Si l’usage de l’Intelligence Artificielle dans le domaine des études marketing n’est pas vraiment une nouveauté, le lancement de ChatGPT fin 2022 a fortement marqué les esprits. Et suscité des réactions contrastées sur les opportunités et les risques induits pour l’industrie, le métier de market research analyst étant souvent cité comme faisant partie des plus susceptibles d’être remplacés par l’IA. Qu’en est-il en réalité ? Quels sont les impacts les plus vraisemblables ? Nicolas Guillemot, fondateur d’un des grands spécialistes du Social listening, Dynvibe, nous livre sa vision.
MRNews : Quel sera selon vous l’impact de ChatGPT sur le Market Research ? Cet outil révolutionne-t-il la façon de générer des insights ?
Nicolas Guillemot (Dynvibe) : Oui, ChatGPT constitue à mon sens une révolution pour les métiers et les pratiques du Market Research. Mais il ne faut pas se tromper. Dans sa version actuelle, triplement limitée — en termes de corpus, de récence et de fiabilité des informations —, ChatGPT n’est pas une usine à produire des insights régurgités en tant que tels. Le percevoir ainsi serait erroné. Mais il doit être utilisé pour ce qu’il est, un extraordinaire copilote pour accompagner l’humain à différentes phases de création et de restitution des études. Il apporte d’ores et déjà — et cela ne fera que progresser —, une vraie aide pour soulager les chargés d’études et les analystes des taches plus pénibles.
ChatGPT n’est pas une usine à produire des insights régurgités en tant que tels. Le percevoir ainsi serait erroné. Mais il doit être utilisé pour ce qu’il est, un extraordinaire copilote pour accompagner l’humain à différentes phases de création et de restitution des études.
Quelle est plus précisément la nature de cette aide ?
ChatGPT dispose d’une forte maitrise du langage. Il est en mesure de fournir une assistance extrêmement pertinente et rapide sur toutes les étapes de rédaction de contenus des études. Que ce soit pour trouver un titre accrocheur, proposer une synthèse, formuler des key learnings, exprimer des recommandations… Et ce en sachant s’adapter aux différents publics. Bien briefé, il ne produit pas le même contenu selon que l’enjeu est de partager largement des enseignements d’études dans une entreprise ou bien de convaincre un directeur marketing !
ChatGPT apporte également une aide considérable pour faire tomber la barrière des langues. Sur les investigations multi-pays, les chargés d’études peuvent travailler dans leur langue d’origine, sans craindre le risque d’une perte de sens au moment de la traduction. C’est vrai pour les questionnaires, mais aussi pour les restitutions des résultats, les synthèses. L’apport d’open.ai sur le SpeechToText avec Whispr a permis de rentrer dans une nouvelle ère d’analyse du verbal, tenant compte du contexte et des composantes culturelles.
ChatGPT dispose d’une forte maitrise du langage. Il est en mesure de fournir une assistance extrêmement pertinente et rapide sur toutes les étapes de rédaction de contenus des études (…). Il apporte également une aide considérable pour faire tomber la barrière des langues.
Est-ce si simple de solliciter l’open AI de sorte qu’elle livre des réponses réellement pertinentes ?
C’est simple au sens où tout le monde peut formuler une question. Mais, en effet, cela soulève un vrai défi. Celui de l’apprentissage de ce que l’on nomme aujourd’hui le prompting, qui est l’art de bien se faire comprendre de ChatGPT. Le métier de ‘prompt engineers’ est le job du futur, des formations et recrutements sont déjà apparus notamment aux USA.
ChatGPT ne va donc pas inéluctablement remplacer les chargés d’études comme cela a été dit par certains…
Non. Mais l’adaptation à ce nouvel outil est réellement indispensable. L’humain garde un rôle fondamental. Il doit rester le garant de la fiabilité des sources, de l’origine et la pertinence des données collectées et synthétisées. Son hyper expertise sur des secteurs, des catégories et des profils de consommateurs va être de plus en plus primordiale. Le futur chargé d’études devra être cet expert à intelligence ajoutée, spécialiste du prompting pertinent et de l’utilisation correcte des IA.
Le futur chargé d’études devra être cet expert à intelligence ajoutée, spécialiste du prompting pertinent et de l’utilisation correcte des IA.
Au sein des entreprises, côté annonceurs, quel sera selon vous le principal bénéfice associé à l’usage de l’open IA ?
Je suis convaincu que l’IA peut apporter beaucoup sur cet enjeu clé que constituent l’utilisation des résultats d’études et le partage des insights. Je pense en particulier aux possibilités que cela ouvre pour personnaliser la restitution des enseignements. Avec la perspective, pour chaque service au sein de l’organisation, d’interagir on-demand. Chacun pourra découvrir et interroger l’étude en fonction de son propre angle d’analyse, mais aussi de ses besoins ou de ses préférences, notamment sur des aspects de format. L’apparition des avatars discussionnels intelligents, couplés à ChatGPT, peut recréer la sensation d’un échange ‘humanisé’ pour accompagner l’appropriation des études.
