# Les émotions des consommateurs : comment les capter pour action ?
Mélanie Berger (Impact Mémoire)

"Les sciences cognitives nous disent comment activer les leviers émotionnels"

Mélanie Berger
Directrice de Clientèle d’Impact Mémoire

9 Juil. 2021

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Identifier les mécanismes qui activent les émotions des individus, voilà un objet fondamental de recherche pour les sciences cognitives. Et si ces connaissances étaient parfaitement mobilisables à des fins opérationnelles sur les enjeux de communication les marques ? C’est l’idée fondatrice d’Impact Mémoire, dont la vocation est d’accompagner les annonceurs et leurs agences tout au long de leur processus créatif, via des grilles de diagnostic exclusives plutôt qu’en interrogeant les consommateurs. Mélanie Berger nous en présente les principes clés.

MRNews : L’importance des émotions dans les perceptions et les comportements des consommateurs est-elle un fait acquis sur toutes les catégories de produits ou de services ?

Mélanie Berger (Impact Mémoire) : D’un point de vue scientifique, oui ! On sait que la composante émotionnelle est déterminante dans l’efficacité des publicités. Elle agit très fortement sur la mémorisation des messages, et la capacité à ancrer un souvenir de la marque. Les émotions peuvent bien sûr être positives ou négatives… En fonction de cela, elles vont « accrocher » les gens, ou au contraire susciter une forme d’évitement. Il est a priori préférable de générer une émotion positive, mais il est possible de jouer sur les deux registres. Avec dans un premier temps des éléments qui vont déranger, provoquer un peu le spectateur. Puis instiller ensuite ceux qui vont le rassurer, et agir favorablement.  L’important est de finir sur une valence émotionnelle positive – pour qu’elle reste constructive pour la Marque. L’exemple de cette publicité récente de Castorama fonctionne assez bien selon ce schéma.

https://youtu.be/GenPE1YlXIg?t=3

Dans cette histoire, un père de famille qui rénove de fond en comble une maison se transforme progressivement en castor. Le parti-pris créatif est un peu risqué, les images font que l’on n’a pas très envie de s’identifier au personnage (rires). Mais l’agence a su trouver une fin qui contrebalance cela avec humour. 

« La composante émotionnelle est déterminante dans l’efficacité des publicités. Elle agit très fortement sur la mémorisation des messages, et la capacité à ancrer un souvenir de la marque »

C’est l’exemple d’une publicité qui, au final, est efficace. Auriez-vous un contre-exemple à partager ?

On peut citer cette publicité réalisée par Teac. Pour mettre en avant la qualité audio de ses produits, l’agence de communication a opté pour des visuels intégrant un effet de zoom sur l’intérieur de l’oreille d’une personne, avec ses imperfections !

Il y a toutes les chances qu’une telle image détourne l’attention des spectateurs.

Une valeur émotionnelle est un gage de performance d’une publicité… Mais encore faut-il que celle-ci soit maitrisée.

Capter les émotions est une chose. Mais la grande difficulté, sur ces sujets, est de proposer des éclairages précis pour action. Comment résumeriez-vous la philosophie d’Impact Mémoire sur ces enjeux ?

La démarche d’Impact Mémoire repose sur l’expertise des scientifiques qui ont contribué à fonder notre société. En s’appuyant sur de très nombreuses études et plus particulièrement sur les sciences cognitives, Bernard Croisile et Olivier Koenig, accompagnés de Bruno Poyet, ont constitué une grille d’analyse extrêmement complète et précise. C’est avec celle-ci que nous évaluons la performance d’un projet, à travers les leviers cognitifs clés nécessaires à la mémorisation d’un message. Elle nous permet de classifier les formes d’attention des individus. On distingue en particulier l’attention automatique, qui est spontanée, « irréfléchie », et l’attention volontaire. La seconde exige un engagement, un raisonnement. Ou, dit autrement, un effort de la part du consommateur. Ce point est important à prendre en compte dans l’environnement dans lequel nous évoluons, avec une profusion de messages qui engendre des effets de saturation.

« La grille que nous utilisons a été élaborée en s’appuyant sur l’expertise des sciences cognitives. Elle nous permet de classifier les formes d’attentions des individus (…) »

S’agissant des émotions, là aussi il y a lieu de faire un distinguo entre deux « familles ». Les émotions d’attraction viennent plutôt en surface, et sont générées par des éléments relativement simples. Par exemple un sourire, une expression de joie, ou des images esthétiquement réussies. Ces ingrédients ont un rôle positif dans la mémorisation. Mais ils ne sont pas suffisants…

Que manque-t-il ?

Il faut ajouter des éléments qui, à la différence des premiers, ne sont pas interchangeables d’une marque à une autre. Ce qui renvoie à une deuxième famille d’émotions, que l’on qualifie d’émotions de « construction ». Cela suppose qu’il y ait des effets d’implication et d’identification de la part des consommateurs. Ce sont des mécanismes en grande partie non-conscients. Nous aurons l’occasion de l’évoquer dans le cadre de nos summer-sessions. Mais ils permettent, lorsqu’ils sont activés, de créer des marqueurs émotionnels forts et de générer de la préférence pour une marque. Cette logique de construction d’un territoire singulier est d’autant plus nécessaire que la marque doit aujourd’hui s’exprimer via différents canaux. S’il n’y a pas de cohérence, il n’y a pas de construction !

