# Faut-il repenser les tests d’innovation ? (volet 2)
Interview de Marie Michel, Directrice du Département Grande Consommation d’Enov

"Il n’est jamais trop tôt pour intégrer les consommateurs dans les études d’innovation" 

Marie Michel
Directrice du Département Grande Consommation d’Enov

21 Mar. 2023

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Pour Marie Michel (Enov), de vrais points de tension existent côté annonceurs sur les enjeux d’innovation. Avec un taux important d’échecs, y compris pour des innovations incrémentales, mais aussi une forte proportion de projets avortés tardivement, faute de présenter des chances suffisantes de succès. Elle nous livre ses convictions quant aux marges de manœuvre activables pour les études marketing consacrées à cette problématique clé, et plus largement sur les dispositifs d’accompagnement pouvant être mis en œuvre. 

MRNews : Quelles évolutions vous marquent le plus s’agissant du contexte ou du mindset de vos clients sur ces enjeux d’innovation ?

Marie Michel (Enov) : Nous percevons trois grands points de tension côté annonceurs. Le premier est que les tests et plus globalement les processus d’innovation sanctionnent trop tardivement les développements qui sont menés. Nous nous retrouvons régulièrement face à des interlocuteurs qui souhaitent réaliser un dernier test juste avant lancement d’un produit ou un service. Si la conclusion est défavorable — et cela arrive ! —, ils doivent abandonner la piste après des mois et des mois d’efforts, et avoir dépensé beaucoup de ressources. Lorsque l’étude intervient ainsi, en mode couperet, c’est terriblement frustrant pour les annonceurs. Et ça l’est aussi pour nous. La forte proportion d’échecs au moment des lancements est le second point de tension. Cela interroge également les pratiques d’études, souvent trop déconnectées de la réalité Consommateurs. Le troisième point que je mentionnerais est la réduction du time to market, notamment face aux pure players du digital qui chamboulent les règles du jeu. Cette pression du temps est extrêmement présente et n’a fait que s’amplifier ces dernières années.

Nous nous retrouvons régulièrement face à des interlocuteurs qui souhaitent réaliser un dernier test juste avant lancement d’un produit ou un service. Si la conclusion est défavorable — et cela arrive ! —, ils doivent abandonner la piste après des mois et des mois d’efforts, et avoir dépensé beaucoup de ressources.

Ce taux d’échecs élevé ne concerne-t-il pas plus spécifiquement les innovations de rupture ? Et ne varie-t-il pas fortement en fonction des secteurs d’activité ? 

Nous intervenons sur des univers différents, dont celui de la Grande Consommation dont je suis responsable, mais aussi les services comme la banque-assurance, les telecoms, le transport, le retail… Et ce constat d’un taux d’échecs élevé s’applique à tous, y compris pour de l’innovation incrémentale. Par exemple sur des cleanings de formules dans le domaine de la beauté, ou de recettes dans le food. Le moindre changement peut dégrader la fidélité du cœur de cible, ce sont donc toujours des exercices à haut risque !

Ces trois points de tension sont interpellants. Quelles sont vos convictions quant à la meilleure façon de les adresser ?

Il faut impérativement s’extraire de cette logique dans laquelle les tests interviennent trop tard, en mode sanction. C’est décourageant pour les clients, et ce n’est pas ainsi que nous aimons travailler chez Enov. Nous accordons beaucoup d’importance aux prémices des développements. Une petite phrase que nous disons régulièrement à nos interlocuteurs en plein processus d’innovation est qu’il n’est jamais trop tôt pour intégrer les consos. Les entreprises ont encore souvent le réflexe de développer leurs idées, leurs concepts, et de n’aller sonder les consommateurs qu’en fin de course. Pour optimiser les chances de succès, nous pensons préférable de travailler autrement.

Les entreprises ont encore souvent le réflexe de développer leurs idées, leurs concepts, et de n’aller sonder les consommateurs qu’en fin de course. Pour optimiser les chances de succès, nous pensons préférable de travailler autrement.

