capacité à ouvrir les chakras, à nous sortir nous et nos clients de nos a priori et d’une compréhension trop limitée des consommateurs. 

Je vous donne un exemple… Nous travaillons ces jours-ci sur la cible des bio-hackers, des gens qui maitrisent particulièrement bien la biologie de leur corps. Ils ont comme référent des change-makers, des leaders d’opinion du biohacking, qui les éduquent sur ces sujets et sur la question de comment prendre soin de soi pour favoriser son bien-être et sa longévité. En les étudiant, on voit que la cosmétique fait partie de leur routine, mais qu’elle s’intègre dans un environnement bien plus large incluant l’alimentation, les activités physiques, la culture… Si l’on se focalisait sur la cosmétique, on passerait à côté de tout le reste et donc de l’essentiel.

La Social Intelligence permet ainsi à nos clients de saisir dans quel environnement leurs produits s’incluent, avec une appréhension extrêmement intéressante de zones de risque mais aussi d’opportunités.

La Social Intelligence permet ainsi à nos clients de saisir dans quel environnement leurs produits s’incluent, avec une appréhension extrêmement intéressante de zones de risque mais aussi d’opportunités.

En quoi la Social intelligence diffère-t-elle du social listening ? Quel est plus précisément votre domaine d’expertise ?

La matière première est commune à ces deux domaines. Il s’agit en l’occurrence de la Social Data, qui est le contenu présent sur les médias sociaux et les plateformes de « search ». Le Social Listening consiste à récupérer cette donnée pour la structurer et proposer un premier niveau de lecture, via des dashboards. La Social Intelligence, c’est un peu l’étage du dessus comme l’indique ce schéma.

Source Dynvibe

Au-delà de l’écoute et du suivi, la Social Intelligence intègre l’analyse et l’interprétation des données. Elle permet ainsi de mieux comprendre le comportement des consommateurs, les tendances et les sentiments, et de fournir aux marques des informations clés pour alimenter leurs stratégies d’innovation ou de marketing. Dit autrement, c’est l’intelligence humaine qui est ici mobilisée.

Pour ce qui est des données, outre la social data que nous venons d’évoquer, Dynvibe exploite par ailleurs les données de Search, ainsi que celles spécifiques au domaine de l’influence.

Qu’est-ce qui vous amène à considérer que la Social Intelligence prendra une place de plus en plus essentielle dans les années à venir ?

Nous ne sommes pas les seuls à le penser, les cabinets de conseil anticipant une croissance de 45% du marché de la social analytics d’ici 2029. Notre conviction repose en grande partie sur nos observations et notre connaissance des cibles jeunes, qui sont les futurs consommateurs de produits et des marques. Le constat que nous faisons est que les médias sociaux jouent un rôle de plus en plus important dans leur vie, au point qu’ils constituent progressivement le point central de tous leurs comportements. Ils se détournent des médias traditionnels et s’informent sur les réseaux sociaux. Ils ne vont plus sur Google pour faire leurs recherches, ou sur les sites des marques. Ils effectuent leurs achats non plus auprès des retailers mais à l’intérieur de leur environnement médias sociaux. C’est plus flagrant aux États-Unis et en Asie, avec l’usage de TikTok Shop qui n’est pour l’instant pas accessible en Europe, mais le phénomène se diffuse.

Cela constitue une mutation majeure, en ce sens que les marques et les retailers ne sont plus les influenceurs de demain. Les individus vont encore plus prendre le pouvoir via les réseaux sociaux. En Chine ou le taux de chômage des jeunes est très élevé, s’investir sur TikTok Shop est désormais un emploi à part entière. Ils sont extrêmement nombreux à toucher une commission sur ce qu’ils vendent. Chaque individu peut être un retailer.

Les marques et les retailers ne sont plus les influenceurs de demain. Les individus vont encore plus prendre le pouvoir via les réseaux sociaux.

On voit ainsi l’émergence des DNVB (Digital Native Vertical Brands), qui montrent en réalité que les individus eux-mêmes peuvent devenir des marques. Avec le digital, ils n’ont plus de barrière pour créer et distribuer des produits puisqu’ils ont accès très facilement aux industriels. Ils acquièrent un pouvoir incroyable. 

L’approche Social Intelligence est-elle susceptible de fortement évoluer dans les 5 ou 6 ans à venir ?

