Si l’hybridation n’est nullement une fin en soi et à la condition de l’orchestrer au cas par cas, elle peut néanmoins apporter beaucoup pour adresser des enjeux stratégiques. C’est la conviction que nous font partager ici Elodie-Anne Gandelin et Pierre Doignies (Audirep), avec l’exemple d’un projet sur-mesure mené sur une problématique d’innovation, ayant mobilisé des compétences études qualitatives, quantitatives, mais aussi du social listening et les principes du design thinking.
MRNews : Comment résumeriez-vous vos convictions clés sur le bon usage de l’hybridation dans le domaine des études marketing ?
Elodie-Anne Gandelin (Audirep) : L’idée que 1 + 1 font plus que 2 me parait à la fois simple et juste pour définir ce qu’apporte l’hybridation. Mais cela implique de ne pas se limiter à une juxtaposition de méthodes, et de parvenir à une réelle imbrication. Chez Audirep, nous utilisons souvent un autre terme, celui de « métissage ». Il me semble qu’il exprime bien le fait que l’association doit produire quelque chose de vraiment neuf. Réussir celle du quali et du quanti constitue déjà une excellente base. Il est naturellement possible de procéder à des montages plus « sophistiqués », mais la règle n°1 est de définir ces combinaisons d’abord et avant tout en fonction des besoins et du contexte de nos clients. C’est un peu une évidence pour nous du fait de notre très forte culture ad hoc. Hybrider pour hybrider n’est pas dans nos réflexes. Mais, pour nombre de problématiques que nous soumettent nos interlocuteurs, cela serait réellement dommage de ne pas exploiter ce principe.
L’idée que 1 + 1 font plus que 2 me parait à la fois simple et juste pour définir ce qu’apporte l’hybridation. Mais cela implique de ne pas se limiter à une juxtaposition de méthodes, et de parvenir à une réelle imbrication. Chez Audirep, nous utilisons souvent un autre terme, celui de « métissage ».
Pierre Doignies (Audirep) : Je crois qu’il y a de vraies bonnes raisons à ce que l’hybridation soit aussi présente dans nos réflexions. Cela donne souvent la possibilité d’obtenir des éclairages extrêmement opérationnels, ce qui est une demande forte de nos clients. La réponse est fine, précise. J’ajouterai cependant qu’il y a différentes modes d’hybridation. On peut hybrider des modes de recueil, mais également des modes d’analyse. Et ce très simplement. Par exemple pour traiter les réponses aux questions ouvertes dans un dispositif quantitatif, en faisant en sorte que l’analyse soit menée par des qualitativistes, ce qui apporte un réel plus dans certains cas.
Il y a de vraies bonnes raisons à ce que l’hybridation soit aussi présente dans nos réflexions. Cela donne souvent la possibilité d’obtenir des éclairages extrêmement opérationnels, ce qui est une demande forte de nos clients.
La synergie quali-quanti est à priori une évidence. Elle n’est pourtant pas si facile à mettre en œuvre…
EAG : C’est vrai, mais je pense que cela soulève plus de difficultés dans les grands instituts, ou les effets de silos sont pénalisants. Audirep est une petite structure, ce qui est un gage de fluidité dans la façon dont quantitativistes et qualitativistes peuvent travailler ensemble. Les premiers ont le réflexe de venir assister aux réunions de groupe. Et les seconds participent à l’élaboration des questionnaires. Cela semble peu de choses, mais c’est pourtant essentiel !
PD : Audirep a fait un vrai choix stratégique, il y a trois ans maintenant, c’est-à-dire durant la crise du covid, nous avons en effet musclé plus fortement notre présence sur les études le quali. Nous pressentions que cela serait un réel plus pour mieux répondre aux interrogations de nos clients dans un monde souvent défini comme VULCA. Le terme peut paraître galvaudé, mais il renvoie bien à une réalité. Les consommateurs sont plus difficiles à appréhender et les changements en cours ne peuvent plus être analyses avec un seul prisme. La mixité des regards est nécessaire et même indispensable, selon nous !
