Passer le cap des 20 ans d’existence n’est jamais anodin pour une entreprise, quelle qu’en soit la taille… Surtout lorsque le secteur d’activité est ‘challenging’ comme l’est le market research. Et encore moins quand ces années s’inscrivent dans une trajectoire précise et singulière, ce qui est à l’évidence le cas s’agissant de Strategic Research. Son Directeur Général et fondateur, Michaël Bendavid, revient sur le pari qui l’anime lui et son équipe, et nous confie sa vision du futur, pour sa structure mais aussi plus largement pour l’industrie.
MRNews : Strategic Research vient de souffler les bougies de son 20ème anniversaire. Pour qui ne connaitrait pas encore votre société, comment la présenteriez-vous ?
Michaël Bendavid (Strategic Research) : En deux mots, Strategic Research est un cabinet d’études de marché et de conseil en stratégie marketing. Nous opérons dans le segment des études stratégiques à forte valeur ajoutée, et accompagnons ainsi les grandes entreprises sur des sujets à fort impact. Les thèmes sur lesquels nous avons accumulé le plus d’expertise sont l’innovation, la segmentation, la marque, la stratégie prix et l’efficacité du marketing. En bref, tous les sujets qui appellent des solutions d’études mais aussi un accompagnement du client dans l’appropriation des résultats et la décision. Concrètement cela veut dire plus de dialogue avec les équipes du client que pour une étude classique, et bien souvent des workshops.
Un point de différence dans notre modèle est que nous exécutons les missions qui nous sont confiées en comptant à la fois sur nos ressources internes, mais également sur un écosystème de partenaires de haut calibre avec qui nous avons noué des relations au fil du temps. Ce mode d’organisation nous permet de prendre en charge des projets complexes, nécessitant de combiner des compétences diverses et pointues, sans alourdir notre structure de coût.
J’ajouterai que nous réalisons 70% de notre activité à l’international, compte tenu du profil de nos clients qui sont de grands acteurs de la grande consommation, des services et du luxe.
Strategic Research est né d’un pari, celui « d’associer » les études et le conseil marketing. Cette démarche pourrait sembler relever de l’évidence… Et pourtant non, très peu y parviennent. Pourquoi ce mariage est-il si difficile à faire ?
Tous les acteurs du marché ne cherchent pas à s’inspirer du conseil. Le marché des études est plus polarisé que jamais. D’une part, on assiste à la montée en puissance d’offres de services packagées et standardisées, sur étagères. D’autre part, il y a effectivement une demande des clients pour plus de valeur ajoutée, en tous cas sur certains projets clés. Il est difficile pour un institut d’être des deux côtés de cette ligne, car le mode d’organisation, les ressources et le modèle économique sont très différents. Nous avons fait le choix de la valeur ajoutée vs le volume. Ce choix rendait logique de chercher à associer les études et le conseil.
La difficulté de concilier études et conseil dans une offre cohérente tient au fait qu’on a affaire à deux cultures bien distinctes…
Mais encore ?
J’ai eu dans mon parcours la chance de cumuler des expériences en conseil — chez Bossard consultants puis Izsak Grapin & Associés, le cabinet qui a introduit Stratégie Océan Bleu en Europe — et en études, chez Burke et Research International, dans des fonctions opérationnelles puis de direction. J’étais en première ligne si je peux dire pour voir les forces et les travers de ces deux disciplines. Pour simplifier, les meilleurs instituts d’études sont supérieurs aux cabinets de conseil sur des sujets ‘consumer-centric’, plus pertinents. Ils sont plus précis, moins spéculatifs. La rigueur des méthodes et des analyses combinées à une posture de modestie sont des atouts décisifs. Cependant, cet avantage est estompé par le fait que les sociétés d’études communiquent souvent mal le fruit de leur travail : tendance au pointillisme dans l’analyse qui faire perdre de vue la raison d’être de l’étude, croyance que toute la réalité est encapsulée dans l’étude alors que d’autres éléments de connaissance doivent être mis en perspective, manque de storytelling dans la présentation des résultats, etc.
