Interview d'Isabelle Fabry Acfuture - Comment appréhender les émotions des consommateurs dans les études marketin G

« C’est le Graal de parvenir à connaitre les émotions des consommateurs ! » – Interview d’Isabelle Fabry (ActFuture)

27 Mar. 2021

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A priori, il y a un intérêt évident pour les professionnels du marketing et du market research à appréhender et analyser les émotions des consommateurs. Et pourtant, cela ne se traduit pas si souvent dans les projets d’études, en particulier du côté des quantitativistes. Pourquoi ? Est-ce le fait de considérations théoriques ? Ou bien d’une difficulté pratique à obtenir des éclairages opérationnels via ce prisme ? Isabelle Fabry (fondatrice d’ActFuture) nous livre sa vision quant à ce paradoxe, et nous présente les principes d’une nouvelle approche.

MRNews : Les spécialistes des études marketing s’intéressent depuis longtemps aux émotions des consommateurs. Mais, en pratique, cela ne se manifeste qu’assez peu dans les projets… Pourquoi ? 

Isabelle Fabry (ActFuture) : Cet enjeu d’analyser les émotions n’est pas neuf en effet. Et c’est logique, car c’est bien ainsi que l’on peut détecter l’impulsion première des comportements, la motivation des consommateurs. C’est une évidence pour les qualitativistes notamment. Mais je ne crois pas que cette préoccupation soit si partagée parmi les décideurs marketing. Ceux-ci se focalisent encore très largement sur les composantes rationnelles. Disons-le, les émotions, c’est quelque chose de complexe à appréhender. Et surtout, cela fait peur, c’est l’inconnu ! Et il y une forme de gêne plus ou moins consciente à s’intéresser aux émotions des consommateurs alors que, dans nos cultures en tout cas, on essaie d’occulter les siennes ! 

Est-ce qu’il n’y a pas aussi et surtout un frein « pratique » à l’exploration des émotions ? Est-ce possible de le faire simplement et d’en tirer des éclairages limpides pour action ? 

Je pense que le frein théorique joue beaucoup. La figure de l’homo-economicus, — dont les décisions sont par essence rationnelles — est encore très présente dans l’univers du marketing. Et des habitudes se sont ancrées. Il faut aller vite, encore plus vite, toujours plus vite ! De préférence avec des processus connus, normés, standardisés, dans une extrême économie de moyens. C’est en tout cas le réflexe dominant, certaines marques parvenant à s’en abstraire pour travailler autrement, plus en profondeur. Mais je suis d’accord, les neurosciences et les mesures psychométriques n’ont pas toujours été si faciles à mettre en œuvre. Les choses ont cependant beaucoup évolué ces dernières années. C’est ce qui nous a permis d’élaborer une nouvelle approche sur ces sujets.

Quels sont les principaux partis-pris de votre méthode ?

Un des principes clés de notre protocole, que nous avons défini en nous appuyant sur un partenaire technologique, est la complémentarité des mesures et des observations. Quand nous testons par exemple une communication ou un packaging, nous utilisons des capteurs physiologiques. L’un pour évaluer le niveau de sudation, l’autre pour la fréquence cardiaque. Ces deux métriques nous permettent ainsi d’identifier de potentiels pics émotionnels lorsque les consommateurs sont exposés à une série de stimuli. Nous procédons par ailleurs à une analyse des expressions faciales des individus. Celle-ci nous aide notamment à qualifier les émotions ressenties. Sont-elles positives ou négatives ? Et que traduisent-elles ? Est-ce que l’on a des signes d’intérêt, de l’appréhension, ou bien au contraire de l’ennui ? Et s’intègre également au dispositif une mesure d’eye-tracking, dans les cas où elle est utile. Nous utilisons donc une quadruple mesure, avec la fréquence cardiaque, la sudation, le facial coding et l’eye-tracking. Je précise enfin que ces mesures ne se substituent pas à une interrogation classique, avec des questions ouvertes ou fermées, mais qu’elles s’y ajoutent.

L’approche se met en œuvre sur des cellules d’une soixantaine de personnes, ce qui contribue ainsi à la robustesse des mesures et des analyses. Avec des outils très légers, et très peu intrusifs pour les consommateurs, qui sont aujourd’hui nombreux à utiliser des montres connectées ou des bracelets biométriques.