Nous pensons que l’intelligence artificielle aura un impact majeur, notamment du fait qu’elle va devenir un moteur de recherche à part entière pour les individus. Nous intégrons déjà massivement dans nos analyses les données de search, qui sont très complémentaires de la donnée sociale, et étroitement connectées aux achats ce qui permet de relier les insights les uns aux autres de façon très efficace. Mais le search sur ChatGPT et les outils d’IA va vraisemblablement chambouler le paysage. On peut aussi anticiper un usage croissant des données provenant des plateformes de vente. Nous exploitons déjà beaucoup les données d’Amazon, qui apportent des éclairages puissants. Avec TikTok Shop, c’est le même type de démarche que nous pourrons amplifier, il s’agit là d’une source d’insights fabuleuse. Bien sûr, des problématiques d’accès à ces données pourront se poser, mais les choses avanceront.

Nous pensons que l’intelligence artificielle aura un impact majeur, notamment du fait qu’elle va devenir un moteur de recherche à part entière pour les individus.

Voyez-vous d’autres évolutions importantes dans cette perspective 2030 ?

Nos interlocuteurs dans les entreprises manifestent un besoin auquel nous devons répondre. Celui d’études plus « transformatives », avec une forte orientation « ROI-iste ». Ils nous poussent à leur délivrer des insights qui soient le plus immédiatement actionnables possible, à même d’impacter favorablement l’économie de leur organisation, ce que je trouve génial. Nous pouvons apporter beaucoup sur le plan de la connaissance ; mais plus celle-ci est actionnable, mieux c’est pour les études. Mais ce qui me semble également intéressant à noter, c’est que cette exigence de ROI n’est pas enfermée dans le court terme. Nous sommes de plus en plus interrogés par nos clients sur l’enjeu de construire des marques sur le temps long, sans se restreindre à des actions opportunistes.

Au-delà des outils, vous décrivez une mutation du marketing et des règles du jeu pour les marques, dans laquelle certains acteurs sont sans doute en avance de phase ?

Tout à fait ! Les réseaux sociaux prennent déjà une place déterminante dans la vie des gens, mais ce mouvement ne fera que s’amplifier encore. Mais il faut ajouter que ces réseaux n’ont pas de frontières, et que tout circule à toute vitesse, d’un continent à un autre. Ce qui crée ainsi un marché mondial immédiat pour les marques, qui doivent s’adapter le plus rapidement possible aux nouvelles tendances internationales. Les marques qui réussiront demain seront donc celles sauront innover et être hyper agiles face à des consommateurs de plus en plus connectés, puissants et autonomes. 

Les marques qui réussiront demain seront donc celles sauront innover et être hyper agiles face à des consommateurs de plus en plus connectés, puissants et autonomes. 

L’exemple de L’Oréal me semble assez édifiant. Ils ont certainement fait partie des premiers à s’intéresser à la Social Intelligence, les autres acteurs de la Cosmétique-Beauté ayant emboité le pas. C’est une des raisons qui font que nous avons toujours beaucoup travaillé avec cet univers. Nous observons aussi aujourd’hui des évolutions extrêmement intéressantes sur d’autres verticales et notamment avec les laboratoires pharmaceutiques, qui voient bien que les patients gagnent en puissance au détriment des professionnels de santé. 

J’évoquais précédemment la porosité croissante des domaines d’activité. C’est tout à fait évident dans ces domaines de la santé et de la cosmétique. S’ouvrir les chakras est une obligation pour ne pas être dépassé et pouvoir détecter les opportunités. 

Une des priorités pour les études est donc de s’intéresser à ce que font les individus de cette liberté que le digital met entre leurs mains…

Absolument. Le digital a donné le pouvoir aux gens. C’est un phénomène majeur, qui a inspiré la création de Dynvibe. Nous avons vu les consommateurs commencer à prendre la parole, et pris conscience que le pouvoir ne pouvait plus continuer à s’exercer en mode descendant comme par le passé. Depuis, tout cela n’a fait que s’amplifier, et change radicalement la donne pour les marques comme nous venons de l’évoquer. Avec le fait que les médias sociaux n’ont plus de frontières, tout ce qui se passe à l’international devenant une localité locale à une vitesse fulgurante. Et l’impératif de ne plus étudier des consommateurs stricto sensu— en s’enfermant dans le prisme d’une catégorie de produits ou de services donnée —, mais des individus extrêmement libres.

Cette mutation est synonyme de beaucoup de complexité. D’où le fait que je sois aussi optimiste s’agissant du rôle de la Social Intelligence, à même d’intégrer celle-ci, et qui me semble un outil idéal pour servir le marketing de demain.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Anne-Cécile Guillemot

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