Plus vite, mieux, et « smarter » (plus astucieusement)… Ce sont les trois adjectifs clés définissant les études en mode agile pour Lambert Lagrevol, DG d’Enov. La condition sine qua non étant de mettre en œuvre de nouvelles façons de travailler ensemble, entre instituts et annonceurs, et avec les consommateurs ; beaucoup de choses restant à inventer. S’ils ne font pas tout à ses yeux, les outils ont néanmoins leur importance dans l’implémentation de cette agilité, avec un apport considérable des communautés.
MRNews : Cette notion d’agilité semble très présente dans les demandes côté annonceurs, le terme pouvant cependant recouvrir des réalités assez hétérogènes… Quelle est votre vision quant à l’importance de ce besoin et la façon dont il évolue ?
Lambert Lagrevol (Enov) : Il est évident que ce terme d’agilité s’est imposé dans les échanges avec les entreprises. Il y a encore quelques années, préempter ce thème pouvait apparaitre comme un facteur de différenciation pour certains instituts. Aujourd’hui, c’est quasiment un prérequis, avec une demande de plus en plus forte et explicite en ce sens. Non seulement parce que les méthodes de travail sont plus rapides. Mais également parce que le consommateur a changé et se fait plus insaisissable.
Aujourd’hui, pour capter le bon insight, il faut savoir renouveler les designs d’études, et les façons de travailler. Et ce mouvement va certainement se prolonger et s’amplifier. Je vous rejoins néanmoins tout à fait sur l’aspect multiforme de cette demande… L’agilité est un vrai besoin, incontournable, qui appelle en retour une réelle transformation des instituts. Mais c’est aussi un facteur de risque si cela ne s’accompagne d’une véritable réflexion.
Ce risque, c’est celui de la vitesse comme cela a été évoqué par les autres intervenants de ce dossier ?
Oui… Soyons clairs, l’étude « quick and dirty » n’est pas de l’agilité. La réponse sera elle-même dirty, et elle ne fera pas avancer les choses. Au-delà de ça, je pense qu’une course à la vitesse qui ne reposerait que sur l’agilité et la souplesse des équipes aboutit à un moment ou un autre à une impasse…
Comment définiriez-vous l’agilité « vertueuse » ?
Aller dans le sens de l’agilité, en résumé, c’est faire plus vite, mieux, et plus « intelligent » même si je préfère le terme anglais « smarter », qui me semble plus à même de véhiculer l’idée essentielle, qui consiste à être malin et astucieux, à toutes les étapes. En trois mots, c’est donc « Faster, better and smarter ». Et pas nécessairement « cheaper »… Mais il y a une vraie condition clé pour que ces adjectifs s’appliquent réellement, et que cela débouche sur plus de valeur ajoutée pour nos clients. C’est le fait de travailler ensemble, dans la meilleure intelligence possible, au sein de nos équipes, mais bien sûr aussi et surtout avec nos clients. Ce « ensemble » étant bien souvent le pivot, et également ce qui réclame le plus d’efforts de part et d’autre.
Comment se traduit concrètement cet « ensemble » ? Qu’est-ce que cela change par rapport à la façon « traditionnelle » de faire des études ?
Il est évident que nos clients désirent travailler autrement que par le passé sur ces enjeux de Connaissance Client. Ils veulent plus de vitesse, plus d’écoute, plus de co-création, plus d’interactions. On est dans un schéma « augmenté » des études. La vision qu’ont les entreprises, c’est que leur business évolue, qu’elles doivent placer les clients le plus au centre possible de leur organisation et de leur process pour prendre les meilleures décisions. Tout cela implique un renouvellement des façons de travailler. Mais la question des outils n’est pour autant pas neutre dans le déploiement de cet « ensemble ». Dans l’histoire d’Enov, l’expertise des communautés en continu à des fins d’études a réellement été le grand point de transformation. Ce sont ces dispositifs — qui représentent une part très conséquente de notre activité et que nous utilisons sur un large spectre de problématiques — qui nous ont fait basculer vers plus d’agilité. À la fois parce qu’ils permettent d’interagir avec beaucoup de rapidité avec les consommateurs. Mais aussi parce qu’ils apportent les conditions d’un travail différent avec nos clients. Les communautés obligent à avoir une approche très cadrée et à être parfaitement aligné sur les enjeux à adresser. Mais ce sont également des démarches ouvertes, très vivantes, les consommateurs pointant régulièrement du doigt des considérations qui n’avaient pas été envisagées. Plutôt que de réaliser une série d’études, on utilise à fond le principe de l’interactivité et d’itération, et ce en parfaite intelligence avec nos clients.