Audirep a fait un vrai choix stratégique, il y a trois ans maintenant, c’est-à-dire durant la crise du covid, nous avons en effet musclé plus fortement notre présence sur les études le quali. Nous pressentions que cela serait un réel plus pour mieux répondre aux interrogations de nos clients dans un monde souvent défini comme VULCA.
Dans les faits, cela s’est passé très naturellement, et la taille de l’équipe Quali a ainsi doublé en peu de temps. Nous avons tout de suite fonctionné en harmonie. Des tandems se mettent en place spontanément en fonction des problématiques que nous soumettent nos interlocuteurs. Et nous travaillons avec une efficacité accrue, car nous ne confions plus (sauf grosses surcharges) les phases d’études qualitatives à des freelances, ce qui génère quasiment toujours une forme de déperdition.
Venons-en à un cas concret de projet hybride qui vous a semblé particulièrement marquant, celui mené pour Arpa, une société présente dans l’univers de la cuisine. Quelle était plus précisément la problématique ?
PD : Arpa est un spécialiste des plaques de cuisson, un assembleur qui intervient en mode business-to-business. Cet acteur nous a consultés au moment où ses équipes s’interrogeaient sur l’orientation de leur stratégie d’innovation et recherchaient de nouveaux relais de croissance. Elles avaient déjà formulé un nombre conséquent de pistes, avec un angle de vue très « technique ». Ce qui renvoie à la culture ingénieuriale de cette société. Mais elles ressentaient néanmoins le besoin et l’intérêt d’adopter une approche différente, en s’appuyant sur une vision consommateur. Le contexte était ainsi particulièrement challenging, du fait de l’importance des enjeux business mais aussi culturels.
EAG : Nous leur avons donc proposé une démarche itérative, pour ne pas se limiter à connaitre les attentes des consommateurs d’un point de vue « théorique », « abstrait », et leur permettre d’identifier les pistes d’innovation les plus pertinentes à partir de celles-ci. Nous avons conçu un dispositif autour de 3 grandes phases seulement, mais s’appuyant sur une assez large palette de briques techniques. Et nous l’avons ainsi menée ensemble.
Comment s’est déroulé le projet. En quoi consistaient plus précisément ces 3 grandes phases ?
EAG : La première avait vocation à nous immerger tous dans l’écoute des consommateurs. Nous avons d’abord procédé à une exploration de type social media listening, sur les réseaux sociaux donc, pour saisir ce que les gens partageaient au sujet des plaques de cuisson et l’environnement qui va autour. Plus concrètement, nous sommes parvenus à faire remonter des expériences et des irritants que les utilisateurs évoquaient spontanément. À la suite de quoi nous avons lancé une investigation « ethno », avec des entretiens individuels. Nous sommes allés voir les gens chez eux, pour approfondir, vraiment observer ce qu’ils faisaient dans leur cuisine, dans quel contexte et avec quels aménagements, et bien comprendre les problèmes qu’ils rencontraient. Beaucoup d’insights sont apparus grâce à ces deux premiers éclairages. Pierre a complété ceux-ci par une étude quantitative, une U&A, pour dresser une typologie et appréhender le volume des différentes cibles.
PD : En réalité, nous avons pris l’initiative de démarrer ce quanti avant même d’avoir terminé cette étape ethno, à peu près à mi terrain, après une douzaine d’entretiens. Lorsque la typologie est apparue clairement, nous avons ainsi pu échanger avec nos interlocuteurs d’Arpa pour cerner les cibles les plus intéressantes pour eux. Et se concentrer sur elles pour la suite de cette étape ethno.
Cette première phase d’exploration à 3 facettes a permis de recenser des insights pertinents. Et ensuite ?
EAG : Ces insights obtenus, encore fallait-il les transformer en pistes d’innovation. C’était l’objet de la seconde phase, celle de l’idéation, menée avec des consommateurs. Nous avons pour cela organisé des réunions de groupe avec une forte tonalité créative, en utilisant beaucoup de stimuli pour faire émerger des idées. Et nous avons ensuite mis en œuvre un screening quantitatif pour hiérarchiser celles-ci.
La troisième et dernière phase est celle de « l’atterrissage ». Nous avons dans un premier temps réalisé un workshop avec les équipes d’Arpa, pour transformer les idées en concepts. C’est ce que nous appelons le prototypage.