Tester très tôt, n’est-ce pas prendre le risque de tuer dans l’œuf des idées intéressantes, et de brider la créativité ?

Oui, et c’est bien pour cela que cette intégration au plus tôt des consommateurs dans le processus signifie non pas tester des innos dès leur naissance, mais façonner des innos pertinentes pour les consommateurs identifiés comme étant les premiers concernés. Dans un premier temps, la priorité est donc bien de s’assurer qu’il existe un potentiel pour l’innovation pressentie, en établissant une cartographie claire des attentes, besoins, et comportements des consommateurs. Cette première phase consiste également à détecter et définir la cible utile. C’est ce qui va permettre d’aligner toute la démarche par la suite. Or on voit encore souvent des entreprises travailler sur une idée et ne se poser que très tard la question de savoir qui cela va intéresser. Quoi de mieux finalement que de se connecter aux consommateurs pour éviter d’être déconnecté de sa réalité.

Cette intégration au plus tôt des consommateurs dans le processus signifie non pas tester des innos dès leur naissance (…). Dans un premier temps, la priorité est de s’assurer qu’il existe un potentiel pour l’innovation pressentie, en établissant une cartographie claire des attentes, besoins, et comportements des consommateurs. Cette première phase consiste également à détecter et définir la cible utile.

Cette mise à plat des insights est la première étape de ce que nous dénommons chez Enov la Méthode Cube, pour une créativité puissance 3. Un dispositif itératif et de co-création inspiré du Design Thinking qui place la communauté online au cœur de son mode de recueil. Elle fonctionne en 3 temps. D’abord la phase « Connect » dont nous venons de parler, puis la phase « Créa », et enfin vient la phase « Check » et les tests que cela suppose. Elles sont précises dans leur finalité, mais nous mettons un point d’honneur à être flexibles dans leur mise en œuvre, selon les contextes des clients et des projets.

Quelle est votre philosophie sur la façon de gérer la phase « Créa » ?

La souplesse prime là aussi. Si l’entreprise a déjà des concepts, nous devons les intégrer. Ou, si elle n’en a pas encore, les aider à les produire dans des ateliers d’idéation et de co-création. Mais, là encore, nous pensons qu’il convient d’éviter de rentrer dans un tunnel en se disant « on sondera le consommateur à la sortie ». Nous devons bien sûr travailler en étroite concertation avec les équipes concernées chez l’annonceur, pour bien assimiler leurs contraintes. Mais notre vision est que la voix du consommateur doit elle aussi être associée dans ces phases de création, dans le cadre des workshops. Il doit toujours être présent, c’est lui qui in fine achètera ou pas le produit.

Dans ce triptyque que vous avez évoqué, la dernière phase Check est celle où intervient le test à proprement parler. Quelles sont vos convictions sur la façon la plus efficace de la mener ?

Le point qui nous semble essentiel consiste à l’inscrire dans un principe d’alignement sur une cible, qui doit idéalement s’appliquer tout au long du processus. Cette cible est définie dans le cadre de la première phase exploratoire Connect. C’est autour d’elle et pour elle que l’on développe des concepts en cohérence avec ses attentes et besoins. Et c’est en toute logique encore auprès d’elle que le Check doit être réalisé, pour boucler ainsi la boucle.

C’est à ce moment-là que l’on teste les différentes idées issues de la phase Créa. On va les évaluer, de sorte à ne retenir que les pistes ayant la plus forte valeur ajoutée. Mais on va aussi pouvoir les nuancer, les affiner via des itérations.

Quelles ressources mobilisez-vous pour mener ces projets et selon quelle organisation ?

