# Faut-il repenser les tests d’innovation ? (volet 1)
Interview de Sandrine Pouré, Scènes de Vie

"L’agilité a aujourd’hui toute sa place dans les tests d’innovation"

Sandrine Pouré
Co-fondatrice de Scènes de Vie

15 Fév. 2023

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Si les tests d’innovation font classiquement partie des études marketing qui s’appuient le plus sur des normes, des alternatives sont possibles. C’est la voie explorée par Scènes de Vie, un institut spécialiste des FMCG, qui fait avec son outil Screenorama le pari de répondre à l’impératif d’agilité qui s’imposent aux équipes marketing. Sa co-fondatrice, Sandrine Pouré, nous en présente les grands principes.

MRNews : Les besoins de vos interlocuteurs en matière de tests d’innovation ont-ils beaucoup changé ces dernières années ?

Sandrine Pouré (Scènes de Vie) : Les contraintes budgétaires se sont nettement renforcées pour les équipes études. C’est sans doute l’évolution la plus frappante. Cela s’applique à quasiment tous les domaines de recherche, y compris aux enjeux d’innovation qui sont pourtant très sensibles. Dans la Grande Consommation où nous intervenons principalement, la moindre erreur peut être lourde de conséquences. La composante « industrielle » est importante. Mais les entreprises ont moins le réflexe de tester systématiquement tous leurs produits avant lancement, ces études étant couteuses surtout lorsqu’elles sont réalisées en face à face avec des linéaires reconstituées. La pression du temps est elle aussi plus vive, il faut pouvoir réagir vite sur certains marchés. Tout cela se traduit par un fort besoin de plus d’agilité à certaines étapes des processus d’innovation. J’ajouterai que les équipes marketing font plus que par le passé la part des choses entre les innovations stratégiques qui exigent de prendre beaucoup de précautions et celles qui sont plus de nature « tactique ». Dans ce dernier cas, des éclairages plus « lights » suffisent. Il faut d’abord et avant tout quelques indicateurs clairs pour statuer et choisir entre différentes pistes, avec néanmoins des chiffres pour objectiver le débat avec une direction générale. 

« Les contraintes budgétaires se sont nettement renforcées pour les équipes études. C’est sans doute l’évolution la plus frappante (…). La pression du temps est elle aussi plus vive, il faut pouvoir réagir vite sur certains marchés. Tout cela se traduit par un fort besoin de plus d’agilité à certaines étapes des processus d’innovation. J’ajouterai que les équipes marketing font plus que par le passé la part des choses entre les innovations stratégiques qui exigent de prendre beaucoup de précautions et celles qui sont plus de nature « tactique ».

Ces évolutions vous ont conduit à développer un outil, Screenorama. Quel en est le principe ?

Il s’agit d’un outil de test de nouveaux produits dans l’univers de la Grande Consommation, avec un recueil online. Nous l’utilisons également pour des extensions de gamme ou des études de packaging. Il peut naturellement servir, comme son nom l’indique, à opérer un screening dans des processus d’innovation, pour distinguer les pistes à potentiel versus celles qu’il faut abandonner. Mais il a aussi vocation à éclairer des décisions de lancement en mode go /no-go. C’est particulièrement vrai pour les innovations tactiques. Pour des innovations plus stratégiques, il permet d’évaluer la pertinence à poursuivre un développement. Et de répondre ainsi à la demande d’une Direction Générale, qui a besoin de chiffres pour s’assurer de la cohérence avec le business plan. Dans ce cas, il s’agit plus d’une étude intermédiaire, pour valider qu’on est sur les bonnes volumétries et repérer les pistes d’optimisation. 

« Screenorama est un outil de test de nouveaux produits dans l’univers de la Grande Consommation, avec un recueil online. Nous l’utilisons également pour des extensions de gamme ou des études de packaging. Il peut naturellement servir, comme son nom l’indique, à opérer un screening dans des processus d’innovation, pour distinguer les pistes à potentiel versus celles qu’il faut abandonner. Mais il a aussi vocation à éclairer des décisions de lancement en mode go /no-go. »

Avec cet outil, nous souhaitions également aller au-delà des normes qui sont souvent présentes dans ces processus de tests d’innovation. Non pas que nous soyons opposés à leur usage, nous disposons des nôtres que nous jugeons très utiles, et qui s’appuient sur un historique de plus de 15 ans d’études. Mais celles-ci ont néanmoins leurs limites, en particulier sur des indicateurs d’achat ou d’impact.

