# Comment optimiser l’Expérience Client dans un monde qui n’est pas celui des bisounours ?
Lea König et Truong Nguyen (Co-directrice et co-directeur du pôle Mystery Shopping d’OpinionWay)

« L’actionnabilité doit primer sur la tyrannie des métriques ! »

Lea König et Truong Nguyen
Co-directrice et co-directeur du pôle Mystery Shopping d’OpinionWay

4 Déc. 2023

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S’il y a bien une condition sine qua non pour garantir le ROI des études sur le thème de l’Expérience Client, elle consiste assurément à maximiser leur actionnabilité, en impliquant les équipes concernées dans l’exploitation des résultats, et même pourquoi pas en amont dans la conception des métriques. C’est la conviction clé que développent ici Lea König et Truong Nguyen (OpinionWay), en évoquant les approches pouvant être mises au service de cette ambition. 

MRNews : Quelles évolutions vous frappent le plus dans les besoins exprimés par les annonceurs sur les enjeux d’Expérience Client ? 

Truong Nguyen (OpinionWay) : Nous devons préciser un point de contexte, le fait que Lea et moi codirigeons l’activité Mystery Shopping d’OpinionWay. Nous nous intéressons donc tout particulièrement à la question de la qualité du service et de la relation que délivrent les marques à leurs clients spécifiquement sur les points de contact, quels qu’ils soient. Nos interlocuteurs travaillent ainsi le plus souvent dans des directions Retail / Commerce, et assez peu souvent côté Insights. Ils sont très orientés « business », et leur obsession n°1 est l’actionnabilité des résultats d’études.

Lea König : La première évolution la plus nette est que les marques ont progressivement déporté leurs attentes vis-à-vis des équipes de vente. La composante « relationnelle » prend le pas sur la dimension transactionnelle. Avant, elles demandaient d’abord et avant tout à ces équipes d’assurer les ventes. Aujourd’hui, elles leur demandent toujours de vendre, mais aussi et surtout de veiller plus largement à la qualité de la connexion établie avec les clients. Ce qui a des répercussions importantes…

La première évolution la plus nette est que les marques ont progressivement déporté leurs attentes vis-à-vis des équipes de vente. La composante « relationnelle » prend le pas sur la dimension transactionnelle (…). Ce qui a des répercussions importantes…

Lesquelles ?

TN : La première conséquence est que les marques se préoccupent de plus en plus des émotions des consommateurs. Que ressentent-ils ? Quelle trace mémorielle gardent-ils de leurs expériences ? Ce qui a bien sûr une forte incidence sur les études. Nous devons nous intéresser à ces émotions, mais aussi les appréhender en saisissant leurs causes. Le recueil doit donc être très orienté « facts and feelings ». C’est indispensable si l’on veut que l’information soit « actionnable » pour nos interlocuteurs. 

La première conséquence est que les marques se préoccupent de plus en plus des émotions des consommateurs (…). Ce qui a bien sûr une forte incidence sur les études. Nous devons nous intéresser à ces émotions, mais aussi les appréhender en saisissant leurs causes.

LK : Une seconde conséquence est que les annonceurs nous demandent de plus en plus de garanties quant à la « représentativité » des personnes répondant aux études. Il ne doit pas y avoir de doutes, lorsqu’on évoque leurs perceptions, sur le fait qu’ils sont bien dans telle ou telle tranche de revenus, ou sur la nature des marques dont ils sont clients… Cela nous a aussi amenés à repenser notre façon d’interroger les consommateurs. Pour parvenir à capter leurs émotions, nous devons les mettre dans de bonnes conditions, utiliser des astuces pour qu’ils s’engagent dans leurs réponses. Il faut également traiter celles-ci avec beaucoup de soin, en particulier pour les questions ouvertes. Ce qui nous a conduits à faire un gros travail de recherche sur ce sujet.

Une seconde conséquence est que les annonceurs nous demandent de plus en plus de garanties quant à la « représentativité » des personnes répondant aux études.

Voyez-vous d’autres évolutions notables dans les besoins des annonceurs ?