Quant aux cabinets de conseil, leur capacité à mettre les résultats en perspective avec leur connaissance sectorielle ainsi que leur talent à bâtir des documents bien articulés leur permettent de briller et de masquer les libertés prises avec les méthodes et les data.
D’où l’idée d’essayer de réunir le meilleur des deux mondes ?
Oui, c’est l’ambition. En synthèse, les études sont souvent trop contraintes par les méthodes ; et les cabinets de conseil plus focalisés sur le résultat et l’usage qui peut en être fait. Quand les consultants utilisent les études, et c’est de plus en plus le cas, l’étude est juste un outil qu’ils mettent au service de la prestation de conseil. D’ailleurs, la valeur que les consultants prêtent aux études est toute relative. C’est donc particulièrement irritant qu’ils raflent la mise sur des sujets stratégiques du type segmentation, stratégie prix ou stratégie de marque. Souvent aussi parce qu’ils ont un accès plus facile aux patrons, il faut le dire. En créant Strategic Research, je voulais prouver qu’on pouvait mener des études exécutées selon les règles de l’art et apporter une valeur ajoutée comparable à celle délivrée par les meilleurs cabinets de conseil.
En synthèse, les études sont souvent trop contraintes par les méthodes ; et les cabinets de conseil plus focalisés sur le résultat et l’usage qui peut en être fait (…). En créant Strategic Research, je voulais prouver qu’on pouvait mener des études exécutées selon les règles de l’art et apporter une valeur ajoutée comparable à celle délivrée par les meilleurs cabinets de conseil.
Votre parti-pris a été de jouer la carte de la valeur ajoutée. Mais comment définiriez-vous celle-ci ?
Une partie de la valeur ajoutée consiste à faire le bon choix méthodologique et à utiliser les bonnes techniques. Ces choix sont structurants dans les études car ils impactent fortement le résultat. La démocratisation des études fait que tous types de profils au sein des entreprises sont des utilisateurs et parfois des acheteurs d’études. Et, disons-le, la sensibilité des acheteurs aux questions de méthode a considérablement baissé, ce qui ouvre la porte à des acteurs désinvoltes ou incompétents, qui négligent les fondations. Un autre élément de la valeur ajoutée consiste à savoir bien délivrer les résultats à des audiences diverses en termes de métier, pas toujours expertes en marketing ou en études. Bien communiquer est devenu crucial, plus qu’avant.
Ensuite, la qualité des individus est évidemment déterminante. Nous choisissons nos collaborateurs avec soin ; ils contribuent pleinement au succès des projets et sont exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres. Ils savent concilier une grande rigueur et le sens du détail avec une capacité à prendre de la hauteur, deux qualités souvent antinomiques. Il faut aussi s’adapter à des sujets et des cultures d’entreprise variés. Enfin, au risque de paraitre trivial, il est clé de s’assurer que l’on répond vraiment à la question qui est posée. La valeur d’une étude c’est ce que les clients en font. Si l’étude est rapidement rangée dans un tiroir, quelle que soit sa qualité intrinsèque, on peut considérer que sa valeur est nulle.
Qu’estimez-vous avoir réussi avec Strategic Research ?
Notre réussite est d’avoir convaincu des clients de tout premier plan de nous confier leurs études stratégiques et d’en avoir fait, pour l’immense majorité d’entre eux, des clients réguliers et fidèles. Et d’y être parvenu sur une durée de 20 ans. Nos plus grands succès, c’est quand on réussit à battre des cabinets de conseil dans des ‘pitchs’ portant sur des sujets consumer-centric. Ce sont à la fois des succès de prestige, mais surtout ils sont la preuve que notre ambition s’est matérialisée.
Notre réussite est d’avoir convaincu des clients de tout premier plan de nous confier leurs études stratégiques et d’en avoir fait, pour l’immense majorité d’entre eux, des clients réguliers et fidèles. Et d’y être parvenu sur une durée de 20 ans.
