Pour Céline Grégoire et Sylvie Lasoen (AddingLight), cette injonction au Good est très réductrice au regard des enjeux auxquels sont confrontées les marques. Elles nous livrent leur vision des pièges à éviter. Et de la nécessaire articulation à trouver entre une exigence de responsabilité sociétale et environnementale (à laquelle plus personne ne peut se dérober), et l’impératif pour les marques de se singulariser pour pouvoir créer de la valeur.
MRNews : Les marques sont aujourd’hui fortement exposées à cette injonction au « Good ». Mais ce terme est-il le plus approprié pour évoquer l’enjeu à adresser ?
Céline Grégoire (AddingLight) : Il nous semble en effet poser question. On l’utilise depuis une dizaine d’années maintenant, mais il apparait aujourd’hui comme assez « galvaudé ». Il encapsule beaucoup de notions autour de l’impact positif des marques et des entreprises, mais en étant sur-employé, ce qui fait qu’il perd un peu de son sens…
Sylvie Lasoen (AddingLight) : « For good », « be good »… Les consommateurs nous disent souvent qu’ils n’en veulent plus de ce terme. Son usage peut être contre-productif. D’une part parce qu’il désigne quelque chose d’assez flou, Céline l’a signalé. Mais aussi du fait qu’il y a beaucoup de « Washing » autour de cette notion. Il est très teinté d’une forme de morale, et de conformisme…
« For good », « be good »… Les consommateurs nous disent souvent qu’ils n’en veulent plus de ce terme. Son usage peut être contre-productif
N’est-ce pas une attente des consommateurs que les marques se comportent de façon plus « morale » ?
SL : Le territoire de la « morale » me parait dangereux pour les marques. La morale, cela renvoie à un système de croyances personnelles. Les marques devraient remplacer les religions ? Je pense qu’il y a là un risque de dérive, qu’il me semble préférable d’éviter.
CG : Il y a bien en effet l’impératif pour l’entreprise d’adresser un ensemble d’enjeux RSE. La marque, quant à elle, est une interface entre l’entreprise et les consommateurs. Il nous semble important de bien distinguer ces deux niveaux. Et en effet, il y a bien une demande de la part des gens d’un engagement plus fort des marques, dont le rôle est de relayer ses actions en fonction de leur ADN et des cibles qu’elles visent.
Il y a bien en effet l’impératif pour l’entreprise d’adresser un ensemble d’enjeux RSE. La marque, quant à elle, est une interface entre l’entreprise et les consommateurs. Il nous semble important de bien distinguer ces deux niveaux.
L’entreprise et la marque doivent ainsi intervenir selon des registres bien distincts…
SL : Tout à fait. L’impératif de l’impact positif des entreprises implique des bouleversements colossaux dans leur gouvernance. Cela interroge les processus de production, les relations avec les fournisseurs, les conditions sociales pour les employés… Et, plus largement, cela soulève des questions macro aussi passionnantes que complexes, celle de la possibilité d’une croissance verte ou au contraire de la nécessité d’une décroissance. Mais les marques doivent s’en tenir à ce rôle que vient d’évoquer Céline. C’est une interface, qui doit générer de la singularité, susciter l’envie des clients ou des prospects, et donc créer de la valeur.
CG : Cet impératif pour les marques de préserver et si possible d’augmenter la singularité est essentiel. Elles ne doivent surtout pas le perdre de vue, dans un contexte quelque peu « piégeux » en ce sens qu’il peut les inciter à toutes raconter plus ou moins la même chose. On le voit parfois, la tentation est forte pour certaines équipes marketing de s’engouffrer sur des enjeux de repositionnement auprès des cibles millénials, avec des discours trop lisses, par exemple sur le thème de la diversité et de l’inclusion.
L’impératif pour les marques de préserver et si possible d’augmenter la singularité est essentiel. Elles ne doivent surtout pas le perdre de vue, dans un contexte quelque peu « piégeux » en ce sens qu’il peut les inciter à toutes raconter plus ou moins la même chose.
N’est-ce pas un vrai challenge de parvenir à articuler cette double exigence, celle de la singularité et d’un impact positif de l’entreprise, ce dernier pouvant occuper une large part de la « bande passante » ?
SL : Oui, c’en est un en effet ! Le maitriser impose de bien structurer la réflexion, avec une brique de base qui est la définition de la raison d’être de l’entreprise, de son « purpose » sur le long terme. Celui-ci, nous l’avions évoqué il y a quelques mois, doit parler aux différentes parties prenantes de l’entreprise. Ce qui recouvre les pouvoirs publics, les actionnaires, le grand public à la fois en tant que citoyens et consommateurs… Et bien sûr les collaborateurs. La marque doit contribuer à la raison d’être de l’entreprise. Mais elle doit le faire dans sa logique propre qui consiste à s’adresser aux consommateurs. Elle doit travailler la préférence auprès des cibles qu’elle a définies comme étant prioritaires pour elle, en apportant de la singularité et la désirabilité. Si elle s’enferme dans un discours stéréotypé, que toutes les marques peuvent copier-coller, elle ne remplit pas bien son rôle. Et elle ne génère rien d’un point de vue business, alors que c’est un impératif.
La marque doit contribuer à la raison d’être de l’entreprise. Mais elle doit le faire dans sa logique propre qui consiste à s’adresser aux consommateurs. Elle doit travailler la préférence auprès des cibles qu’elle a définies comme étant prioritaires pour elle, en apportant de la singularité et la désirabilité.