« Les émotions d’attraction ne suffisent pas. Il faut y ajouter des émotions de « construction » qui permettent de générer de la préférence pour une marque. »

Ces mécanismes sont plutôt bien en place par exemple dans cette publicité.

Concrètement, comment testez-vous une communication, ou un projet de communication ? Vos experts en font l’analyse via la grille que vous avez évoquée ?

Exactement ! Cette grille, qui a été élaborée à partir de l’analyse des processus cognitifs, est très complète. Au final, elle permet de construire trois grands scores relativement classiques : l’impact, l’attribution, et la capacité de la communication à faciliter l’achat des produits ou des services. Mais, en amont, 150 items sont utilisés, eux-mêmes regroupés selon 45 critères. Nous pouvons ainsi être extrêmement précis dans le diagnostic et l’identification des pistes d’optimisation. Sur les cases à mieux cocher, mais aussi sur toutes les composantes d’exécution, scène à scène. Et ce sans devoir passer par une interrogation des consommateurs, avec tous les avantages que cela suppose en termes de réactivité et de délais.

« Notre grille permet de construire trois scores, mais elle utilise en amont 150 items regroupés selon 45 critères. Nous pouvons ainsi être extrêmement précis dans l’identification des pistes d’optimisation. »

La particularité de notre approche fait que nous pouvons intervenir à différents moments du processus. Ce peut être dans une logique de post-test, notamment pour comprendre les raisons d’une sous-performance et permettre à la marque d’en tirer les enseignements. Mais nous pouvons aussi intervenir très tôt, à partir des esquisses ou des story-bords. Que ce soit pour aider la marque et l’agence à choisir la meilleure piste lorsque plusieurs concepts ont été définis. Ou bien, et c’est un schéma très classique pour nous, pour accompagner les équipes tout du long du processus, pour optimiser les chances de succès de la création publicitaire.

Quels sont les « pièges » dans lesquels tombent le plus souvent les marques et les agences ? Quels mécanismes sont insuffisamment pris en compte ?

L’enjeu de l’attribution des communications est toujours extrêmement important. Et, les agences le savent bien, grossir la taille du logo de la marque — ce que demandent souvent les annonceurs — n’est pas un levier très efficace. Cela passe aussi et surtout par l’expression des valeurs spécifiques à la marque, avec une cohérence de fond et de forme. L’autre « piège » est de sous-estimer à quel point le spectateur est passif, et saturé de messages. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’il fasse de lui-même des efforts pour comprendre le message et identifier l’émetteur. L’immédiateté prime.

« L’enjeu de l’attribution des communications est toujours extrêmement important (…). L’autre « piège » est de sous-estimer à quel point le spectateur est passif et saturé de messages. »

Les équipes des marques et des agences travaillent dans le moindre détail. C’est difficile pour elles d’avoir le recul nécessaire pour discerner les vrais leviers. C’est là que nous avons un rôle important à jouer, en apportant ce troisième œil. D’autant que les budgets parfois sont souvent colossaux. Et que chaque communication compte dans l’esprit du public, que celle-ci soit réussie…ou ratée ! Il vaut donc mieux mettre toutes les chances de son côté !

Votre approche — et la nature de votre expertise — crée-t-elle une relation particulière avec les annonceurs et les agences ?

Oui, je le pense. Nous ne sommes pas là pour juger ou encore moins « casser » l’idée créative qui a été retenue. C’est ce qui est parfois reproché aux études marketing. Notre travail consiste à accompagner les équipes, à les aider à atteindre l’efficacité maximale, en fonction des objectifs qu’elles se sont données. Et ce sur la base d’un diagnostic extrêmement précis. Cela se traduit par beaucoup d’échanges, de discussions, en mode tripartite. A la fois avec l’annonceur, qui peut notamment être tenté de vouloir faire passer trop de messages. Et avec l’agence, qui peut surestimer le niveau d’attention du consommateur.

« Nous ne sommes pas là pour juger ou encore moins « casser » l’idée créative qui a été retenue (…). Notre travail consiste à accompagner les équipes, à les aider à atteindre l’efficacité maximale, en fonction des objectifs qu’elles se sont données. »

La nature de notre démarche nous permet aussi d’intervenir en plusieurs temps. Au tout début, dès qu’il y a des premières idées posées sur la table. Et plus tard, au fur et à mesure de l’avancement du process créatif. C’est un facteur qui nous aide beaucoup à travailler dans ce mode d’accompagnement, pour valider si les points d’optimisation ont bien été intégrés sans amoindrir le potentiel de la copie.

Une dernière question : votre approche est-elle mobilisable sur d’autres enjeux, et en particulier sur les problématiques de packaging ?

Tout à fait. L’analyse cognitive à laquelle nous procédons peut s’appliquer à des éléments extrêmement variés : une communication publicitaire bien sûr, quel que soit le support, mais aussi un logo, un packaging. Avec, là également pour ce dernier, des vrais gros enjeux d’émergence. Nous aurons l’occasion de l’évoquer au prochain Printemps des Etudes, fin septembre. Ces enjeux sont particulièrement sensibles dans la période que nous vivons. Quand toutes les marques se mettent à parler de RSE et utilisent ainsi beaucoup les mêmes codes, les propositions s’uniformisent. Elles doivent donc trouver les clés pour à la fois répondre aux attentes et émerger aux yeux des consommateurs, en cohérence avec les valeurs qui lui sont propres. D’où l’importance de bien connaitre les mécanismes de l’attention et de l’émotion, là encore !

 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Mélanie Berger

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