Je suis convaincu que l’IA peut apporter beaucoup sur cet enjeu clé que constituent l’utilisation des résultats d’études et le partage des insights.
Mais il sera enfin aussi possible de mettre à disposition toute la connaissance de l’entreprise et des études réalisées au profit de tous. On le sait, ChatGPT peut se servir de ce qui est disponible sur le web. Mais il peut également puiser dans un corpus d’études appartenant à l’organisation. Et l’on peut ainsi ré-entrainer ses moteurs GPT pour leur apprendre ce qu’est un insight, une data quantitative, un key learning, un signal faible, etc.
Le grand domaine d’expertise de Dynvibe est le Social Listening. Quel est l’impact de l’IA et de ChatGPT spécifiquement pour cet univers ?
La Social Intelligence — c’est le terme que nous privilégions, il nous semble mieux définir la nature de notre activité — est le premier domaine d’application à pouvoir bénéficier pleinement de la puissance des IA génératives de type ChatGPT. Avec elles, on raccourcit encore le temps qui s’écoule entre l’apparition d’une tendance et son analyse ! Les insights spontanément produits par les consommateurs, collectés quotidiennement quasiment en instantané par les plateformes de Social Listening peuvent désormais être résumés efficacement, ou analysés en profondeur. Il ne s’agit bien sûr pas de science-fiction, les premières intégrations de ChatGPT sur des plateformes de social Listening ont déjà été réalisées. YouScan en est un exemple. On peut ainsi, simplement en un clic ou un prompt, se plonger dans la compréhension des « pain points » ou les attentes des consommateurs. Nous-mêmes avons intégré GPT4 à Dynvibe DETECT, notre plateforme d’analyse sur l’influence, et les résultats sont impressionnants.
La Social Intelligence est le premier domaine d’application à pouvoir bénéficier pleinement de la puissance des IA génératives de type ChatGPT. Avec elles, on raccourcit encore le temps qui s’écoule entre l’apparition d’une tendance et son analyse !
Quelles sont les zones de risque, spécifiquement dans cet usage de l’IA dans le Social Listening ?
Il est essentiel pour l’humain de garder l’expertise méthodologique qui garantit la qualité et la sincérité des études réalisées. Et il y a un vrai danger à se servir de l’IA d’abord et avant tout pour gagner en productivité, ce qui se traduirait par une « synthétisation » excessive des concepts. Dans ce cas, exit les nuances, la recherche du sens profond des phénomènes observés… Et on se prive du fameux « So what ? » qui fait la richesse et l’intérêt de notre expertise.
De même, il y a un réel risque sur la qualité et l’origine des données consommateurs ou d’influence marketing collectées. Comment repérer, sur les plateformes de Social Listening, les contenus qui auront été générés par des IA ? Si l’expertise humaine disparait trop vite de la chaîne de valeurs, nous risquons d’avoir de la donnée générée par l’IA, recueillie puis analysée par l’IA, dont nous dirons quelle est « la voix du consommateur » …
Il est essentiel pour l’humain de garder l’expertise méthodologique qui garantit la qualité et la sincérité des études réalisées (…). Si (son) expertise disparait trop vite de la chaîne de valeurs, nous risquons d’avoir de la donnée générée par l’IA, recueillie puis analysée par l’IA, dont nous dirons quelle est « la voix du consommateur » …
En résumé, l’Open IA est synonyme à la fois de belles opportunités mais aussi de risques pour le market research. Êtes-vous confiant sur le sens dans lequel la balance va pencher ?
Oui, je suis raisonnablement confiant. Les révolutions technologiques suscitent toujours de la méfiance, à juste titre car certains cherchent à avancer à toute vitesse, privilégiant les gains de productivité offerts par les IA génératives au détriment de la qualité.
Cependant, le Market Research se distingue par son exigence extrême en matière de fiabilité des études. Les nouvelles méthodologies et technologies utilisées sont constamment mises au défi. Nous le constatons notamment dans le domaine de la Social Intelligence, grâce à notre travail d’évangélisation et aux réponses que nous apportons depuis des années sur des sujets tels que la représentativité, l’origine des sources, la quantification, etc. Cette méfiance préalable à l’adhésion est, à mon avis, un garde-fou très efficace pour favoriser les acteurs sérieux. Une fois l’adhésion obtenue et les méthodologies validées, cela permettra une utilisation véritablement améliorée des études, avec une diffusion maximale au service de toute l’entreprise. Ainsi, le besoin d’études ne fera que se renforcer.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Nicolas Guillemot