« Avec cet outil, nous souhaitions également aller au-delà des normes qui sont souvent présentes dans ces processus de tests d’innovation. Non pas que nous soyons opposés à leur usage (…) mais celles-ci ont néanmoins leurs limites, en particulier sur des indicateurs d’achat ou d’impact.

Parce que les contextes de mise en marché se sont complexifiés ?

Oui, les normes ne peuvent pas toujours s’appliquer parfaitement. Il y a beaucoup de cas particuliers, notamment du fait que les rayons sont souvent surchargés. Il n’y en a pas deux qui se ressemblent ! Les normes ont du mal à aller extrêmement loin dans le détail pour tenir compte de toute la variété des situations. Nous avons donc ressenti le besoin de proposer une approche qui s’affranchisse de cela, pour permettre aux entreprises de pouvoir prendre des décisions sur la base de données fiables, tout en restant dans des enveloppes budgétaires contenues. 

Imaginons que je sois responsable du consumer insight chez Bel. Quel est le processus ? Quels éléments faut-il pour déclencher l’étude ? Combien de produits dois-je tester idéalement ?

L’outil peut être utilisé en mode screening, nous l’avons évoqué, avec deux ou trois pistes par exemple. Il est bien sûr tout à fait possible de n’en tester qu’une seule, nous le faisons régulièrement. Dans tous les cas, il est nécessaire de disposer d’un mix relativement finalisé, avec un décor, un packaging et plus globalement des images de bonne qualité. Et d’au moins une première hypothèse de prix. Un point essentiel est que nous devons impérativement définir la catégorie du produit. Certaines équipes considèrent que leur « bébé » est très innovant et donc à cheval sur plusieurs… Mais on ne peut pas raisonner ainsi. Ni dans le cadre du test, puisque les estimations de volume de vente doivent s’adosser à une catégorie précise. Et, encore moins dans la vraie vie, le produit une fois commercialisé ne pouvant pas être présent dans plusieurs rayons du supermarché ni avoir le sien propre ! 

L’étude elle-même suit un déroulé relativement classique, avec des tailles d’échantillon qui varient entre 150 et 300 cas selon la nature des catégories analysées. Nous procédons à un recrutement online à partir de quotas sociodémographiques et des habitudes d’achat des individus. Nous insérons le produit dans l’image du rayon, et demandons aux participants de réaliser un acte d’achat dans la catégorie en question. Nous leur faisons également faire ce que nous appelons un « Considération Set », le panier d’achats intégrant une projection dans le temps. Ces différents éléments nous permettent d’établir des prévisions de volume. S’ajoute enfin un volet de questions complémentaires sur des notions d’intention d’achat et d’image.

Ce volet est conçu pour expliquer le niveau de performance mesuré ? 

Oui, tout à fait. Que cette performance soit forte ou au contraire trop faible pour envisager d’aller plus loin, des éléments d’explication sont indispensables. Il nous permet en outre d’identifier d’éventuelles pistes d’optimisation. Nous appréhendons la façon dont le produit est spontanément reçu, quelle compréhension immédiate en ont les gens. Avec ce qui plait, ce qui déplait, au global et plus spécifiquement sur les attributs du décor, la singularité perçue, l’incidence sur l’image de la marque… Nous vérifions également les intentions d’achat, et revenons plus précisément sur le prix, pour valider son bon ajustement.

J’ajoute par ailleurs qu’il est possible de procéder à une extension de l’étude, en envoyant les produits au domicile des consommateurs pour une phase de use-test.

Vous avez mené près d’une centaine d’études de ce type. Quel feedback vous donnent le plus souvent vos interlocuteurs côté annonceurs ?