Qu’apporte le fait de combiner différentes observations ou métriques ? 

Cela permet d’une part de fiabiliser l’analyse, de la conforter. Si un seul indicateur bouge, il y a une incertitude quant à la significativité du phénomène. En revanche, si l’on relève au même instant un pic dans les mesures de fréquence cardiaque et de sudation et une modification de l’expression faciale de l’individu, là pour le coup il n’y a plus de doute.

Par ailleurs, il y a un effet de complémentarité extrêmement important. Un pic sur les données psychométriques permet d’identifier une forte activité émotionnelle. C’est très bien, mais encore faut-il avoir la compréhension de ce qui s’est passé. C’est ici qu’intervient d’une part le facial-coding, qui permet de savoir si l’émotion est positive ou négative, et de la qualifier selon les 7 grandes catégories principalement utilisées. Et d’autre part l’eye-tracking, qui va lui indiquer quel stimulus a provoqué ce pic émotionnel. Avec le cumul de ces observations, auquel on peut bien sûr rajouter le récit que font les consommateurs de leur expérience, on obtient un éclairage extraordinairement précis !

On sait ainsi précisément dire quel stimulus a suscité une émotion forte et positive…

Absolument. Qu’il s’agisse d’une publicité, d’un packaging, de la visite d’un site internet ou d’un magasin physique, on identifie les leviers qui mobilisent émotionnellement les individus. Ce qui est en théorie extrêmement difficile, à fortiori lorsqu’on a affaire à des expériences consommateurs complexes, avec de nombreux stimuli. C’est quand même le Graal pour les professionnels du Market Research ! En ayant expérimenté beaucoup de pistes en particulier sur les protocoles qualitatifs, je trouve cela magique d’obtenir des éclairages aussi pertinents et précis pour action. 

D’autant que cette méthode permet de s’affranchir des barrières de sexe, de langue, de culture ou de milieu sociaux. Ces méthodes de mesures émotionnelles sont éminemment humaines, et permettent de lever la nécessité d’une verbalisation et du filtre rationnel qui va avec. On ne peut pas mentir avec ses réactions et ses émotions instinctives. On ne peut rien cacher ou filtrer. C’est un avantage énorme pour connaitre profondément les motivations des consommateurs, sans aucune tricherie. C’est le rêve pour le marketing.

Vous avez déjà élaboré de premiers projets avec cette approche. A qui s’adresse-t-elle en priorité ?

Nous l’avons en effet utilisé pour un grand acteur des jeux en ligne. Avec des résultats assez contre-intuitifs pour les décisionnaires, puisque l’analyse a montré une insuffisante capacité du produit à activer des émotions positives. Et a donc pointé la nécessité de le repenser drastiquement.

Cette démarche d’étude vient un peu à contre-courant d’une vague dominante. Celle que j’évoquais précédemment, avec cet impératif de devoir tout faire vite avec des budgets limités. Nous visons ainsi des profils volontaristes, des marques qui veulent se donner les moyens de comprendre profondément les comportements des consommateurs sur leurs marchés. Et qui préfèrent construire une intelligence fondamentale, pérenne, plutôt que de s’en tenir à des coups de sonde superficiels.

Une dernière question : la crise sanitaire génère beaucoup de contraintes. Ne sont-elles pas limitantes pour mettre en œuvre ce type d’approche ?

Non, ce n’est pas le cas. La première option est d’utiliser des salles adaptées en fonction de ces contraintes, avec beaucoup d’espace, des séparations, du gel hydroalcoolique, toute la panoplie que connaissent bien les professionnels des études en présentiel (cf. la précédente interview d’Isabelle Fabry). La seconde est celle du distanciel. Auquel cas on envoie le matériel aux consommateurs participants, des collaborateurs intervenant chez nous pour leur donner les consignes et valider que tout se passe bien. La crise sanitaire ne nous simplifie pas la vie, c’est évident. Mais elle ne doit pas empêcher ni les market researchers ni les marques de progresser dans la compréhension profonde et fondamentale de leurs marchés, pour élaborer des réponses pleinement en adéquation avec ce que désire le consommateur !


POUR ACTION

• Echanger avec les interviewés : @ Isabelle Fabry

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