Les attitudes et les comportements des Français ont été fortement impactés par la crise sanitaire Covid-19, c’est une évidence. Mais s’il y a bien une question à la fois épineuse et sensible pour les marques et bien d’autres acteurs, c’est celle de savoir ce qu’il adviendra de ces changements dans la durée… C’est précisément à cette interrogation que vise à répondre une étude menée par Adequation MR, qui a passé au crible 12 secteurs d’activité et plus de 70 produits, services ou pratiques. La fondatrice de cette agence, Elisabeth Martine-Cosnefroy, nous présente une partie des résultats de cette investigation.
MRNews : La crise sanitaire du Covid-19 a constitué un énorme choc pour nos sociétés. D’autant qu’elle est intervenue dans un contexte très particulier : dès début 2020, certains prospectivistes formulaient le constat que nous étions en train de vivre la fin d’un monde. Quelle est votre vision sur l’importance des changements qu’elle va déclencher ?
Elisabeth Martine-Cosnefroy (Adequation MR) : Le confinement imposé par la crise sanitaire du COVID-19 a entrainé une situation inédite, très stressante, avec de grosses inconnues. Et, en effet, cette crise est intervenue alors que beaucoup de signes témoignaient d’une volonté farouche de la population (française, européenne et au-delà sans doute) de revoir notre système de valeurs. Mais nous avons affaire à une situation très évolutive, complexe. Avec des attitudes et des comportements qui peuvent se retourner à grande vitesse. Il y a donc une vraie nécessité pour les marques d’anticiper sur de quoi demain sera fait. Mais encore faut-il ne pas se limiter à une lecture trop générale, qui risquerait d’être « moyennisante », et malheureusement erronée pour certains domaines d’activité.
Les attitudes et comportements peuvent évoluer très vite… Mais on a le sentiment qu’ils peuvent diverger fortement, au moins sur un certain laps de temps…
Tout à fait. C’est pourquoi il me parait essentiel de suivre les faits qui traduiront le passage à l’acte des intentions. Nous savons que beaucoup de paramètres vont entrer en jeu et peuvent infléchir ces intentions : la résistance psychologique au changement, la pression sociale et les impératifs économiques en sont trois majeurs. Sans compter que de l’offre des marques et organisations dépendra ces changements, de leur appréhension des enjeux et de leurs capacités et de leur volonté à y répondre.
C’est pourquoi nous étions convaincus chez ADEQUATION MR qu’il fallait éclairer cette période déterminante, pour essayer précisément d’identifier les changements ayant le plus de chances d’être durables.
Quels sont en quelques mots les principes méthodologiques que vous avez adoptés ?
Nous avons opté pour une méthode solide, en travaillant sur un large public par souci de fiabilité et permettre des analyses fines. Nous sommes naturellement partis sur un échantillon représentatif national (18 ans et plus, auprès de la communauté on line de RESPONDI, notre partenaire historique). Avec un questionnement simple, mais en dynamique, en interrogeant les gens sur le passé, le présent du confinement, et le futur proche (post-confinement qui était annoncé au moment de l’enquête fin avril début mai) et en fréquence (souvent, parfois, rarement ou jamais). Le but n’était pas de traduire ces fréquences en volumes de consommation en plus de la pénétration en nombre de clients. Nous avons considéré la fréquence comme un indicateur d’incertitude de l’intention.
Nous avons dégagé 2 profils de clients acquis (confortés et convertis) et 2 profils d’abandonnistes (perdus et déçus). Et nous avons également observé les courbes d’évolution « avant-pendant-après le confinement » de tous les produits, services ou pratiques étudiées, quel que soit le domaine. Nous en avons recensé 6 permettant de prédire raisonnablement que le potentiel de changement était solide, à consolider, à confirmer, à surveiller car pouvant annoncer une désaffection problématique.
Quels constats « macro » en tirez-vous ?
Cette étude nous a tout d’abord révélé une triste réalité c’est-à-dire la part de Français prévoyant d’adopter des options restrictives dès la sortie de crise. Ils sont 37% à envisager une mesure ou plus : l’utilisation de leur épargne pour 17 % (surtout les professions aisées qui, naturellement, en disposent plus que les autres), soit annuler leurs grandes vacances pour 18% (sont surtout concernés les 35-54 ans et les employés/ouvriers), soit réduire leurs abonnements (pour 14% des individus), ou encore se faire aider par leur famille. Ce dernier point concerne 4% des Français, mais la proportion grimpe à 17% pour les 18-34 ans ! 7% évoquent d’autres solutions comme de trouver un travail de complément et/ou de limiter leur consommation alimentaire (surtout parmi les femmes, les 35-54 ans, et les employés/ouvriers).
Votre étude vous semble-t-elle invalider certaines fausses idées reçues ?
