Pour Céline Grégoire et Sylvie Lasoen (AddingLight), l’intérêt des marques pour ces chantiers de type Brand Purpose se justifie pleinement dans le contexte d’aujourd’hui. Et il y a une vraie nécessité à les adresser avec beaucoup de rigueur et d’humilité. Non pas comme un exercice de style à effectuer à la va-vite — serait-ce avec brio—, mais plutôt en mode co-construction, avec une écoute scrupuleuse des évolutions de la société et des différentes parties prenantes, collaborateurs bien compris. Elles nous font part de leurs convictions clés.
MRNews : Définir ou redéfinir son « purpose » s’est imposé ces dernières années comme un enjeu prioritaire pour un nombre croissant de marques. Est-ce un « effet de mode », ou bien cela correspond-il à un réel impératif selon vous ?
Céline Grégoire (AddingLight) : Nous pensons que la montée en puissance de cet enjeu n’a rien d’éphémère. Au contraire, cela s’inscrit dans un vrai phénomène de fond. L’idée, derrière ce terme, est que le rôle des marques ne peut plus se limiter aujourd’hui au niveau des marchés sur lesquelles elles sont présentes. En effet, les marques constituent « la partie visible » de l’iceberg – entreprise : en plus de réaliser sa performance financière, elles cristallisent son sens et son action, et témoignent en externe de tout ce que l’entreprise fait (ou ne fait pas). Le baromètre mondial Edelman de 2020 sur la confiance indique que 89% des hommes et femmes escomptent que les entreprises résolvent des problèmes sociétaux. De plus, la crise sanitaire a montré qu’en période d’incertitude, les marques doivent jouer encore plus qu’avant leur fonction de repère dans la société.
Sylvie Lasoen (AddingLight) : Beaucoup de marques-entreprises, notamment parmi les plus grandes, jouent ce rôle depuis très longtemps. Cela a participé à leur construction et à leur succès. C’est évident pour des Renault, Danone, Moulinex qui « libérait la femme »… Ou encore Unilever, dont l’un des fondateurs, un lord anglais – William Lever – s’était donné pour mission de délivrer une hygiène élémentaire au plus grand nombre. Mais dans le contexte d’aujourd’hui, cette responsabilité sociale s’impose à toutes les marques, y compris les marques commerciales, notamment du fait d’une remise en cause du modèle ancien de la société dite « de consommation ». Ce phénomène est particulièrement prononcé pour les nouvelles générations, les Millennials & Centenials. Donc les marques, confrontées à des enjeux de renouvellement de cibles, ne peuvent l’ignorer. Au global, ces facteurs se croisent, et les marques ne peuvent plus fonctionner comme avant, en mode top-down. Elles doivent accepter de descendre dans l’arène de la société, se prêter au jeu du « conversationnel », et tenir compte aussi d’une porosité de plus en plus évidente entre l’externe – les clients, et l’interne – les collaborateurs. Les marques commerciales, tout comme les marques entreprises, ont donc une responsabilité vis-à-vis de la société, et se doivent de contribuer à ce que l’on peut appeler le « bien social ».
Quelles sont vos convictions clés dans votre façon d’accompagner les marques dans la définition de leur Purpose ?
SL : Une évidence s’impose : chaque marque est unique, de par son histoire et les valeurs des équipes qui la portent. Le degré de maturité des entreprises sur ces enjeux est également un point important à prendre en compte. Certaines marques intègrent déjà un engagement sociétal dans leur plateforme, parfois sans que les équipes en soient bien conscientes. Dans ce cas, l’enjeu va être de valider la pertinence de celui-ci, et de les accompagner dans son activation. Dans d’autres cas, le purpose doit être défini ou redéfini. Les équipes peuvent être convaincues que le purpose existe déjà, mais en réalité il n’est pas véritablement opérant, ou pas positionné au bon niveau.
CG : Notre accompagnement doit donc s’ajuster en fonction de ces contextes. Pour que la marque puisse définir un brand purpose réellement pertinent et efficient, quelques « ingrédients » nous semblent néanmoins devoir être associés. Pour être crédible, singulier et éviter le piège du purpose-washing, un engagement sociétal doit être ancré dans les racines de la marque. Il est donc essentiel, avant de définir son projet de société, de procéder à un travail introspectif pour mettre au jour l’essence et l’ADN de la marque : En interrogeant les collaborateurs, le fondateur s’il existe encore, ou en réalisant des analyses de type « sémio ». Il importe également de saisir quelles sont les intentions clés, ce vers quoi on veut amener la marque.
Parce qu’il n’y a pas droit à l’erreur dans la définition de cette vision ?