CG : Il y a un vrai risque, on le voit tous les jours, lorsque les marques reprennent des thèmes conformistes, que le public perçoit comme opportunistes. C’est même contre-productif vis-à-vis des actions de fond que peut mener l’entreprise. S’agissant de l’impact positif des entreprises, je pense qu’il convient aussi de hiérarchiser les choses. La question de la survie de la planète, elle ne se discute pas, elle est devenue un impératif commun. Mais l’utilité sociétale d’une marque doit se définir en fonction de sa catégorie et de ses cibles. La question qui se pose pour le consommateur est : quel est le sens et le bénéfice de ce positionnement et de cet engagement pour moi ?
Peut-on évoquer des cas d’entreprises ou de marques qui vous paraitraient emblématiques des pièges à éviter ?
CG : Nous avons eu l’exemple d’une marque dont la démarche était de féminiser une catégorie jusqu’ici très masculine, dans le cadre d’une stratégie internationale. Cela faisait sans doute sens pour certains pays. Mais pas pour tous, et certainement pas en France, où ce discours, inapproprié pour la catégorie, pouvait être perçu comme stéréotypé et caricatural…
SL : Un piège fréquent pour les équipes marketing est de déployer des messages hyper génériques pour évoquer ce que la marque apporte à la société. Ils partent d’une bonne intention, celle de prendre un peu de hauteur. Mais, en voulant surfer sur des concepts un peu « hype », le risque est de se retrouver avec des discours trop convenus et faiblement différenciants. Comme par exemple la nième communication sur le « vivre ensemble » alors que la marque aurait des choses bien plus spécifiques à raconter. Gillette est souvent cité comme un contre-exemple avec le propos qu’elle avait adopté il y a quelques années sur la virilité toxique. Celui-ci a paru bien trop décalé par rapport à l’ADN de la marque, le public y a vu de l’opportunisme.
Un piège fréquent pour les équipes marketing est de déployer des messages hyper génériques pour évoquer ce que la marque apporte à la société. Ils partent d’une bonne intention, celle de prendre un peu de hauteur. Mais, en voulant surfer sur des concepts un peu « hype », le risque est de se retrouver avec des discours trop convenus et faiblement différenciants.
Voyez-vous a contrario des démarches plutôt réussies ?
CG : Globalement, les distributeurs, en mettant en avant une utilité sociale et proche de la vie des gens parviennent à concrétiser un impact positif. Décathlon nous semble un exemple intéressant. Avec une mission très claire et légitime, celle de favoriser la pratique sportive. Celle-ci a inspiré des actions concrètes comme le fait d’intégrer une dimension très expérientielle dans leurs magasins.
SL : Ils ont aussi fortement développé la dimension servicielle. Avec les cours de sport en ligne pendant le confinement, leur service de réparation de vélos, la location (plutôt que la vente) de planches de paddle… C’est pertinent pour les consommateurs, et cela traduit un engagement légitime sur les enjeux d’environnement.
CG : En général, et nous en avons plusieurs exemples dans les marques que nous avons le plaisir d’accompagner, les démarches plutôt réussies sont celles qui sont fondées sur des vraies convictions et beaucoup d’authenticité ; et qui s’expriment par des actes précis, loin de la bien-pensance moralisatrice.
Quel rôle peuvent jouer les équipes études marketing et insights pour accompagner les entreprises sur ces enjeux ?
SL : Elles ont une vraie carte à jouer pour faire respecter les fondamentaux de la marque. Toute marque est porteuse d’une raison d’être, d’une promesse et d’une utilité sociale. Dit autrement, elle est porteuse de sens. Parfois celui-ci se dilue, se perd. Les CMI sont là pour revenir au cœur de la marque, le faire partager. Et aider ainsi à construire quelque chose de cohérent par rapport à ce qu’est la marque mais aussi l’entreprise, qui va parler aux personnes qui travaillent pour elle.
CG : Les CMI ont en effet un rôle de garant de l’authenticité de la marque. Et également la capacité à remettre en cause les silos qui sont si sclérosants dans le fonctionnement des entreprises. Ils peuvent être des acteurs privilégiés pour déployer une forme d’intelligence collective, faire travailler ensemble des gens de la production, de l’innovation, et pas seulement du marketing.
Les CMI ont un rôle de garant de l’authenticité de la marque. Et également la capacité à remettre en cause les silos qui sont si sclérosants dans le fonctionnement des entreprises.
SL. Je rebondis sur ce que dit Céline, sur l’importance de ne pas s’intéresser qu’au marketing. Nous le voyons clairement lorsque nous menons des interviews auprès des stakeholders sur des chantiers de type brand-purpose, les personnes de la production fournissent souvent un éclairage précieux. Ils ont une connaissance intime des process, de l’histoire de l’entreprise. Ils apportent une profondeur qui peut manquer aux équipes marketing du fait du turnover élevé dans ces fonctions.
Une dernière question enfin : quels sont les bons KPI pour piloter le travail de l’entreprise et de la marque sur ces sujets ?
SL : Il faut bien-sûr mesurer et monitorer l’engagement des consommateurs et des collaborateurs. L’engagement des consommateurs peut être évalué dans les trackings d’image, en y intégrant un KPI d’impact positif de la marque : score composite qui combinerait des items généraux de désirabilité et de proximité, avec des items reflétant sa raison d’être spécifique. Concernant les collaborateurs, cela peut passer par un baromètre d’opinion en interne, en s’assurant que la mesure d’adhésion à la mission RSE de l’entreprise soit inclue dans le dispositif. Et j’ajouterai que l’attrait de la marque employeur auprès des jeunes talents est aussi un bon indicateur !
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewé(e)s : @ Céline Grégoire @ Sylvie Lasoen