# Comment détecter les meilleures opportunités de croissance ?
Dossier opportunités de croissance - Interview d'Alexis Bonis-Charancle et Philippe Savereux (B3TSI / Market Vision)

"Une bonne carte est l’outil idéal pour exploiter au mieux les gisements de croissance"

Alexis Bonis Charancle et Philippe Savereux
Directeur Associé de B3TSI et Directeur Associé de MarketVision

20 Avr. 2022

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Cartographier sur un simple A4 les gisements de croissance existants sur un marché, voilà un exercice qui ne semble à priori pas des plus faciles à réaliser. Surtout lorsqu’il s’accompagne de l’exigence de décrire ceux-ci avec de vraies informations stratégiques. C’est pourtant le pari que font Alexis Bonis Charancle (B3TSI) et Philippe Savereux (Market Vision). Ils nous exposent ici leur démarche, avec les principes de construction de cette carte ainsi que son mode d’emploi, exemple à l’appui.

MRNews : Vos interlocuteurs côté entreprises soulèvent-ils souvent cet enjeu de la détection de leurs opportunités de croissance ? Et sous quels angles le font-ils ?

Philippe Savereux (Market Vision) : En vérité, la question du « comment croitre » est présente derrière quasiment chaque étude. C’est logique, c’est LA question du capitalisme (rires) ! Elle ne se présente qu’assez peu de façon frontale, holistique. Et bien plus fréquemment via de nombreuses demandes de tests pour des produits, des packs ou des axes de communication. Mais on voit clairement des évolutions. La menace de la décroissance se lit plus ou moins implicitement au travers des briefs. La contrainte est là, et tout particulièrement celle de l’impératif écologique. Quelques secteurs y échappent encore, mais ils sont de plus en plus rares. Certains y sont drastiquement confrontés. Comme l’industrie des cosmétiques par exemple… Comment gérer l’interdiction ou les restrictions dans l’usage du plastique lorsqu’elles s’imposeront ? Cet impératif écologique « colore » ainsi les problématiques qui nous sont soumises. La question n’est plus seulement de deviner ce dont les gens vont avoir envie. Mais d’anticiper sur la façon dont vont s’opérer les transferts de consommation en fonction de ces contraintes.

« La question n’est plus seulement de deviner ce dont les gens vont avoir envie. Mais d’anticiper sur la façon dont vont s’opérer les transferts de consommation en fonction des contraintes et de l’impératif écologique ».

Alexis Bonis Charancle (B3TSI) : Ces évolutions peuvent générer des paradoxes étonnants sur la désidérabilité des offres. Un label comme le Made In France par exemple, favorise plutôt des produits délivrés en Grande Distribution, le plus souvent de nature industrielle, au détriment des produits locaux. De fait, avec la montée en puissance de ces contraintes qu’évoque Philippe, il devient plus difficile de déterminer le panorama des opportunités de croissance pour les entreprises.

Vous proposez un système de cartographie pour représenter les opportunités de croissance existantes sur un marché. Quels en sont les grands principes ?

ABC : Le point de départ consiste à établir l’ensemble des représentations mentales associées à la catégorie étudiée. Prenons l’exemple des produits cosmétiques. Concrètement, nous demandons à des consommateurs — via des réunions de groupe ou des forums en ligne — de nous indiquer quels mots leur évoque la catégorie. Nous nous retrouvons classiquement avec un corpus de 200 ou 300 mots. Grâce à une phase de quantification, par itération, nous réduisons ce nombre pour ne conserver in fine que la trentaine de substantifs les plus évocateurs de la catégorie. Ensuite, à partir de cette sélection, nous avons une 2ème étape de construction d’un jeu de critères bipolaires descripteurs de nos substantifs de la catégorie. Par exemple, s’agissant de nos produits cosmétiques, nous aurons « moderne / traditionnel », « typé / consensuel », « excitant / relaxant », etcétéra. Cela nous permet d’établir ce que nous appelons un fonds de carte, avec une métrique qui est la distance entre les différents substantifs, calculée à partir des profils bipolaires.

C’est une cartographie « sémantique »…

ABC : Absolument, un fond de carte sémantique et une métrique pour se projeter et se déplacer à l’intérieur. Dans une seconde phase, nous menons une étude quantitative pour reconstituer le marché. Concrètement, nous demandons aux participants de nous décrire tous leurs actes de consommation récents associés à la catégorie, à chaud sur le principe des journaux d’activité. S’il s’agit des repas par exemple, nous les interrogeons sur la nature précise des produits consommés, les circonstances (où, quand, comment, avec qui, …). Et nous leur proposons enfin de qualifier cette expérience avec les échelles bipolaires que nous avons évoquées. Nous disposons ainsi d’une base descriptive du marché, avec plusieurs milliers d’actes de consommation, que nous pouvons projeter sur notre fonds de carte sémantique. Tous les gisements de marché sont présents. Et, grâce aux réponses collectées, nous pouvons les caractériser avec les informations utiles à l’entreprise pour caler ses priorités et identifier les facteurs clés de succès. 

