Le concept de Love Brands est bien connu des équipes qui travaillent sur les marques. Mais il ne date pas d’hier… Ne serait-il pas aujourd’hui un peu « dépassé » ? Les marques doivent-elles encore et toujours aspirer à ce statut ? Ou bien ne faut-il pas repenser la définition de celui-ci ?
Nathalie Coste, fondatrice et managing director France du collectif Lovebrands, répond aux questions de Market Research News et nous livre ses convictions.
MRNews : Le concept de Love Brands est bien connu des équipes qui travaillent sur les marques. Mais est-il toujours pertinent ? Doivent-elles encore aujourd’hui aspirer à ce statut ?
Nathalie Coste (Lovebrands) : Effectivement, la notion de Love Brand a été « lancée » il y a 20 ans par Kevin Roberts à l’époque où il dirigeait l’agence Saatchi & Saatchi. L’ouvrage qu’il a consacré à ce sujet a marqué les esprits. Il cristallisait quelque chose que les marketeurs et les communicants sentaient, la nécessité pour les marques de créer une connexion émotionnelle avec les consommateurs. Et ce de façon frappante, avec ce terme de Love, d’amour, la marque visant ainsi à être un objet d’affection et même de désir. Kevin Roberts insistait aussi sur l’importance de notions comme la mystique, la sensualité, l’intimité… Il mettait des mots sur cette magie que l’on essaie de composer, et qui n’est pas si simple à appréhender avec des outils d’études qui tendent souvent à rationaliser la vision.
Est-ce toujours une visée pertinente pour les marques ? Oui, j’en ai la conviction, même si beaucoup d’éléments de complexité sont intervenus sur ces 20 dernières années, établir ce lien de cette nature étant un sacré challenge pour les marques !
Est-ce toujours une visée pertinente pour les marques que de devenir des Love Brands ? Oui, j’en ai la conviction, même si beaucoup d’éléments de complexité sont intervenus sur ces 20 dernières années, établir ce lien de cette nature étant un sacré challenge pour les marques !
Découvrir l’ouvrage de Kevin Roberts, ‘Lovemarks, le nouveau souffle des marques’
Comment sait-on qu’une marque est une Love Brand ? Et pourquoi est-ce si difficile d’atteindre ce statut ?
Cela se mesure d’abord et avant tout par l’étoile qui scintille dans les yeux des consommateurs lorsqu’on les fait parler de leur relation à ce type de marque. Ils évoquent des choses qui les touchent. Les métriques utilisées pour jauger la valeur financière des marques comptent bien sûr, mais le quali est irremplaçable pour appréhender les émotions.
La difficulté tient à ce fossé qui existe inévitablement entre le message qu’une marque souhaite émettre et celui que reçoivent les consommateurs, notre fonction étant naturellement de contribuer à le combler. Jouer sur le terrain des émotions ne simplifie pas l’exercice, cela implique que chaque individu ressent les choses différemment. Mais sans doute est-ce délicat pour les managers des marques. Le sujet touche aussi à leurs émotions à eux, alors que le mood dominant dans les entreprises est de mettre les affects à distance, la rationalité devant primer.
La difficulté (pour une marque à devenir une Love Brand) tient à ce fossé qui existe inévitablement entre le message qu’elle souhaite émettre et celui que reçoivent les consommateurs, notre fonction étant naturellement de contribuer à le combler. Jouer sur le terrain des émotions ne simplifie pas l’exercice (…)
Vous évoquiez le fait que le contexte avait beaucoup évolué sur ces 20 dernières années. Mais encore ?
Trois points me semblent plus particulièrement importants sur cet enjeu précis. Le premier phénomène majeur est que la recherche de sens s’est considérablement renforcée chez les consommateurs. Sur ce plan, ils attendent plus des marques que par le passé, ce qui suppose des Purpose ambitieux. Il faut que le fameux « Why » qu’évoque Simon Sinek soit clair, limpide. Par ailleurs, la marque doit avoir encore plus valeur de repère qu’avant, en ne faisant pas que coller aux attentes du public, mais en devançant celles-ci. Les gens veulent certes plus de transparence, d’éthique, de responsabilité, mais ils demandent à ce qu’on les aide dans leur recherche personnelle de sens. Le troisième point clé est la nécessité d’aller dans le sens d’une co-construction avec les consommateurs, c’est ce qu’induit en particulier le formidable développement de l’usage des réseaux sociaux.
Les gens veulent certes plus de transparence, d’éthique, de responsabilité, mais ils demandent à ce qu’on les aide dans leur recherche personnelle de sens.
Ces évolutions obligent à revisiter en partie cette notion de Love. Les marques doivent toujours s’adresser aux sens des consommateurs, mais également à leur intellect.
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N’est-ce pas aussi l’attente de plus d’authenticité de la part des marques ?
Oui, tout à fait. Le consommateur le réclame. Parmi toutes les marques qui lui font face, il choisit celle qui lui semble la plus porteuse de sens pour lui. Mais l’engagement doit aller de pair avec l’authenticité, sinon cela ne fonctionne pas. Le public sait de mieux en mieux utiliser ce que j’appelle le « bullshit meter », la capacité à repérer des discours faux, déconnectés des faits. Les marques doivent absolument joindre le geste à la parole.
Donc il faut de l’émotion, de la séduction… Mais l’authenticité et l’engagement comptent désormais énormément, avec les preuves que cela implique. Le paradoxe est qu’une partie croissante de la population rejette les marques, en se déclarant lassée de leur « bullshit ». Mais, en même temps, les gens cherchent de plus en plus de sens au travers des marques, en considérant plus ou moins consciemment que celles-ci peuvent les aider à décoder un monde toujours plus complexe. Les réseaux sociaux jouent un rôle important dans ce contexte. Ils constituent un outil multifacette, assez sophistiqué en réalité, qui permet aux individus de repérer les initiatives intéressantes des marques.
