# Etudes « ethno » : le grand renouveau ? (volet 2)

Une voie royale pour l’innovation « customer-centric »

Dominique Suire
Directrice Associée de Strategir - WSA

30 Nov. 2018

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Et si le recours à l’ethno était une voie royale pour les entreprises pour parvenir à la fameuse « customer centricity » ? A la fois pour comprendre les consommateurs avec la profondeur nécessaire dans des environnements toujours plus complexes. Mais aussi pour pouvoir zoomer sur des enjeux pratiques et générer les innovations les plus puissantes, celles qui simplifient réellement la vie des gens ? C’est la vision que développe Dominique Suire (Strategir – WSA), sans occulter cependant les raisons économiques qui concourent à ce regain.

MRNews : Le renouveau de l’ethno est-il un mythe ou une réalité de votre point de vue ?

Dominique Suire (Stratégir-WSA) : Oui, il est indéniable que ce type d’études bénéficie d’un regain d’intérêt. Nos clients nous en parlent spontanément, nettement plus que par le passé, et les projets sont plus nombreux. J’y vois un lien avec le fait que les marques évoluent dans des environnements de plus en plus concurrentiels, et à la perception qu’ont les équipes de vivre dans un monde toujours plus complexe. Elles ressentent le besoin de disposer d’une compréhension plus étendue des consommateurs et de ce qui explique leurs comportements. Et, pour mieux comprendre, ces équipes éprouvent la nécessité de voir.

Parce qu’il faut voir les choses pour les croire ?

Oui, c’est possible. Cela ne signifie pas qu’il y ait une forme de défiance vis-à-vis des instituts qui ont un rôle d’intermédiaire entre eux et les consommateurs. Mais le fait de voir ces derniers les aide à réaliser certaines choses, à rendre la compréhension moins abstraite. Leur créativité en est renforcée, ils sont plus à même de rebondir sur des problèmes qu’il n’avait pas imaginés ou dont ils n’avaient pas mesuré l’importance. L’ethno est précieuse pour cela. Mais c’est aussi un moyen d’accéder à une compréhension plus fine des consommateurs, en analysant le contexte dans lequel ils évoluent. Cette observation nous donne des indices particulièrement intéressants, qui peuvent être interprétés en eux-mêmes ou nous conduire à poser des questions auxquelles nous n’aurions pas nécessairement pensé. Par ailleurs, les enjeux d’usage et d’ergonomie prennent une importance croissante pour les marques. Là encore, l’ethno apparait comme un outil éclairant privilégié. 

Il faut ajouter que ce regain d’intérêt est aussi lié à des considérations économiques…

Grâce aux nouvelles technologies ?

Oui, absolument. L’ethno est utilisée depuis très longtemps dans les études, mais le coût de ces approches est progressivement apparu comme trop élevé. La banalisation des technologies associées au digital ont en effet fortement modifié la donne. Avec des smartphones, il est à la portée de tout le monde aujourd’hui de réaliser des vidéos tout à fait correctes. Et bien sûr, on peut demander aux gens de se filmer eux-mêmes, ce qu’ils font très volontiers. C’est le phénomène de « l’auto-ethno », qui a pris une importance significative.

L’auto-ethno est-elle de la vraie ethno ? Et n’y a-t-il pas une limite à filmer plutôt que de prendre des notes comme cela se faisait par le passé ?

C’est un raccourci ethnologique qui me semble parfaitement adapté à certaines recherches, pour appréhender un usage en particulier, par exemple la façon d’utiliser des produits cosmétiques ou de manipuler un packaging. Dans d’autres cas, on peut émettre des réserves, et il est préférable que la vidéo soit réalisée par des gens d’études. 

Dans une vision hyper académique, l’ethno n’est pas censée être une interview. Les études marketing se sont emparées d’une forme particulière de cette discipline, qui est l’ethno dite « participante ». La prise de notes n’est pas un idéal, cela peut être dérangeant pour les personnes observées. La vidéo a pour elle beaucoup d’avantages pratiques. Le fait de pouvoir échanger avec les interviewés, de pouvoir revenir avec eux sur les images est souvent extrêmement intéressant. Cela permet d’éviter de faire des erreurs d’interprétation, et d’apporter des éléments d’explication que l’on n’aurait pas soupçonnés.

