# Comment bien piloter sa marque à l’ère du digital ? (volet 1)

«L’économie de l’attention est un défi qui ne fera que croitre pour les marques»

Amaury de Beaumont
Co-Managing Director chez MetrixLab

5 Déc. 2019

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L’enjeu de l’attention de consommateurs saturés de messages ne date pas d’hier. Mais il se trouve exacerbé et ne fera que se renforcer à l’ère du digital nous dit Amaury de Beaumont (MetrixLab), qui le considère comme prioritaire pour les marques. Dans un contexte où toutes les règles de la communication doivent en permanence être revisitées — avec l’apparition régulière de nouveaux supports et formats—, appliquer le principe du test and learn avec l’humilité que cela suppose est clairement la meilleure option !

MRNews : Le numérique est systématiquement décrit comme une révolution pour les marques. Quel est votre regard sur les principales évolutions induites par celui-ci ?

Amaury de Beaumont (MetrixLab) : Le numérique a provoqué d’énormes transformations, c’est évident. Mais il subsiste encore aujourd’hui de grandes disparités dans les visions et les comportements. C’est vrai s’agissant des marques bien sûr, mais ça l’est aussi du côté des consommateurs, certains baignant là-dedans à tout moment, d’autres étant beaucoup plus en distance, en se limitant par exemple à n’avoir qu’un compte Facebook qu’ils n’utilisent jamais ou presque. Il se produit une accélération, mais nous sommes tous plus ou moins en train d’apprendre compte tenu du flow continu de nouveautés. J’ajouterai une nuance, en distinguant ce qui relève de la communication — où les usages digitaux sont à la fois assez développés, même si peu matures — et la sphère des achats sur les sites de ecommerce. Là, pour le coup, nous en sommes encore aux balbutiements. Au global, chez metrixLab, nous travaillons beaucoup sur les enjeux de communication digitale, mais nous passons également énormément de temps — avec nos clients — à découvrir encore et toujours pour leur permettre de mieux anticiper. 

Les possibilités et les pratiques évoluent en permanence…

Absolument. Il ne se passe pas une année sans que n’apparaissent des nouveautés importantes, des médias ou des supports, ou plus largement de nouvelles façons de communiquer. Le numérique, et c’est une donnée clé, c’est une histoire en marche, avec parfois des allers-retours — il arrive à certains annonceurs de renoncer pendant quelque temps à utiliser ces moyens – mais qui s’inscrivent néanmoins dans une progression qui semble inexorable. Toutes les marques ont démarré sur le digital dans des conditions assez similaires, en se dotant d’abord d’un site web, puis en étant présentes sur des moteurs de recherche, ou en achetant des bannières publicitaires… Mais, même si l’on pressent aujourd’hui des évolutions majeures autour de la tv en mode « pay per view » et des smart TV (qui permettent de regarder YouTube sur un grand écran), personne ne sait très bien quelles seront les options de demain. Nous avons donc affaire à un monde mouvant, dont personne n’a les clés. Cela demande beaucoup d’humilité et de curiosité. 

Mais cela coïncide aussi avec des mutations importantes chez les annonceurs. Avec notamment la montée en puissance des directions digitales, à l’excès disent certains ! Le directeur marketing d’hier pouvait changer d’entreprise en apportant avec lui une vision assez établie des règles du jeu et des best practices. L’environnement était relativement facile à maitriser. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, avec la très forte diversification des canaux de vente et de communication.

En même temps, le numérique ne correspond pas à un « annule et remplace », les hypermarchés sont toujours là, de même que les téléviseurs dans les foyers…

Oui, en réalité ce sont des couches qui s’additionnent les unes aux autres. Pour les directeurs marketing ou de communication, cela signifie qu’il y a une galaxie d’éléments à maitriser. Et là où les marques avaient hier une certaine latitude à faire ce qu’elles voulaient, à l’abri des regards, elles sont aujourd’hui en permanence exposées, jugées. Un évènement potentiellement anodin hier peut prendre une importance folle et abimer une marque en quelques semaines ! 

Ces principes, le sens de l’adaptation, l’humilité et la vigilance me semblent donc essentiels. Mais un autre enjeu formidable pour les marques est celui de l’économie de l’attention…

C’est la question de comment intéresser des individus sursollicités ?

Absolument ! Si ma mémoire est bonne, il est commun de dire qu’un consommateur occidental de 65 ans a en moyenne été exposé dans sa vie à plus de 2 millions de spots TV. Et encore, ce chiffre ne tient pas compte des publicités digitales… Ce n’est qu’une indication bien sûr, mais elle illustre la difficulté de ce challenge qui n’est pas né avec le digital, mais qui a été considérablement renforcé avec celui-ci, notamment avec la possibilité pour les individus d’être beaucoup plus libres de décider de voir ce qu’ils souhaitent, à quel moment et sur quel support. Voire de décider de faire autre chose en même temps (multitasking/multi écrans) ou de tout simplement passer immédiatement à autre chose si cela les ennuie. Cette question, celle des supports n’étant pas du tout triviale… Communiquer un message puissant n’est jamais un exercice facile, mais lorsqu’il faut le faire sur un écran de smartphone, c’est là une sacrée gageure ! il en va de même lorsqu’il s’agit de vendre via de telles interfaces. Comment crée-t-on de l’achat d’impulsion, du type de celui qui existe dans les hypermarchés par exemple ? C’est loin d’être simple !