TN : Le développement de l’omnicanalité est un phénomène important à prendre en compte. Là où on se focalisait auparavant sur ce qui se passait sur un canal précis, les magasins physiques notamment, nous devons intégrer le fait que les parcours des clients sont le plus souvent multi-canaux, avec tout ce que cela implique pour eux mais aussi pour les marques.

Le développement de l’omnicanalité est un phénomène important à prendre en compte.

La préoccupation du ROI est-elle très présente chez vos interlocuteurs ?

LK : Oui, tout à fait. Et ce en grande partie pour les raisons que nous évoquions en préambule. À la différence des gens d’études, nos interlocuteurs travaillent majoritairement dans des centres de profit. Ils ont de ce fait là une forte et naturelle orientation vers l’opérationnalité et le business. Ils achètent des études dont ils savent qu’elles auront un vrai ROI pour eux. 

Nos interlocuteurs travaillent majoritairement dans des centres de profit. Ils ont de ce fait là une forte et naturelle orientation vers l’opérationnalité et le business. Ils achètent des études dont ils savent qu’elles auront un vrai ROI pour eux. 

TN : Pour que l’étude ait un ROI, la première des conditions est qu’elle soit utilisée. On boucle ainsi avec cette exigence d’actionnabilité que nous avons déjà évoquée. De notre côté, cela nous incite à nous poser en permanence la question de savoir qui sera l’utilisateur final. Cela peut être un directeur marketing, un responsable des forces de vente… Notre but à nous est de l’engager, en tenant bien compte du contexte dans lequel il peut agir et prendre des décisions.

Pour que l’étude ait un ROI, la première des conditions est qu’elle soit utilisée. On boucle ainsi avec cette exigence d’actionnabilité que nous avons déjà évoquée.

Venons-en à cette question clé : quels sont selon vous les prismes à utiliser pour procéder aux meilleurs diagnostics sur ces enjeux ?

LK : Notre vision est qu’il faut impérativement coupler la mesure des opinions – ou plus largement des perceptions – et l’observation des faits et notamment des comportements. 

TN : Cela s’applique aux consommateurs, mais aussi à la marque elle-même. Nous interrogeons nos interlocuteurs et/ ou les dirigeants concernés sur leurs intentions. Qu’attendent-ils concrètement de leur personnel en contact ? Quelle cérémonie de vente ont-ils définie ? En quoi pensent-ils que celle-ci est différente des pratiques des marques championnes du secteur ? Quelles sont éventuellement les marques qu’ils considèrent comme de bons référents, y compris dans des secteurs d’activité éloignés ? Une fois que nous avons les réponses à ces questions, nous pouvons aller sur le terrain pour voir et mesurer ce qui se pratique en réalité. C’est la mission que nous confions à ce que nous appelons des « INsiders », des enquêteurs qui vont jouer au « client-mystère ». Ils interagissent avec le personnel en contact avec un guide d’entretien très ouvert, mais, ainsi, ils ont des indications précises sur ce qu’ils doivent observer. Si l’intention de la marque est d’être associée à de l’expertise technique, de la pédagogie, mais aussi à une forme de gentillesse, les études doivent valider qu’il en est ainsi. Cela s’applique aussi à ce que font les concurrents. Là encore, il importe d’observer les faits pour s’assurer de ce qui est réaliste, et écarter les fausses impressions. La force des INsiders est aussi que nous les réunissons en focus groupes, post terrain, pour débriefer en présence de la marque des expériences vécues.

Notre vision est qu’il faut impérativement coupler la mesure des opinions – ou plus largement des perceptions – et l’observation des faits et notamment des comportements (…). Cela s’applique aux consommateurs, mais aussi à la marque elle-même.

Les intentions de la marque ne risquent-elles pas d’être décalées par rapport aux attentes des clients ?

LK : Il est impératif que le design de l’expérience client cible soit défini en fonction de celles-ci. Les dispositifs que nous évoquons ont donc bien vocation à s’intégrer dans une connaissance plus « globale », en complément des études menées sur les attentes des clients et à des études de type NPS notamment. Nous devons cependant préciser que nous intervenons beaucoup dans l’univers du luxe, où les acteurs ont à coeur d’afficher leur singularité, et peuvent ainsi prendre des options assez « volontaristes ». Nous devons aussi assimiler cette composante. 

