Kantar Insights a annoncé il y a quelques jours trois nominations à des postes clés de son organisation. Dont celle de Marie-Agathe Nicoli, qui devient Directrice Générale Adjointe de Kantar Insights France aux côtés de Ketty De Falco. L’occasion était donc toute désignée pour effectuer avec elle un point d’étape sur la trajectoire de Kantar Insights et évoquer ses grandes priorités pour les années à venir. Elle répond en exclusivité aux questions de Market Research News.
MRNews : Vous venez d’être nommée Directrice Générale Adjointe de Kantar Insights France. Votre parcours professionnel est riche… Qu’aimeriez-vous que les gens retiennent en priorité de celui-ci ?
Marie-Agathe Nicoli (Kantar Insights France) : J’ai la chance de très bien connaitre l’univers Kantar, qu’il s’agisse de nos équipes ou de nos offres. J’y travaille depuis maintenant plus de 20 ans. J’ai donc vécu les différentes étapes de la transformation de cette société, avec TNS Sofres puis WPP et aujourd’hui Bain Capital. Ce parcours m’a permis de maitriser à peu près tous les sujets, avec un fil directeur qui est celui de l’accompagnement de nos clients. C’est un ressort essentiel pour moi. J’aime construire des partenariats dans la durée, avec tout le travail que cela suppose en amont pour élaborer des réponses, définir des stratégies. C’est ce que j’ai toujours eu à cœur d’insuffler à mes équipes. Par ailleurs, le fait d’avoir passé beaucoup de temps sur des démarches de segmentation de marché a certainement façonné mon regard. C’est une sorte de réflexe pour moi de chercher les opportunités, les cibles prioritaires, et d’identifier les leviers à activer.
Quels sont les traits dominants de votre personnalité ?
On me décrit souvent comme quelqu’un de tenace. J’aime mobiliser les équipes pour contourner les obstacles. Ceux-ci ne manquent pas de se présenter lorsqu’on veut construire sur le long terme, ce qui est mon penchant naturel. Je trouve cela stimulant ! Je pense être exigeante, avec mes collaborateurs et je l’espère aussi avec moi-même (rires). Et j’apprécie de travailler dans l’humour.
« J’aime mobiliser les équipes pour contourner les obstacles. Ceux-ci ne manquent pas de se présenter lorsqu’on veut construire sur le long terme, ce qui est mon penchant naturel. Je trouve cela stimulant ! »
Venons-en à Kantar. Avec d’abord un rapide point sur son actionnariat. Qu’en est-il ?
La situation est très simple. Bain Capital détient 60% du capital. Et WPP les 40% restants. Et ce depuis l’été 2019, la structure étant ainsi parfaitement stable depuis 3 ans.
Selon les termes du communiqué annonçant votre nomination, votre mission est de « poursuivre le mouvement d’accélération de Kantar Insights sur le déploiement de solutions technologiques de collecte, d’intégration et d’analyse des data consommateurs. » Comment résumeriez-vous ce qui a déjà été fait dans ce sens ? Et ce qui reste à faire ?
Kantar a mis en place une série d’initiatives, avec une accélération depuis l’arrivée de Bain Capital. La plus spectaculaire est sans doute le lancement de notre plateforme Kantar MarketPlace. Le principe est que nos clients puissent accéder, à terme, à l’ensemble de nos solutions en mode self-service. Celle-ci rencontre un vrai succès. Le taux de ré-achat est réellement impressionnant ! J’y vois le signe que nous avons répondu à ces trois attentes clés que sont l’accessibilité-prix, l’agilité et la facilité d’usage. Mais une de nos grandes forces est de donner accès à des offres que nos clients connaissent déjà. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur toute l’expertise Kantar et nos très nombreux benchmarks. Je dois préciser néanmoins que 90% des achats effectués sur notre store intègrent une dimension d’accompagnement. Nos équipes sont quasi systématiquement associées. Certains ont pointé un risque de déshumanisation — et de « commoditisation » — de notre métier, et en fait il n’en est rien. Nos experts peuvent au contraire se concentrer sur ce qui fait leur valeur ajoutée, la production et tout le travail de back-office étant ainsi automatisé et simplifié. Le lancement de cette plateforme n’a donc pas cannibalisé notre offre traditionnelle ; elle a apporté un nouveau pan de business. Son poids dans notre CA varie selon nos départements, mais l’ordre de grandeur est de 5 à 10%.
