La crise sanitaire du Covid-19 a déclenché un réflexe chez les acteurs du Market Research, celui de se tourner plus encore que par le passé vers le online. Le phénomène — que nous avons évoqué il y a quelques mois avec Emmanuel Huet (Insights Hub), et pu mesurer via le coup de sonde réalisé avec notre partenaire Callson — est tout à fait compréhensible. Mais devons-nous pour autant nous résoudre à ce que les études en présentiel disparaissent de la scène ? Certainement pas affirme Isabelle Fabry (fondatrice d’ActFuture et co-représentante Esomar France), pour qui celles-ci sont parfaitement irremplaçables. Pour joindre la parole à l’action, elle prend l’initiative de lancer #HumansAreStillAlive, un mouvement dont la vocation est de fédérer les acteurs partageant cette conviction et de regrouper les témoignages des best practices sur ce thème. Elle répond aux questions de MRNews.
MRNews : La crise sanitaire a stimulé les études on-line, au détriment du mode présentiel. Cela concerne bien sûr surtout les études qualitatives, avec un fort repli de la pratique des traditionnels « focus-groups » ou des interviews en face à face. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
Les consommateurs acceptent très largement de se déplacer dans des lieux physiques, avec des masques et du gel hydro-alcoolique : où est donc le problème ? Je pense que nous vivons un blocage psychologique vis-à-vis des études présentielles, totalement limitant et handicapant pour le sain équilibre et le développement de notre profession. Qu’on le veuille ou non, la profondeur et la richesse des enseignements de notre métier dépendent de la pertinence et de la multiplicité des méthodes déployées pour atteindre l’objectif voulu. À chaque contexte, problématique, attentes, correspond une méthodologie ad ’hoc à appliquer. Croire, par confort Covid, que le on-line peut seul tout résoudre me semble être une erreur. On ne peut pas se nourrir et rester vivant si l’on se coupe soi-même du vivant…
Quel est plus précisément l’enjeu de ce recul du face-à-face et plus largement des études en mode présentiel ? Que perd-on en délaissant ce type de protocole ?
Quand les robots pourront projeter, désirer, percevoir, vibrer, ressentir, avoir du plaisir, et vouloir recommencer, on pourra en reparler. Mais, pour l’instant, seul l’humain est doté de ces facultés. Or, un consommateur est avant tout humain dans sa relation aux produits et services. Ce sont ces ondes d’humanité que l’on capte dans le présentiel dans le contexte du Market Research. La capacité à exprimer sa pensée nécessite un degré de sophistication que peu de personnes maitrisent : auto-analyser, conscientiser, se dissocier, verbaliser précisément. Au travers du jeu des relances « yeux dans les yeux », émotionnellement justes, seul le présentiel permet d’obtenir cette profondeur et cette précision des propos.
Dans l’expression des désirs et des ressentis, l’oral est essentiel. Parler, rester silencieux, hésiter, reformuler, cheminer … C’est cela être humain. Et, on le sait, énormément de choses se jouent dans le non verbal, dans les postures physiques…
Une partie de ces éléments peuvent néanmoins être appréhendés one line, non ?
C’est vrai. Mais la stratégie d’évitement est infiniment plus aisée derrière un écran qu’elle ne l’est en présentiel, qui est le moyen le plus efficace pour obtenir de véritables réponses aux questions que nous nous posons. Le présentiel c’est la garantie de la profondeur, de la nuance, de la véracité, de la sensibilité, de l’humanité et de l’en-vie des enseignements recueillis. Et tout cela est essentiel quand on veut travailler avec finesse un concept ou un positionnement. N’oublions pas que sur la base des résultats d’une étude se décident parfois des investissements de plusieurs millions voire de centaines de millions d’Euros. La finesse et la nuance sont alors indispensables à la réussite du projet d’un bout à l’autre de la chaine de réalisation, surtout dans nos marchés matures où les leviers prospectifs sont issus des signaux faibles.
La crise sanitaire et les dispositifs élaborés par les états, en France ou ailleurs, imposent des contraintes fortes, qui s’appliquent bien sûr aux professionnels du Market Research. Et, par ailleurs, on ne peut pas faire abstraction des barrières psychologiques : les consommateurs peuvent avoir peur. Cela parait loin d’être simple de réaliser ces études en présentiel, non ?
Les contraintes sont réelles et doivent être respectées, mais les professionnels du milieu ont déjà tout mis en place très facilement et concrètement : on a des masques, du gel, on désinfecte tout avant, pendant, après, on a sa propre boisson, nourriture, stylo. Il y a plus de risque d’aller au supermarché ou de prendre les transports en commun qu’à participer à une étude de marché. Les consommateurs n’ont pas peur, tous les professionnels du recrutement vous le diront, à partir du moment où ils savent que les contraintes sanitaires sont respectées, ils viennent et s’expriment avec plaisir. Il en est de même pour nos interlocuteurs chez les annonceurs, qui sont protégés par les glaces sans tain, mais qui peuvent également opter pour les solutions de type zoom ou Teams, que ce soit en France ou à l’international.
L’agence ActFuture a depuis mars 2020 réalisé de nombreux Focus Groups, entretiens, semi-quanti en face à face avec traduction, en présentiel et en interaction avec des équipes de clients au bout du monde. Et tout s’est très bien passé, comme ce doit être le cas aussi pour bien d’autres instituts et prestataires. Le présentiel Period-Covid est une réalité de tous les jours : il faut faire du bruit autour de cela, ouvrir les ateliers des artisans et surtout ne pas rester dans l’ombre !
Vous lancez un mouvement, #HumansAreStillAlive. Quelle est sa vocation ? Et comment entendez-vous le faire vivre ?
L’idée est extrêmement simple : il s’agit d’avoir des reportages et des témoignages. Chacun dans le domaine qui est le sien (la traduction, la location de salles dédiées, animateurs…) et bien sûr les instituts, agences, clients), quel que soit nos registres d’intervention, nous pensons et agissons tous les jours. Nous devons mettre nos expériences en lumière, témoigner de ce que nous faisons, et prouver ainsi au monde du marketing et de la communication que nous sommes toujours vivants !
Une dernière question pratico-pratique : que doivent faire les acteurs qui souhaitent participer à ce mouvement ?
Là aussi, très simplement — comme tout ce qui fonctionne vraiment dans la vie —, ils vont pouvoir partager des témoignages sous #HumansAreStillAlive sur le groupe LinkedIn créé dans cet objectif. En n’oubliant pas l’essentiel « Together we are stronger » (« Ensemble nous sommes plus forts ») pour reprendre la formule lancée avec Esomar.
Je remercie bien sûr par avance tous les acteurs qui contribueront à #HumansAreStillAlive !
Rejoindre #HumansAreStillAlive sur LinkedIn
Nota : la version en anglais de l’interview est présente sur Research World
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewés : @ Isabelle Fabry