Le paradoxe est qu’une partie croissante de la population rejette les marques, en se déclarant lassée de leur « bullshit ». Mais, en même temps, les gens cherchent de plus en plus de sens au travers des marques, en considérant plus ou moins consciemment que celles-ci peuvent les aider à décoder un monde toujours plus complexe.
Quelles marques sont aujourd’hui des exemples emblématiques de Love Brands. On a souvent cité Apple…
Oui, Apple me semble être encore et toujours une Love Brand, elle suscite une désirabilité extrêmement forte. Elle doit sans doute être vigilante sur le terrain de l’engagement et de l’authenticité, compte tenu de l’élévation des exigences que nous avons évoquée. Le risque pour elle est de paraitre de plus en plus clivante. Patagonia est un bel exemple, voilà une marque qui joue particulièrement bien la partition de l’authenticité. La marque Lu me semble également assez emblématique. On le voit dans nos groupes qualitatifs, il se passe quelque chose lorsque nous invitons les gens à parler de ces marques. Il y a à la fois de la nostalgie, dans un sens positif, mais aussi la perception d’une marque qui reste présente et a donc su s’adapter à son temps. Elle a une valeur de repère, en étant synonyme d’une certaine satisfaction émotionnelle, de rassurance dans un monde chaotique, dur. Décathlon en est très probablement devenue une, avec ce purpose très fort, celui de rendre le sport le plus accessible possible, et des actions concrètes en ce sens.
Mais, à côté des grands acteurs traditionnels, on voit aussi des bien plus petites marques, par exemple dans l’univers alimentaire ou celui des cosmétiques, qui vont dans le sens du love grâce à une vraie singularité et à cette combinaison d’authenticité et d’engagement. Elles sont jeunes, mais elles ont d’emblée su susciter de la confiance.
Quid de Amazon, qui est très bien évaluée dans les classements financiers ?
Amazon est l’exemple d’une très grande marque, mais elle n’est sans doute pas une Love Brand. Elle rend service à un très large public, c’est évident, en proposant une expérience client particulièrement qualitative. Mais elle ne déclenche pas l’émotion qui lui permettrait d’être une Love Brand…
Amazon est l’exemple d’une très grande marque (…). Mais elle ne déclenche pas l’émotion qui lui permettrait d’être une Love Brand…
Ce lien émotionnel est pourtant une vraie finalité pour les marques, elles ont donc toutes intérêt à devenir des Love Brands, ce qui est possible dans bien des univers. Mais encore faut-il que leurs équipes soient câblées ainsi, ce qui n’est pas si simple.
Un patron de marque vous sollicite pour que sa marque devienne une Love Brand. Que faites-vous ? Quels sont vos partis-pris en termes d’accompagnement et de méthodes ?
Le premier parti-pris, essentiel, est de considérer qu’une marque est le produit d’une co-construction avec les consommateurs. Nous allons donc d’abord nous efforcer d’appréhender ce qu’elle est en questionnant les différents « stakeholders ». Nous interrogeons les consommateurs pour bien saisir la relation qu’ils ont avec la marque étudiée, en cherchant à avoir le bon niveau de profondeur dans cette compréhension. Ce qui suppose d’utiliser les outils des qualitativistes, avec des exercices projectifs pour attraper ce qui se passe au-delà du « conscient ». Et aussi des techniques d’observation. Au fond, c’est un peu comme lorsqu’on s’attaque à un oignon, il faut enlever plein de couches superficielles pour atteindre l’essentiel, sachant que les marques sont des objets extrêmement complexes.
Notre premier parti-pris, essentiel, est de considérer qu’une marque est le produit d’une co-construction avec les consommateurs.
Nous mettons également en œuvre un accompagnement tout particulier des équipes des marques dans la définition du Purpose. Il ne faut pas que celui-ci soit une sorte de coquille vide de sens. Mais nous devons aussi veiller à ce que la marque reste simple à appréhender pour les consommateurs, ce qui demande un exercice délicat de priorisation des intentions.
Vous avez eu l’occasion de travailler pour des marques bien connues dans l’univers des FMCG, comme Lu, Bacardi, Dove, Sun, Persil… Au final, quel est LE plus grand piège à éviter pour une marque qui aspire à être une Love Brand ?
L’inauthenticité ! C’est clairement le piège n°1. Les consommateurs ne sont pas dupes, ils ont bien intégré l’impératif des marques de s’exprimer sur des sujets aujourd’hui incontournables tels que la responsabilité écologique et sociétale. Mais si les discours ne s’accompagnent pas d’actes et d’engagements concrets, ils sont intransigeants. Et c’est encore plus vrai s’agissant des plus jeunes générations, qui se perçoivent comme des consommateurs-acteurs. S’ils n’aiment pas une marque, si elle donne trop dans le « bullshit », ils vont voir ailleurs, c’est aussi simple que ça !
L’inauthenticité (est) clairement le piège n°1. Les consommateurs ne sont pas dupes, ils ont bien intégré l’impératif des marques de s’exprimer sur des sujets aujourd’hui incontournables tels que la responsabilité écologique et sociétale. Mais si les discours ne s’accompagnent pas d’actes et d’engagements concrets, ils sont intransigeants.
J’ajouterai que la « bataille » que nous devons livrer parfois est d’aider les marques à bien prendre conscience de la complexité des émotions. Des émojis, ça ne suffit pas… Créer une relation forte avec les consommateurs, dans laquelle l’émotion a toute sa place, cela suppose un vrai travail en profondeur !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Nathalie Coste