« Une de nos grandes forces (avec Kantar MarketPlace) est de donner accès à des offres que nos clients connaissent déjà. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur toute l’expertise Kantar et nos très nombreux benchmarks. Je dois préciser néanmoins que 90% des achats effectués sur notre store intègrent une dimension d’accompagnement. Nos équipes sont quasi systématiquement associées ».
Voyez-vous d’autres initiatives importantes à mentionner ?
Une autre clé est le développement de l’activité Kantar Analytics, là encore avec une accélération depuis l’arrivée de Bain Capital. Plusieurs business sont associés à cela dont l’écoute des réseaux sociaux. Nous opérons aujourd’hui un recentrage sur tout ce qui relève du Marketing Mix Modeling. Cette stratégie nous amène à étoffer nos équipes par les meilleurs experts du domaine, comme Virginie Lannevère en France. Et également à procéder à des rachats externes, tels que celui de Blackwood Seven. L’idée est bien de s’appuyer sur les deux assets, la technologie, mais aussi les compétences pour bien les exploiter. Nous devons poursuivre dans cette voie avec un impératif d’alignement entre les différents marchés où nous intervenons.
« L’idée est bien de s’appuyer sur les deux assets, la technologie, mais aussi les compétences pour bien les exploiter. Nous devons poursuivre dans cette voie avec un impératif d’alignement entre les différents marchés où nous intervenons ».
Le chemin qui reste à faire est donc dans la continuité de celui déjà parcouru ?
Absolument. Si je reviens sur MarketPlace, nous venons d’intégrer dans la plateforme nos solutions de tracking de marque (Brand Equity Evaluation). Nous répondons là à la forte attente de nos clients de pouvoir mesurer le ROI des actions marketing qu’elles mènent, avec précision et en y ajoutant les indicateurs pertinents de Brand Equity. Toutes les offres Kantar seront sous peu accessibles.
Le rachat de Memo2 constitue une autre illustration importante de notre diversification. Memo2, c’est un peu le Shazam des études publicitaires. Nos panélistes chargent une application sur leur smartphone. Et, par le biais de la reconnaissance vocale et de la géolocalisation, celle-ci enregistre les publicités auxquelles ils sont exposés. C’est une approche extrêmement puissante, qui élimine les biais du déclaratif ainsi que le caractère fastidieux du recueil des données quant aux habitudes médias.
Mettre toujours plus de technologie pour aider les entreprises à mieux connaitre leurs marchés et leurs clients est un dénominateur commun à de nombreuses sociétés du marché aujourd’hui. Quelle singularité revendique Kantar Insights ?
Beaucoup d’acteurs partagent en effet cette intention stratégique, mais peu ont les moyens de la mettre en œuvre efficacement. Cela n’est pas si simple. Il faut d’une part repérer les partenaires offrant la meilleure complémentarité possible. Et disposer des fonds nécessaires. L’assise financière fait ainsi la différence, avec un avantage décisif pour les grands groupes internationaux comme le nôtre. J’ajouterai à cela qu’un des atouts majeurs de Kantar est l’alignement. Pour amortir nos investissements, nous savons faire en sorte que toutes les équipes s’approprient les outils. Cette capacité que nous avons à nous mobiliser et à déployer rapidement est dans notre ADN. C’est une très grande force, qui nous aide à faire la différence.
« Un des atouts majeurs de Kantar est l’alignement. Pour amortir nos investissements, nous savons faire en sorte que toutes les équipes s’approprient les outils. Cette capacité que nous avons à nous mobiliser et à déployer rapidement est dans notre ADN. C’est une très grande force, qui nous aide à faire la différence. »
Est-ce si évident de réussir l’alchimie entre la technologie et la culture qui domine traditionnellement dans les métiers des études et de l’insight, qui est plutôt celle des sciences humaines ?