Tel que vous le décrivez, le numérique soulève énormément de risques et de défis pour les marques…

C’est juste. Il impose énormément de vigilance. Mais il représente aussi d’énormes opportunités. C’est particulièrement vrai pour les marques dont les moyens de communication sont limités, ou qui s’adressent à des cibles relativement fines, restant atteignables via des options digitales. Malgré tout, toutes les marques sont concernées selon les objectifs qu’elles assignent à leur communication et les cibles qu’elles cherchent à atteindre. Le digital est apparu il y a quelques années comme étant parfois la solution miracle et avec de la chance cela faisait le buzz… Je pense que les marques sont majoritairement revenues de cela, elles intègrent de plus en plus que le numérique, ça se travaille et qu’il y a beaucoup à gagner, à condition d’accepter que les règles d’autrefois ou d’autres média ne sont plus efficaces, voire que les bonnes « recettes » d’un jour deviennent inopérantes 6 à 24 mois plus tard tant l’environnement est en mouvement.  Il faut suivre le rythme ! et enfin que l’on ne peut pas tout faire ni tout espérer du digital. 

Si l’on en vient à la question des études, le grand principe est donc celui du test and learn ?

Tout à fait. Il faut bien sûr s’interroger, mais aussi tester pour apprendre, en intégrant le fait que les règles du jeu évolueront en permanence. Notre créneau étant précisément d’accompagner les marques dans ce cheminement, pour définir avec elles des best practices qui ne sont jamais universels, mais doivent au contraire être identifiés au cas par cas, en tenant compte de l’histoire de la marque, sa personnalité qui peut être plus ou moins segmentante, et tout simplement de son niveau de notoriété. Les agences de communication qui accompagnent déjà nos clients sont très preneuses de cette logique de fonctionnement, et nous sollicitent également, non comme des gourous, mais bien comme des conseillers, des accompagnateurs.

Au-delà de ce parti-pris, d’autres points importants guident la nature ou le design des solutions que vous proposez ?

L’enjeu de l’économie de l’attention que nous avons précédemment évoqué est au cœur de nos réflexions et des solutions que nous mettons sur le marché. Nous sommes historiquement très présents sur les tests digitaux ; mais nous continuons à faire évoluer ces outils. En réalité, cette problématique cruciale dans le cadre de la consommation des marques, l’est tout autant lorsqu’il s’agit de recueillir de l’information marketing auprès des personnes que nous interrogeons via nos études, qui n’acceptent plus qu’on les « saoule » de questions. Nous nous appuyons donc de plus en plus sur des données passives, comme par exemple le temps de visionnage des publicités ou des mesures implicites pour obtenir le plus d’informations possibles en sollicitant le consommateur le moins possible, afin d’assurer spontanéité et sincérité de l’information. Et scoop, MetrixLab vient de lancer aux Etats-Unis une solution de pré-test de pub digitale en 24 heures, sans aucune interrogation des consommateurs, et ce grâce à l’intelligence artificielle !

Pour MetrixLab, cet enjeu de l’attention est vraiment essentiel, tout autant qu’il l’est pour nos clients. C’est même LA question ! Les marques et les agences ont capitalisé sur un savoir-faire important, notamment autour de la publicité et des formats classiques, de type 30-40 secondes sur un écran de TV. Mais avec le digital aujourd’hui, on est parfois sur du 6 secondes sur un smartphone. Cela change tout. Le message ne peut pas être construit selon le mode traditionnel, avec une révélation intervenant en fin de séquence ; les spectateurs zappent au bout d’une poignée de secondes. Il faut donc faire table rase de ce que l’on avait appris, et accepter de repartir quasiment de zéro.

La multiplication des supports et des formats ne soulèvent-elles pas une vraie difficulté dans la constitution des benchmarks ?

Oui, tout à fait ! Cela nous oblige en effet à accumuler énormément d’expériences et d’études , à travailler à construire régulièrement de nouveaux benchmarks (par plateforme et par device)  pour apporter la bonne granularité à nos clients, et être toujours «up to date» pour leur permettre de prendre les bonnes décisions. 

Une dernière question enfin : des marques — ou des secteurs d’activité — vous semblent-elles particulièrement en avance sur la maitrise des enjeux de la communication digitale ? Ou au contraire un peu à la traîne ?

Certains secteurs sont exposés à des difficultés spécifiques, ne serait-ce que du fait de leur culture dominante. Je pense notamment à celui du luxe, où la tentation de la belle publicité est très forte, et peut aller à l’encontre de l’exigence d’efficacité liée au digital. Mais je crois en réalité que les marques qui performent le mieux sont celles qui travaillent, en y mettant beaucoup d’humilité et de rigueur, et en se préoccupant systématiquement des conditions dans lesquelles leurs messages sont diffusés.


POUR ACTION  

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