 » Nous disposons (suite à ces phases d’études) d’une base descriptive du marché, avec plusieurs milliers d’actes de consommation, que nous pouvons projeter sur notre fonds de carte sémantique. Tous les gisements de marché sont présents. »

Pouvez-nous montrer un exemple, et nous indiquer plus précisément comment lire ce type de carte ?

PS : Voici la façon dont on peut représenter le marché de la cosmétique en France. 

Nous avons au total 5 grandes « régions », ou dit autrement 5 grands territoires de consommation. Ils reflètent les problèmes ou les aspirations des individus, et sont aujourd’hui plus ou moins exploités et monétisés par les acteurs du marché. 

Si on les déroule en mode escargot, nous avons un territoire en haut à gauche qui correspond au soin, au sens de l’entretien et de la santé. Puis, celui du look, de l’affirmation de la personnalité (je choisis des produits qui renvoient l’image de ce que je suis). Nous avons ensuite le territoire du festif, du « fun ». Puis en bas au centre vient celui de la séduction, de la beauté. Et pour finir celui de l’hygiène.

Ces 5 territoires sont larges. En fonction des utilisateurs ou des besoins de l’entreprise, de son contexte stratégique, lacarte s’affine sur tout ou partie de ceux-ci. Dans le cadre de la cosmétique, une carte plus détaillée fait ressortir 15 gisements. 

ABC : Qu’elle l’utilise à un niveau macro ou micro, l’entreprise dispose des informations essentielles pour chaque « gisement » de consommation. Elle appréhende à la fois leur potentiel économique (volumes, valeur), l’intensité de la pression concurrentielle ainsi que le degré d’adéquation avec sa ou ses marques. Ces informations sont synthétisées sur la carte, qui a ainsi une vraie dimension stratégique.

« Qu’elle l’utilise à un niveau macro ou micro, l’entreprise dispose des informations essentielles pour chaque « gisement » de consommation. Elle appréhende à la fois leur potentiel économique (volumes, valeur), l’intensité de la pression concurrentielle ainsi que le degré d’adéquation avec sa ou ses marques. »

Cette carte est-elle exploitable par les équipes R&D ? Et de celles en charge du marketing et de la communication ? 

PS : Absolument. Elle est idéale pour élaborer une stratégie d’offre du fait de sa précision. Nous pouvons en effet régler le curseur quant au nombre de gisements représentés. Et intégrer, dans les questionnaires, des variables descriptives les plus pertinentes pour ce travail de développement. Il faut ajouter que nous incluons dans le panorama des occasions de consommation pour lesquelles les marques sont potentiellement peu ou pas présentes, et où le « fait maison » pèse beaucoup. Cela ouvre ainsi le champ des innovations possibles. Mais la carte est aussi parfaitement opérante pour le marketing. Pour optimiser son portefeuille de marques, définir la gamme d’offres, le Turf. Mais également pour ajuster le discours, la communication à tenir sur les différentes niches d’usage, en tenant compte du territoire sémantique propre à chacun d’eux.

Vous évoquiez en préambule l’importance clé de l’impératif écologique sur certains marchés. La carte peut-elle indiquer quels gisements sont les plus concernés par celui-ci ?

ABC : C’est tout à fait possible en effet, c’est le cas dans notre exemple sur le marché des cosmétiques. La condition est d’intégrer dans le questionnaire des items pour mesurer l’impact de la variable « éco-responsabilité » dans les critères de choix, versus le prix par exemple, ou d’autres éléments. La consolidation permet de le quantifier gisement par gisement, et la carte mentionne ainsi cette information clé. Votre question met le doigt sur un des avantages importants d’une démarche qui « segmentent » des occasions de consommation plutôt que des individus. Une même personne peut se sentir très concernée par l’écologie quand elle choisit son shampoing, et beaucoup moins pour des produits qu’elle achète occasionnellement, en vue d’un événement festif. L’offre doit naturellement en tenir compte.

Une dernière question enfin : certains marchés se prêtent-ils plus que d’autres à cette cartographie ? Et, si oui, lesquels ?

PS : Tous les marchés peuvent faire l’objet d’une cartographie de ce type. Mais elle sera plus particulièrement efficace sur les univers où l’imaginaire est riche, avec des dimensions émotionnelles importantes. Le fond de carte sémantique permet d’être très précis sur les discours et les codes à employer en fonction des gisements, pour se donner les meilleures chances de toucher les différents publics concernés. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Alexis Bonis-Charancle et @ Philippe Savereux

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

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