Cette culture des sciences humaines est plus particulièrement ancrée du côté des qualitativistes. Mais, de fait, je constate qu’ils sont le plus souvent très à l’aise avec les matériaux recueillis par les technologies d’aujourd’hui, notamment sur les réseaux sociaux. Travailler sur de la matière que d’aucuns pourraient juger comme un peu « molle » ne leur fait pas peur. Bien sûr, il y a dans nos équipes des gens qui n’ont pas encore un background technologique très développé. Mais c’est la curiosité qui permet de l’acquérir, et cette qualité est essentielle dans nos profils et nos recrutements. Je crois donc peu à une guerre des cultures, nous sommes plutôt dans une logique de cross-fertilisation. Et c’est le sens de l’histoire pour nous que de mettre encore et toujours plus la technologie au service de l’humain et des insights.
« C’est le sens de l’histoire pour nous que de mettre encore et toujours plus la technologie au service de l’humain et des insights ».
À horizon 5 ans, qu’est-ce qui vous fera considérer que vous avez rempli votre feuille de route ? Dit autrement, quels sont les KPI de Kantar Insights ?
Les indicateurs « hard » comme la croissance de l’activité et la rentabilité sont évidemment incontournables. Cela va de pair avec notre volonté de développer notre expertise dans certains domaines. Au global monde, nous travaillons avec 93% des marques les plus puissantes. Nous n’atteignons pas ce ratio en France. Mon ambition est que nous nous rapprochions de celui-ci. Nous devons donc être plus présents dans l’univers du Luxe notamment. L’arrivée de Françoise Hernaez dans nos équipes va certainement nous y aider.
Nous souhaitons également être plus attractifs auprès des jeunes diplômés. Vous connaissez la formule, on découvre ce métier par hasard et on y reste par goût. J’aimerais bien que le hasard ait un peu moins de place ! Comme pour quasiment toutes les entreprises, la crise du Covid et le confinement ont été un point de bascule. Nous avons aménagé la possibilité de télétravailler trois jours par semaine, et la semaine de travail s’arrête le vendredi à 15 heures pour tous les salariés de Kantar Insights France. Les collaborateurs actuels ou potentiels sont sensibles à ce que cela implique dans l’équilibre vie professionnelle / vie privée. Et c’est vertueux pour notre organisation. Cela fait partie des KPI que nos collaborateurs soient bien chez Kantar. Et qu’ils aient le sentiment d’être dans un endroit où ils peuvent faire carrière, mais aussi s’amuser et apprendre en permanence.
Une dernière question enfin, plus largement sur le métier du market research. Êtes-vous optimiste sur son devenir ?
Oui, tout à fait. C’est un marché dont on prédit régulièrement la dilution, mais il résiste. D’abord parce qu’il a su prendre le virage de la technologie, ce qui pouvait constituer une vraie menace. Il n’a pas été « avalé » par les cabinets de conseil comme certains le pronostiquaient. Ceux-ci ne sont pas sur les niveaux de pricing qui sont les nôtres, et interviennent au final plutôt sur d’autres pans de marché. L’élargissement de notre champ concurrentiel a permis de préciser notre singularité. Les acteurs du conseil opèrent le plus souvent avec des grilles de lecture préétablies, et un faible focus sur la donnée consommateur. Nous sommes plus souples, ce qui peut apparaitre comme une fragilité mais est aussi une force, et intervenons sans dogmatisme. Et nous nous distinguons fondamentalement par notre capacité à détecter les insights pour qu’ils soient transformables en actions. Notre boussole, c’est la donnée consommateurs. On peut considérer que celle-ci est plus accessible qu’avant. C’est vrai, mais c’est un vrai métier que de savoir la rendre intelligible. Si on ne l’a pas, on peut vite dire de grosses bêtises. Tout ne sera pas facile, mais je crois que le besoin qu’ont les entreprises de pouvoir s’appuyer sur des compétences comme les nôtres n’est pas près de disparaitre.
« Nous nous distinguons fondamentalement par notre capacité à détecter les insights pour qu’ils soient transformables en actions. Notre boussole, c’est la donnée consommateurs. »
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Marie-Agathe Nicoli