Cela vous donne une latitude à être plus proactif dans la détection des insights ?
Absolument ! Ces communautés en continu nous mettent en position de capter des signaux faibles, mais aussi de très vite rebondir avec nos interlocuteurs et les équipes des entreprises. Nous nourrissons ainsi l’agilité plutôt que de la « subir ».
Et, de fait, elles nous permettent de nous insérer plus facilement dans les méthodes agiles de nos clients. Ce n’est cependant pas qu’une question d’outil…
Peut-on être un institut agile si les clients eux-mêmes ne le sont pas ?
Ah, excellente question ! (rires). Je crois que vous mettez le doigt sur un vrai point, il faut qu’il y ait de l’agilité des deux côtés !
Ce contexte et les évolutions que nous avons évoquées, avec ce cap que nous ont permis de franchir les communautés, tendent à fortement modifier la nature de la relation que nous avons avec nos clients. Ceux-ci sont moins que par le passé dans la posture de nous demander de réaliser une étude ; ils nous sollicitent plutôt pour aider à porter la voix du client dans l’entreprise, dans le cadre de processus et de méthodes agiles. Cela change beaucoup de choses ! Si notre expertise des communautés joue un rôle déterminant dans cette transformation, elle n’est cependant pas le seul vecteur. Tout cela va de pair avec l’acquisition de notre côté de cette culture de l’agilité et du design thinking, et une imprégnation aux différents process que cela recouvre. Ce virage a en réalité beaucoup de répercussions, y compris sur nos compétences et nos agendas !
Ces changements ont-ils un impact sur la nature de vos interlocuteurs dans les entreprises ?
Ils nous amènent à être beaucoup plus au contact des équipes opérationnelles, avec, de notre part, des outputs qui peuvent être assez bruts, le mode de fonctionnement dominant étant celui du test and learn. La présence des interlocuteurs Études varie quant à elle selon les entreprises. Ils sont parfois absents de ces processus, auquel cas nous nous en accommodons. Ou au contraire bien présents et associés, ce qui est bien sûr facilitant pour nous.
Mais cette autre façon de travailler a des impacts organisationnels forts pour nous. Faut-il aller jusqu’à déléguer une personne ou une petite équipe au sein de l’entreprise ? Cela fait partie des questions que nous sommes amenés à nous poser.
Cela peut aussi avoir, j’imagine, une incidence sur le type de contrats passés avec les entreprises ?
Être agile, par définition, c’est aller dans le sens de la souplesse. Il faut s’adapter à des éléments qui apparaissent en chemin, et donc accepter une part d’imprévu. Cela nous amène à construire d’autres types de partenariats avec nos clients, avec de nouvelles modalités contractuelles et en faisant évoluer notre modèle économique.
Une dernière question enfin : quels conseils seriez-vous tentés de donner aux annonceurs désireux d’aller dans le sens de cette agilité ? Que feriez-vous si vous étiez responsable de la connaissance client dans une entreprise ?
Cela fait le pont avec le point précédent, je pense qu’il y a un réel intérêt à casser un peu certains codes. Les entreprises souhaitent travailler avec des sociétés souples, c’est très bien, mais si les budgets sont complètement corsetés, cela peut représenter un frein. La part d’agilité qu’autorisent les services achats est parfois pour le moins limitée…
Et le second conseil qui me semble important, c’est celui d’oser, en regardant et en s’inspirant de ce qui est fait ailleurs, dans d’autres entreprises qui sont sans doute en avance sur ces sujets. Au fond, rien ne remplace le test and learn !
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewés : @ Lambert Lagrevol