Un autre élément clé de notre réussite, je l’ai évoqué déjà rapidement, a été de nous entourer d’un écosystème de partenaires exceptionnels qui nous ont aidés à compléter nos expertises internes et à exécuter des projets « un peu grands pour nous ». Pour réussir ça, il faut être agnostique en termes de méthode et surtout ne pas avoir des ‘produits sur étagères’ à vendre. C’est l’esprit dans lequel nous travaillons. Outre l’apport technique, ces partenaires ont un effet très stimulant sur notre pratique du métier, ils nous évitent de ronronner.
Enfin, un élément important de notre succès a été de rester à la pointe des méthodes et des innovations. Nous sommes en réalité à la fois des innovateurs et des sceptiques…
Innovateurs sur quels sujets par exemple ?
Nous avons été le premier cabinet d’études en Europe à mettre en œuvre des projets Stratégie Océan Bleu après y avoir été formés par des mentors qui étaient proches de cette démarche d’innovation, Arnold Izsak et Marc Beauvois-Coladon pour les citer. Nous avons beaucoup travaillé sur les sujets de migration de marque et avons mis en place des méthodes uniques sur cette thématique. En même temps, nous sommes peu sensibles aux modes ou aux innovations qui nous paraissent « fake », je préfère ne rien citer pour ne vexer personne ! Nous sommes curieux, mais conservons un esprit critique. Inutile de dire que nous sommes avides des avancées permises par l’IA, une innovation qui va disrupter ce marché.
Nous avons été le premier cabinet d’études en Europe à mettre en œuvre des projets Stratégie Océan Bleu après y avoir été formés par des mentors qui étaient proches de cette démarche d’innovation, Arnold Izsak et Marc Beauvois-Coladon pour les citer.
A contrario, qu’estimez-vous avoir moins réussi ?
Je pense que nous pourrions être plus gros si nous avions pris plus de risques. Mais pour être franc, notre ambition n’a jamais été d’afficher une croissance à deux chiffres. Nous ne rendons pas de compte à un actionnaire. Et je n’ai pas le tempérament d’un capitaine d’industrie, même si j’ai un immense respect par exemple pour un Martin Sorrell que j’ai vu en action. Je vois dans ce secteur beaucoup d’entreprises de taille moyenne qui se débattent avec des problèmes de RH et de trésorerie. Notre structure de coûts est flexible — une leçon apprise chez WPP ! — ce qui nous donne beaucoup de liberté d’action et minimise la pression.
L’autre regret est que nous sommes trop discrets. Nous n’avons pas utilisé suffisamment nos succès comme outil de communication. Nous sommes reconnus sur le marché comme un acteur de référence des études à valeur ajoutée et travaillons avec des clients majeurs (Disney, FDJ, L’Oréal, Nestlé, Beam Suntory, Groupe SEB, etc.). Mais la conquête de nouveaux clients implique de tambouriner un peu plus fort pour convaincre des prospects de sortir de leurs habitudes et surtout de le faire de façon systématique, dans la durée. Nous avons donc un challenge de ‘haut de funnel’, il nous faut augmenter notre notoriété. À notre décharge, notre énergie est presque intégralement dédiée à servir nos clients existants. Dans une entreprise de petite taille, on doit choisir ses combats.
Quelles sont vos convictions sur l’état du marché des études et son devenir ?
Globalement, les dépenses d’études ‘classiques’ stagnent dans le meilleur des cas depuis 2018. Elles ne représentent qu’une fraction du budget « intelligence » des clients et sont de plus en plus concurrencées par des activités qui, elles, se développent à un rythme rapide : business analytics, data science, social listening, données comportementales (achat, media), etc. Les clients ont de plus en plus le sentiment que comprendre le consommateur et prédire ses comportements futurs nécessite une vision plus holistique, en tous cas la combinaison de moyens variés. Je pense qu’ils ont raison et ce n’est pas faire injure à la contribution réelle des études de le dire. La conséquence de cette compétition entre les moyens est une pression accrue sur le prix des études.