Nous avons pris le parti d’une organisation à dominante sectorielle, que nous jugeons la plus adaptée pour répondre aux besoins de nos clients. Mais, au sein de ces secteurs, différentes expertises métiers sont sollicitées. Pour travailler sur ces processus d’innovation, nous associons en effet des compétences variées. Qualitatives et quantitatives, parce que nous mettons le plus souvent en œuvre des dispositifs hybrides. Nous les menons avec des profils formés au Design Thinking. Ainsi qu’avec des facilitateurs graphiques, des gens qui savent réaliser des croquis, donner une forme à des concepts, le plus souvent en live. Cela permet aux participants des workshops de mieux s’immerger dans la matière, et ainsi de décupler leur créativité. 

Vous intervenez en mode ad hoc, la géométrie des projets peut donc être variable. C’est cette démarche en 3 temps que vous avez décrite qui assure une forme d’unité ?

Absolument. C’est ce qui nous permet de faire en sorte qu’il n’y ait pas de rupture. Nos interlocuteurs nous disent parfois qu’ils disposent de beaucoup d’informations. Mais, en creusant un peu, on s’aperçoit souvent que celles-ci ne portent pas sur les mêmes cibles, ou bien que le concept a évolué dans le temps. Cet alignement nous aide à aller vite, à travailler avec fluidité et à capitaliser d’étape en étape, en intégrant les consommateurs de bout en bout. Nous pouvons ainsi procéder par itération, que ce soit dans la phase Créa ou bien au moment du Check. Cette méthode est stimulante pour nous en interne. Nous cherchons à nous adapter, ajuster et inventer de nouveaux procédés d’animation et à davantage proposer la co-construction. Et ce en étant très souple pour utiliser les matériaux existants de l’entreprise, qu’il s’agisse d’informations ou de concepts. Ce qui importe d’abord et avant tout, c’est de réunir ces trois briques, dans cet ordre-là.

Nos interlocuteurs nous disent parfois qu’ils disposent de beaucoup d’informations. Mais, en creusant un peu, on s’aperçoit souvent que celles-ci ne portent pas sur les mêmes cibles, ou bien que le concept a évolué dans le temps. Cet alignement (que nous utilisons) nous aide à aller vite, à travailler avec fluidité et à capitaliser d’étape en étape, en intégrant les consommateurs de bout en bout.

Une dernière question enfin. Pouvez-vous évoquer l’exemple d’une étude d’innovation qui vous a singulièrement marquée, et nous dire pourquoi ? 

Je ne citerai pas l’annonceur, confidentialité oblige. Mais le premier auquel je pense est un projet que nous avons mené dans le domaine alimentaire, dans un contexte difficile. Le brief était particulièrement challengeant pour différentes raisons, dont le fait qu’il nous a été soumis en plein confinement sanitaire ! L’entreprise souhaitait lancer un produit avec une recette aboutie et tout à fait originale, dans un délai très court, mais sans avoir une vision arrêtée ni du potentiel, ni de la cible, ni du positionnement. Cela faisait donc beaucoup d’ingrédients délicats à gérer… Et nous sommes néanmoins parvenus à monter un dispositif valide, en nous appuyant sur cette méthodologie que j’ai présentée. Nous avons su tout décortiquer, les besoins, les attentes conso, les cibles les plus pertinentes et le potentiel sur le marché. Faire tester le produit auprès des consommateurs pressentis, et non pas seulement en interne, comme cela peut être parfois le cas. Et définir clairement le positionnement de la gamme avant lancement sur le marché. 

Dans un tout autre registre, nous venons de répondre à un brief très complet et complexe, pour une grande entreprise, sur plusieurs pays, mobilisant toutes les briques que nous avons évoquées. Cela pourrait être passionnant. Dans ce cas comme dans le précédent, ces projets impliquent que l’on fasse réellement équipe avec le client, avec des relations de proximité et de confiance. Un test et plus largement un projet d’innovation réussi, c’est un processus dans lequel il y a une forte osmose, avec une triangulation qui fonctionne entre l’institut, les équipes de l’annonceur, et bien sûr les consommateurs.


 POUR ACTION 

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