CG : Absolument ! Une marque ne peut pas changer de Purpose tous les deux ou trois ans. Pour être pertinent, un brand purpose doit s’appuyer sur une compréhension fine de la société, et plus précisément des mutations et des tensions sur laquelle la marque va avoir un rôle à jouer. Cela engage son futur, la vision prospective se doit donc d’être très solide. C’est pourquoi nous préconisons de la mettre en œuvre en interrogeant des experts (sociologues, anthropologues…) Il importe en tout cas de mobiliser des personnes à même d’apporter la hauteur suffisante pour éclairer la réflexion, et de ne surtout pas se limiter à un décryptage superficiel des tendances. Cette analyse sera ensuite à croiser avec les vécus, les tensions que vivent les gens dans leur quotidien, sur ces thématiques sociétales.
C’est le croisement de ces éléments qui permet de définir le brand purpose ?
SL : Oui, tout à fait. En pratique, cela se fait dans le cadre d’un workshop qui réunit les parties prenantes du projet, et dans lequel nous cherchons à confronter des regards potentiellement différents, l’idée étant de ne surtout pas se limiter aux spécialistes du marketing ou de la marque. À ce stade, il faut que l’on sente que les gens sont embarqués dans les propositions qui s’échafaudent. Quand ils ne le sont pas, on s’en rend vite compte ! Et, à contrario, lorsque le projet fait écho, quand les yeux des participants brillent, là on sait qu’on tient quelque chose.
CG : On sait que l’on est sur une bonne piste en effet. Mais le process ne s’arrête pas là pour autant. Vient ensuite une phase indispensable, celle de l’activation. Au cours de celle-ci il faut définir les preuves, les actions qui vont permettre d’incarner ce purpose, de le faire passer de l’intention à la réalité. L’idée peut sembler belle, mais si l’entreprise ne parvient pas à la concrétiser, c’est le signe qu’elle ne fonctionne pas et qu’il faut revenir en arrière et mieux définir le Purpose. Une bonne façon de vérifier la force d’un purpose est de d’assurer que le plan d’actions qui en découle couvre l’ensemble de l’écosystème de la marque, (collaborateurs, distributeurs, clients, etc..) et ne se cantonne pas aux leviers marketing traditionnels. En tout état de cause, le Brand Purpose est une co-construction, et certainement pas le coup de génie d’une agence de communication !
Quels exemples vous semblent emblématiques d’un Brand Purpose efficient ?
SL : Pour des raisons de confidentialité, c’est difficile pour nous de donner des exemples sur lesquels on a travaillé récemment, mais on cite souvent Dove comme un cas d’école. Cette marque s’est intéressée à une tension que vivent les femmes, en permanence confrontées à des stéréotypes sur ce que doit être leur apparence, via les publicités et les réseaux sociaux. Le combat sociétal endossé par Dove consiste précisément à se battre contre la beauté normative. Sa contribution étant de challenger ces stéréotypes pour que les femmes développent leur confiance en elles. C’est ce que Dove a cristallisé avec la plateforme #RealBeauty
Le brand purpose est-il nécessairement un combat ?
CG : Il doit être mobilisateur. Une façon de vérifier si un Purpose tient la route est de demander aux collaborateurs s’ils sont prêts à défiler avec une pancarte exprimant ce combat ou cette motivation. Mais il ne faut pas à notre sens tomber dans un travers que l’on voit souvent à l’œuvre, qui consiste à vouloir être dans une position polémique. Même si cette posture peut aider à générer des conversations sur les réseaux sociaux, toutes les marques ne sont pas légitimes à aller sur ce terrain-là. D’une façon plus générale, nous pensons avoir trouvé un « bon purpose » quand sa formulation renvoie à un engagement à délivrer un impact singulier, ambitieux et durable sur la société.
Voyez-vous d’autres pièges importants à éviter dans la définition d’un Brand Purpose ?
CG : Nous en avons évoqué quelques-uns. C’est souvent un réel challenge que de trouver le juste équilibre que nous avons mentionné. Il faut que la marque prenne de la hauteur vis-à-vis de sa catégorie. Mais si l’on est trop haut, trop conceptuel, la marque aura du mal à générer des actions concrètes, auquel cas elle s’enfermera dans un discours un peu creux.
SL : Les projets brand purpose sont fondateurs pour l’entreprise car ils doivent lui permettre d’enclencher une croissance responsable et durable et sont fédérateurs en interne. Ce sont des superbes expériences intellectuelles, mais aussi des aventures humaines, qui permettent des collaborations sur le long terme. C’est ce qui fait que ces sujets sont si passionnants pour nous.
[NDLR : A lire également le témoignage d’Aude Mauclaire (Bonduelle), qui a travaillé avec l’équipe AddingLight sur le Brand Purpose de la marque Cassegrain].
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewés : @ Céline Grégoire @ Sylvie Lasoen