Certains instituts font le choix d’abaisser leurs prix, tout en maintenant leurs marges, d’où par exemple la prolifération des marketplaces sur des sujets qui se prêtent à la standardisation (test de concept, copy-testing, etc.). D’autres, et c’est plutôt notre choix, visent à augmenter la valeur ajoutée des études pour mieux défendre leurs prix et convaincre les patrons de préserver ces investissements. Ces deux réponses sont adaptées. Nous pensons que les études conservent une capacité à éclairer les entreprises dans leurs décisions et que leur apport est unique.
Comment voyez-vous la suite de l’aventure ?
Ce marché est à l’aube d’une révolution. Bien plus radicale encore que les mutations que notre industrie a connues de par le passé, comme par exemple la bascule de la collecte de l’information du face à face ou téléphone vers le on-line. L’IA nous force à repenser notre métier. C’est une vraie innovation qui a, comme l’indiquait Schumpeter, un potentiel de création et de destruction.
Ce marché est à l’aube d’une révolution. Bien plus radicale encore que les mutations que notre industrie a connues de par le passé, comme par exemple la bascule de la collecte de l’information du face à face ou téléphone vers le on-line. L’IA nous force à repenser notre métier. C’est une vraie innovation qui a, comme l’indiquait Schumpeter, un potentiel de création et de destruction.
Nous avons d’ailleurs invité une équipe de jeunes HEC à réfléchir aux futurs possibles du métier des études en utilisant l’outil du scénario planning dont nous sommes de grands fans. Ils ont interviewé des acteurs majeurs des métiers de la data et de l’intelligence marketing. Et des personnalités comme Didier Truchot ou Eric Salama ont très généreusement donné leur opinion, preuve que le sujet est d’actualité. Nous partagerons ces scénarios du futur avec le public en juin prochain.
Si on raisonne à court terme, on profite déjà des avancées de l’IA générative dans nos activités quotidiennes : aider à la rédaction d’un questionnaire, faire des recherches pour explorer un sujet, formaliser des concepts ou des persona. Mais demain, il ne s’agira pas simplement de faire plus efficacement ce qu’on fait aujourd’hui, il faudra faire autrement.
L’IA, vous l’évoquiez, c’est aussi un potentiel de destruction ?
Les menaces sont en effet nombreuses. Sur l’emploi d’abord. Paradoxalement, le plus préoccupant est la situation des jeunes. Le modèle jusqu’ici pour l’apprentissage d’un métier était d’exécuter des tâches simples, répétitives, mais formatrices. Demain, ces tâches seront largement prises en charge par l’IA. Comment se fera alors la montée en compétence ? Faudra-t-il s’intéresser à d’autres compétences clés comme, par exemple, savoir prompter pour tirer le meilleur de la collaboration avec l’IA ? Un ex-partner d’un grand cabinet de conseil avec qui j’échangeais récemment, mettait en avant le fait qu’avec ChatGPT en main et une curiosité/capacité d’exploration hors-norme, il faisait plus ou moins le boulot d’une équipe de consultants.
D’autres menaces plus sourdes, mais vertigineuses existent. Comme par exemple, la production de données synthétiques générées par IA : l’IA générative peut prédire des réponses à partir d’un set de données réelles, c’est une de ses forces. Au train où vont les choses, on peut imaginer un monde de données où on ne pourra plus distinguer entre la donnée réelle — collectée auprès de vrais consommateurs — et la donnée synthétique générée par l’IA. Les impacts sur notre industrie sont majeurs. Que faut-il penser de ce nouveau monde ? Quelle sera la réaction des clients ?
Comment souhaitez-vous avancer avec Strategic Research sur ce sujet de l’IA ?
Nous travaillons à une offre d’étude augmentée par l’IA. Nous sommes dans la phase de définition d’une offre ambitieuse et avons pris des premiers contacts avec des partenaires potentiels en IA. Notre objectif est de la mettre sur le marché au second trimestre 2025, après une phase pilote. Dans tous les cas, c’est passionnant de vivre ce moment et cette révolution, de questionner ses certitudes et je ne doute pas que nous trouverons un chemin gagnant qui nous permette de poursuivre l’aventure, en continuant à nous renouveler.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Michaël Bendavid