L’outil est apprécié car il permet à la fois d’avoir des indications précieuses sur le potentiel de l’innovation – et les volumes de vente atteignables – et des pistes d’explication et donc d’optimisation de celle-ci. Et ce pour des budgets généralement compris entre 15 et 20K€, alors que le même type d’études en face à face coûte plutôt 50 K€. Dans certains cas, et en particulier quand le conditionnement sort des codes habituels de la catégorie, nous préconisons le face-à-face, pour que les gens puissent manipuler le produit. Mais, en dehors de ces cas spécifiques, le dispositif est très opérant. Les estimations de volume se recoupent globalement très bien avec celles de nos clients. Il nous arrive d’avoir des surprises par rapport à nos propres intuitions, cela a été le cas notamment pour une innovation lancée par Innocent. Mais le test avait lui particulièrement bien détecté le potentiel de ce produit !

« L’outil est apprécié car il permet à la fois d’avoir des indications précieuses sur le potentiel de l’innovation – et les volumes de vente atteignables – et des pistes d’explication et donc d’optimisation de celle-ci. Et ce pour des budgets généralement compris entre 15 et 20K€, alors que le même type d’études en face à face coûte plutôt 50 K€. »

Pour des innovations tactiques ou lorsque le commanditaire est une petite entreprise, le test permet de rassurer les équipes en apportant les pistes d’optimisation. Ou, éventuellement, de repérer des impasses. Dans ces situations-là, il se suffit à elle-même. Quand l’innovation a un caractère stratégique, le test constitue une première étape avant d’aller plus loin, il permet d’avoir les bons arguments pour échanger avec une direction générale. Dans les deux cas, il apporte un vrai plus à nos interlocuteurs.

« Quand l’innovation a un caractère stratégique, le test constitue une première étape avant d’aller plus loin, il permet d’avoir les bons arguments pour échanger avec une direction générale. »

Le mode de recueil online ne suscite-t-il pas des freins ?

Les résistances étaient importantes il y a dix ou quinze ans, quand nous avons commencé à proposer ces approches online. Mais elles ont aujourd’hui quasiment disparu. Je précise que le recueil se fait exclusivement sur PC et non sur smartphone, ce dernier outil n’apportant pas le niveau de fiabilité que nous voulons garantir à nos clients. Il nous arrive de recommander le face-à-face dans des cas particuliers, celui que j’évoquais précédemment, ou bien lorsqu’il faut tester des changements de couleur qui nous semblent trop subtils. Mais, en dehors de ces cas, l’online est tout à fait valide. D’autant que les entreprises n’ont le plus souvent pas besoin d’une estimation au deuxième chiffre après la virgule. Elles veulent pouvoir hiérarchiser des options, avoir des ordres de grandeur, des indications. Le drapeau est-il vert, orange ou rouge ? Et le volume est-il cohérent avec ce qui est inscrit dans le business plan. L’outil est conçu pour répondre à ces questions-là.

Voyez-vous enfin de derniers conseils à apporter aux équipes études ?

Côté annonceurs, il y a une maturité croissante dans la façon d’aborder ces problématiques, nous l’avons évoquée. Mais le réflexe de s’en tenir à des études qualitatives est un peu tenace. Nous n’avons rien contre le « quali » que nous pratiquons également. Mais il nous semble qu’il est encore parfois utilisé à contre-emploi, pour apporter une validation quand l’entreprise n’a pas le temps ou les moyens de faire une étude quantitative, alors que ce n’est pas sa vocation. Je pense donc qu’il faut encourager l’usage de solutions quantitatives, d’autant que cela peut se faire avec des approches rapides et économiques, comme celles que nous proposons. L’agilité a toute sa place aujourd’hui dans les tests d’innovation !

« Nous n’avons rien contre le « quali » que nous pratiquons également. Mais il nous semble qu’il est encore parfois utilisé à contre-emploi, pour apporter une validation quand l’entreprise n’a pas le temps ou les moyens de faire une étude quantitative, alors que ce n’est pas sa vocation. Je pense donc qu’il faut encourager l’usage de solutions quantitatives, d’autant que cela peut se faire avec des approches rapides et économiques


 POUR ACTION 

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