PD : Une fois ces concepts obtenus, et compte tenu de l’importance des enjeux industriels pour notre client, nous avons lancé une nouvelle investigation quantitative pour hiérarchiser ceux-ci. Et définir ainsi avec la meilleure sécurité possible les territoires d’innovation les plus opportuns.
Dans le cadre de ce projet, vous avez déployé une large palette technique : du social listening, des groupes qualitatifs et de l’ethno, des études quantitatives, des ateliers de design thinking. La démarche a-t-elle répondu aux attentes de votre client ?
EAG : Pour ce qui est des moyens mobilisés, nous nous sommes fortement appuyées sur nos ressources internes. Mais j’ajouterai que nous avons également bénéficié d’apports externes. Je pense en particulier à la composante Social Listening, utile pour défricher le sujet et savoir de quel côté il fallait aller « gratter ». Mais aussi aux sketchers — des freelances —, qui nous ont bien aidés dans la phase d’élaboration des prototypes. Ainsi énumérées, on peut avoir le sentiment que cela fait beaucoup de briques. Mais, dans le cadre d’une démarche conçue pour alimenter une réflexion de bout en bout, tout s’est enchainé très logiquement, naturellement. À la fois selon la problématique et les modes de fonctionnement de nos interlocuteurs.
PD : Pour ce qui est notre client, je pense que l’on peut considérer le contrat comme étant rempli. Nous ne pouvons pas dévoiler des informations confidentielles, mais ses équipes sont bien parvenues à l’issue de ce projet à identifier de vrais relais de croissance possible. Peut-être pas là où ils s’y attendaient le plus, mais avec des indications très précises sur les axes à développer selon des attentes des consommateurs. Les innovations qui sont aujourd’hui encore dans le « pipe » chez eux sont bien ancrées dans les usages. La quantification que nous avons menée a aussi permis de sécuriser des décisions industrielles, et donc lourdes de conséquences. Tout cela n’aurait pas été envisageable sans cette hybridation, ce métissage pour reprendre ce mot.
Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ? Si c’était à refaire, procéderiez-vous à l’identique ?
PD : Peut-être il aurait été possible d’alléger un peu les questionnaires dans les étapes quantitatives. Mais je n’en suis même pas certain, tout parait toujours plus simple a posteriori… Je pense que le fait d’avoir entrecoupé le quali avec du quanti a apporté un vrai plus. Cela nous a permis de gagner en efficacité pour réaliser l’investigation ethno. C’est un principe que nous pourrons reconduire dans le cadre d’autres projets.
EA : L’expérience a été très positive pour nous. Nous avons mieux pris conscience de notre capacité à accompagner un client de bout en bout dans l’élaboration d’une stratégie d’innovation customer-centric, ce qui est le souhait de nombreuses entreprises. Et sans doute y sommes-nous parvenus en allant au-delà de la prestation classique des instituts d’études. Le dispositif que nous avons mis en place peut sembler un peu complexe vu de loin, mais je crois qu’il nous a permis de coller spécifiquement au contexte de nos interlocuteurs. Pour d’autres clients, il aurait certainement été différent. C’est une préoccupation très forte chez nous que d’intervenir ainsi en mode « sur-mesure ».
L’expérience a été très positive pour nous. Nous avons mieux pris conscience de notre capacité à accompagner un client de bout en bout dans l’élaboration d’une stratégie d’innovation customer-centric, ce qui est le souhait de nombreuses entreprises. Et sans doute y sommes-nous parvenus en allant au-delà de la prestation classique des instituts d’études.
Je soulignerai enfin l’énorme avantage, pour des sujets aussi importants, de pouvoir s’appuyer sur une vraie construction, en prenant le temps de bien faire les choses. Au démarrage, le chemin peut sembler un peu long. Mais, à l’arrivée, on aboutit à des éclairages durables. Hybrider ainsi, avec ce niveau de consistance, nous permet de renforcer notre capacité à accompagner les entreprises sur des enjeux réellement stratégiques.
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewé(e)s : @ Elodie-Anne Gandelin @ Pierre Doignies