Absolument. Elle permet de dissiper trois points de confusion importants régulièrement entretenus par certains médias. En donnant toutefois un éclairage extrêmement optimiste sur la capacité d’adaptation et d’exploration des humains. Le terme de résilience n’est pas galvaudé…
En premier lieu, il y a hiatus sur la distanciation sociale imposée. Ce terme malheureux car tellement erroné et confusant nous a pressé de ne plus avoir de vie sociale alors qu’il désignait le fait d’imposer une distance physique de sécurité préventive. Mais heureusement nos résultats montrent combien les Français sont restés des êtres sociaux avant tout et prêts à réinventer cette socialisation quotidienne grâce au web et aux outils de télécommunication visuelle. Se voir a pris son sens, de même que le « direct-live », échanger, mener une activité en temps réel. Et moins les jeux, la VOD, la lecture en ligne ou sur liseuse, la navigation sur le net…autant d’activités souvent solitaires, « fermées » aux autres.
On a beaucoup évoqué une fulgurante progression de l’usage des réseaux sociaux et des achats on-line…
Ce n’est pas si simple en réalité, ou cela mérite en tout cas d‘être nuancé. Le web dit « social », d’expression écrite, a-synchrone, n’a pas profité autant qu’on pouvait l’imaginer de cette crise. Les outils digitaux se confirment comme des outils, mais on n’a pas enregistré d’explosion des usages auto centrés ou auto-valorisés que sont les blogs, les posts, les RS, …. On n’a pas donné ni nourri l’espace public, mais on s’est abreuvé de la connaissance à disposition. Le web qui a « gagné », c’est celui de l’apprentissage, des loisirs à domicile, du bien-être et de l’entretien physique et du fait maison, et tous les tutos qui vont avec, bien plus que le web des posts, des avis, de l’échange anonyme… Le web entrant l’a emporté sur le web sortant. Et puis de nouvelles formes de partage se sont développées, privées ou professionnelles : des rencontres fortuites au détour d’un « zoom » ou du renforcement familial grâce à un « anniv House party » ou des jeux de plateaux en ligne. Ou bien les relations fraternelles dans les « salons apéro Discord entre potes » ou via les «appels groupés Messenger». Ou encore au travers de groupes WhatsApp…La motivations, derrière cela, c’est de partager avec des intérêts communs : progresser ensemble, se raconter, jouer, prendre des news, s’aimer plus fort.
Et concernant le commerce on-line ?
Au vu de notre étude, il serait erroné d’annoncer la généralisation du « traditionnel click (web) & collect (drive) » ou l’explosion du business des pure players. Ce serait une simplification du phénomène de l’achat à distance imposé par le confinement. En fait, les circuits d’achats et de distribution ont été le terrain d’une adaptabilité et inventivité foisonnante, en particulier des commerces locaux et restaurants. Cela a donné à voir et tester la vente pas seulement en ligne, mais aussi par téléphone et un déploiement de modes de collecte du drive classique, au retrait en magasin, en passant par la collecte sur lieu de production. Avec ou sans rendez-vous et sans attente. …avec des publics moins digital-fluent, et je ne désigne pas spécifiquement les seniors, mais tous ceux qui toutes générations confondues n’ont pas acquis le reflexe e.commerce. On touche-là du doigt la véritable essence du concept de service, de personnalisation de la relation client, le conseil à la commande, l’adaptation de l’offre aux besoins, la mise à disposition par livraison à domicile ou retrait en point de vente, avec un paiement à l’avance ou en bout de chaine, et sans contact !
Il y a là de formidables opportunités à saisir pour avancer vers une meilleure réflexion sur la part de l’automatisation et la part de l’humain dans l’échange commercial.
Quels traits vous frappent quant au visage des Français tel qu’il ressort de votre étude ?
Finalement, les Français sont des êtres grégaires, doués d’intelligence et désireux d’apprendre, et de gagner en autonomie, d’enrichir leur foyer au sens humain et de l’habitat. Cette crise a fait la preuve de l’impact écologique de notre quotidien et de nos conditions de vie (on s’attend à un regain d’activités dans l’immobilier et d’aménagement de son habitat). Mais elle a fortement sensibilisé nos concitoyens à l’intérêt de l’économie circulaire, de la solidarité, de l’écologie. Et à l’importance de se réapproprier SON territoire local. Ainsi plus que l’origine France…c’est le fait-maison ou produit par mes acteurs locaux (circuit court) qui me rassure et donne du sens. Cela semble avoir été mis à l’épreuve du confinement comme une volonté profonde des Français. Les marques doivent s’y intéresser et étudier comment apporter leur pierre à l’édifice avec sincérité. Et c’est passionnant pour nous de les accompagner dans ce sens.
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewés : @ Elisabeth Martine-Cosnefroy