Au-delà du diagnostic, quels sont vos partis-pris pour accompagner les marques dans l’optimisation des expériences-clients ?

TN : Nous nous appuyons fortement sur un dispositif que nous avons conçu dans cet esprit, que nous dénommons « Voice of Teams ». La première étape de cette approche consiste à interroger le personnel en contact, en exploitant ce que nous avons appris avec nos ‘INsiders’. Nous cherchons là à appréhender l’expérience client que ces équipes pensent délivrer. Et aussi les difficultés qu’elles ressentent. Si elles ne mettent pas en pratique quelque chose d’important dans l’expérience cible, nous devons comprendre pourquoi. Est-ce parce que des conditions pratiques les en empêchent ? Parce qu’elles ne sont pas bien formées pour cela ? Ou bien tout simplement parce qu’elles n’y croient pas ? Les réponses à ces questions sont extrêmement éclairantes sur la nature des actions correctrices à mettre en œuvre. 

Votre parti-pris est de confronter les intentions de la marque à ce qui est réellement mis en pratique auprès des consommateurs. N’est-ce pas une forme de contre-pied aux dérives que l’on observe parfois dans l’usage du NPS ? … 

LK : Cela peut aller dans ce sens en effet. Lorsque les vendeurs demandent aux clients de bien les noter, tout simplement parce qu’ils sont incentivés sur ces indicateurs, cela signifie que les mesures sont complètement dévoyées. Il faut absolument éviter cela…

TN : Ces dérives sont possibles. Mais on ne doit pour autant pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le NPS reste un outil puissant et éclairant, par ses métriques mais aussi via les réponses aux questions ouvertes, qui délivrent des indications précieuses pour action. Il donne la voix aux clients. Mais comme tout outil, il doit être utilisé à bon escient par les marques. Et il est nécessaire de l’associer et le « corréler » à d’autres observations pour atteindre le bon niveau d’actionnabilité. Notre propos n’est surtout pas de dire qu’il faut repartir de zéro avec les dispositifs que nous avons évoqués, comme Voice of Teams ou Insiders. Mais qu’ils apportent beaucoup lorsqu’on les combine à d’autres, de type Voix du Client tels que le NPS ou à des études de mystery-shopping. C’est ce qui permet aux équipes de disposer d’une vision synthétique, avec un KPI clé comme le NPS, mais aussi d’avoir les « billes » pour identifier ce sur quoi agir. 

Le NPS reste un outil puissant et éclairant, par ses métriques mais aussi via les réponses aux questions ouvertes, qui délivrent des indications précieuses pour action. Il donne la voix aux clients. Mais comme tout outil, il doit être utilisé à bon escient par les marques.

Vous avez évoqué l’usage des questions ouvertes intégrées dans les approches NPS. Est-ce qu’il n’y a pas une difficulté particulière à bien les exploiter ?

LK : Oui, mais l’intelligence artificielle et ce que l’on appelle les ‘Large Language Models’ nous ont fait faire des avancées considérables. Après beaucoup de tests et d’expériences, nous avons pu identifier une solution multilingues vraiment efficace, qui a la capacité de proposer spontanément de regroupements d’idées. Tout en restant agile dans son enrichissement (mutuel) avec nos analystes

Voyez-vous un dernier point à ajouter en particulier à destination des équipes côté annonceurs ?

TN : S’il y a un conseil qui nous parait important, c’est celui d’impliquer au maximum le personnel en contact tant dans l’élaboration que l’exploitation de ces dispositifs autour de l’Expérience Client. A contrario, ce qu’il faut absolument éviter, c’est la fameuse « tyrannie des métriques » que Jerry Z. Muller évoque dans son livre, dont la lecture nous semble vraiment recommandée. Sinon, on en arrive très vite à des dérives, l’auteur le montre avec force exemples. Les métriques ne doivent pas être une fin en soi, mais une aide pour mieux agir à la fois au service des clients et de l’entreprise.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Lea König et @ Truong Nguyen

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

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