J’imagine qu’il y a aussi des limites à l’usage de la vidéo…

Pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, nos clients ont besoin de voir. Mais il y a bien sûr des limites à cela, et en particulier le fait que les consommateurs tiennent à ce que l’on respecte leur intimité. Vous n’aurez pas de difficultés majeures à ce que des femmes se filment en train de tester un déodorant ; mais — expérience vécue — vous aurez beaucoup plus de résistance si vous souhaitez prendre des images d’un groupe d’amis au moment de l’apéritif. C’est un espace particulier, où les gens veulent pouvoir se relâcher sans devoir subir le regard de personnes extérieures à la situation. Il faut également être vigilant face au réflexe de mise en scène de certains, qui peut être un peu extrême et s’oppose à la logique même de notre recherche, celui de capter des comportements aussi « naturels » que possible.

Il peut par ailleurs y avoir le risque, au moment de la restitution, que certaines personnes se focalisent sur une image, notamment parce qu’elle fait fortement écho avec leurs propres convictions. Mais cela n’a rien de spécifique à l’ethno, nous devons également gérer cette difficulté avec les réunions de groupe.

En pratique, les observations se déroulent sur combien de temps, et auprès de combien de personnes ?

On est généralement sur une demi-journée, ce que être plus long selon le sujet et ce que l’on cherche à cerner. Pour étudier une cible donnée, on travaille le plus souvent auprès d’une quinzaine de personnes.

L’ethno apparait comme une méthode particulièrement indiquée pour des problématiques d’innovation. Est-elle mobilisable pour d’autres sujets ? 

Elle me paraît être une des meilleures options qui soit dans les phases de détection d’insights, y compris pour des enjeux de communication. Mais elle est aussi précieuse dans des démarches d’innovation, et ce à quasiment tous les stades, de la recherche exploratoire jusqu’au test d’usage sur un produit ou un service.

Elle a l’immense avantage d’apporter des inputs de natures différentes. Elle éclaire le portrait des cibles car elle prend en compte le contexte de vie, les interactions avec l’entourage. Elle apporte ainsi des informations précises et pragmatiques. Lorsque l’on a observé quelques personnes (une mère de famille, un agriculteur,…) tenter de ranger différents objets dans un coffre de voiture (une poussette, une botte de foin,…), on saisit mieux les contraintes que devraient respecter les ingénieurs (rires). On apprend toujours énormément de choses en regardant comment les consommateurs se débrouillent avec les produits existants, et essaient de trouver des solutions à leurs problèmes. Comment fait-on par exemple pour passer les aspirateurs dans les coins d’une pièce ? De ces observations naissent les vraies innovations, celles qui simplifient la vie des gens.

Un autre souvenir qui me vient est celui d’une étude portant sur l’alimentaire auprès de cibles seniors. En ayant pu visiter les cuisines des interviewés, nous avions été surpris du nombre et de la diversité des petits flacons d’épices présents sur les rayonnages. Cette découverte, un peu par incidence en apparence, mettait le doigt sur une information sensible pour notre client : le fait qu’avec l’âge, le besoin de relever le goût des aliments était important, bien plus que pour d’autres catégories de personnes…

C’est cela la grande force de l’ethno, cette capacité à nous faire venir ou revenir au réel ?

Oui, sans doute. Elle est d’autant plus précieuse que nous sommes tous très « digitalisés », avec le risque parfois d’être un peu « hors-sol » (rires)

Une dernière question enfin : quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour tirer le meilleur parti des études ethno ? Ou quels pièges importants vous semblent devoir être évités ? 

L’ethno telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui — avec cette place prépondérante accordée à l’image — peut laisser prise à des illusions : croire qu’il suffit de demander au consommateur de s’exprimer pour qu’il livre une explication parfaitement juste des choses ou penser que les images se suffisent à elles-mêmes. Ce sont des pièges qu’il est préférable d’éviter en s’appuyant sur des experts, des professionnels qui ont une réelle expérience de l’ethno et savent apporter les bonnes clés d’interprétation et d’analyse.

Un autre conseil que l’on pourrait adresser aux entreprises serait de faire plus souvent appel à l’ethno pour investiguer ce qui se passe dans leurs espaces de vente ou de contact avec les clients ou le public. Ce sont toujours des études riches d’enseignements et souvent immédiatement opérationnelles.


 POUR ACTION  

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Dominique Suire

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